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rencontre avec un poète du monde

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ARCHIVES : VIE – POÈTE 

 

Une Vie, un Poète :

 

Gu Cheng

choix de textes : Dominique Zinenberg

 

Courte biographie du poète GU CHENG (1957 – 1993) : Né à Pékin, il est le fils du poète GU GONG. Pendant la Révolution culturelle, il suit son père, déporté au Shandong près du golfe de Bohaï. Il y restera cinq ans sans être scolarisé. Il commence dès cette époque à écrire de la poésie et se fera connaître au tournant des années 1980 comme un des représentants du courant de la « poésie obscure ». En 1987, il est invité en Europe et au États-Unis. En 1988, il enseigne la littérature chinoise classique en Nouvelle-Zélande. En 1992, nouveau voyage en Europe et aux États-Unis. Il se suicide en Nouvelle-Zélande après avoir tué sa femme. (Note de la Pléiade, p. 1488).

Pour en savoir un peu plus, voir l’article qui lui est dédié lors de sa mort, par la rédaction et Annie Curien, avec des poèmes en sa traduction, dans Perspectives chinoises, n° 19, sept.-oct. 1993, ainsi qu’un autre choix de textes en la traduction de Chantal Chen-Andro sur le site de Bernard Plouzennec Le bar à poème du 28 octobre 2015. La photo est extraite de ce site. 

D.Z.

 

                          Une génération

 

La nuit noire m’a donné des yeux noirs

Moi je m’en sers pour chercher la lumière

 

 

                        Toi et moi

 

Tu serais rêve

Je serai vent

 

 

                         Le proche et le lointain

 

Toi,

qui tour à tour me regardes,

regardes les nuages,

je te sens,

quand tu me regardes, si lointain,

quand tu regardes les nuages, si proche

 

 

                       Adieu

 

Au printemps

Tu agites doucement un mouchoir

Pour me faire partir au loin

Ou revenir bientôt ?

 

Non rien de tout cela

Sans aucune raison

Comme la fleur tombe à l’eau

Comme la rosée sur la fleur …

 

Seule l’ombre peut comprendre

Ou le vent s’en faire une idée

Seuls les papillons qu’un soupir effarouche

Voltigent encore entre les cœurs …

 

 

                            Fin

 

 

Un instant ________________

L’éboulement s’est arrêté

Sur la rive s’amoncellent des crânes de géants

 

Des jonques en deuil

Passent avec lenteur

Déploient leur sombre linceul jaune

 

Tant de beaux arbres verts

Au corps tordu par la douleur

Sèchent les larmes des braves

 

Une lune tronquée

Est cachée par Dieu dans l’épaisse brume

Tout est fini déjà

 

 

                           La terre est courbe

 

La terre est courbe

qui te cache à mon regard

je n’aperçois que le ciel bleu

de ton cœur dans le lointain

 

est-ce du bleu ? Du vrai bleu

le bleu même du langage

j’aimerais apporter la joie au monde

mais les sourires se figent sur les lèvres

 

qu’on me donne plutôt un nuage

pour effacer les clairs moments

viennent les larmes à mes yeux

vienne le sommeil à mon soleil

 

 

                          Les formes du vent

 

Pour lui

les formes du vent

se souviennent des feuilles

amoureuses morsures

partout

partout crépite

la pluie

                 se replier sans cesse

écouter

les ébats

des gyrins

                un mariage                   le matin

                les morsures partagées

blancheur blancheur de neige

emportée par le vent

il se lève

et voit

la jeune épousée

 

 

                           Peut-être suis-je aveugle …

 

Peut-être suis-je aveugle

Je ne peux que vous toucher par ma voix

Ouvrir le poème comme la paume d’une main

Le tendre vers vous

Ô frères sur la rive mienne du Pacifique

De couleur rouge, de couleur claire, bleue, noire

Fleurs qui se mettent à pleurer sur la rive mienne du Pacifique

 

Cette voix a traversé un vide infini

 

 

                          Je vous donne le couteau …

 

Je vous donne le couteau

À vous qui m’avez assassiné

Comme la fleur cache bien ses épines

Car        j’ai aimé

Le temps des parfums

Les nains    les nains     des troupes de nains tournent

Un cœur de nain

 

Car je travaille sur la rive

Le peuplier a résonné jusqu’à la fin

 

Graver encore quelques motifs, encore quelques-uns

Toujours attendre

Le meurtrier

Aime

Apporter une mort resplendissante

 

 

                             Lit tombe

 

Je sais que la disparition est proche, je n’en suis pas triste

Dans la forêt de pins sont placés mes espoirs

En dessous il y a la mer, de loin on dirait un étang

Ce peu, là avec moi, c’est la lumière de l’après-midi

 

Le temps de l’homme est accompli, ce monde s’éternise

Je dois me reposer dans l’entre-deux

Selon les passants les branches se sont abaissées

Selon les passants les branches continuent de pousser

 

 

                          Bruit de fenêtre qui s’ouvre …

 

Bruit de fenêtre qui s’ouvre

Entends-tu

Au loin la mer

 

Le bateau vernissé

Est affalé sur la dune

Au loin la mer bleue

 

Écoute

Le bruit le plus ténu est celui de la mer

 

Le bateau est affalé sur la dune

Au loin un pan de bleu

 

 

Extraits de Anthologie de la poésie chinoise,

Pléiade, 2015 (n° 602).

 

 

Une vie, un poète

Gu Cheng

recherche : Dominique Zinenberg

Francopolis mai-juin 2019