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Philippe Jaccottet
dans la lumière glacée d’hiver

par
Serge Maisonnier


    Tout grand poète est un peu métaphysicien. Sous ce prisme Philippe Jaccottet appartiendrait sans doute aux premiers d’entre eux, ceux des origines, c'est-à-dire les Ioniens des antiques siècles des débuts de la philosophie grecque. Une espèce d’Anaximandre de la poésie contemporaine qui pioche dans la nature les éléments de sa réflexion et de son art. Je marche dans un jardin de braises fraîches dit le poète et ce monde n’est que la crête d’un invisible incendie car chez Jaccottet l’air qu’on respire est tellement fort qu’il déchire les poumons et seuls les oiseaux savent et peuvent veiller le ciel. De même les rivières, les ruisseaux sont brûlants et les sources prennent feu, ces eaux, ces feux ensembles dans la combe.

    Il ne s’agit pas pour Jaccottet de percer le secret des origines, peu m’importe le commencement du monde dit-il mais bien plutôt d’en toucher la lumière à travers lui, d’en goutter le poids des pierres comme la sérénité des fleurs couleur bleue et avancer peu à peu comme un colporteur d’une aube à l’autre.

    Philippe Jaccottet sait bien que l’écriture à besoin du feu pour revêtir l’aspect du verre. Et c’est le but de cette poésie de vouloir être aussi fragile et étincelante que le cristal. Comme les grecs des temps anciens qu’épouvantait l’hybris Jaccottet demande d’accepter notre finitude et qu’il ne sert à rien de vouloir échapper au monde des apparences pour la quête illusoire d’un Graal nommé vérité. Ainsi j’aurais voulu parler sans images dit-il en se méfiant des trouvailles verbales de ses ainés surréalistes.

    Comme Baudelaire et tant d’autres avant lui l’auteur nous dit que la boue de la mort n’est jamais loin de la beauté et qu’il faut bien se coltiner les deux. N’être rien d’autre que ce rien, ce dont est sur Jaccottet, permet pourtant d’embrasser le cercle entier du ciel. Ce hasard aérien qu’est l’homme toujours tenté par la démesure fouille l’œil de la terre et c’est là ce qui inquiète le poète.

    Pour finir on ne peut passer sous silence cette franchise du je que n’hésite pas cette écriture pour décliner les multiples nuances de la lumière et paradoxalement c’est à travers cette absence de neutralité que Philippe Jaccottet affirme constamment la simple modestie de la retenue qui resplendit dans toute sa poésie.


Serge Maisonnier

*
Article paru dans le n°58
– Printemps 2010 de la revue Traversées


 


                                                                             

Eléments de biographie


Né en Suisse (1925) à Moudon, Philippe Jaccottet, passe son adolescence à Lausanne.  En 1953, il s'est établi à Grignan, dans la Drôme (Provence), où il vit toujours avec sa femme, peintre. Il étudie le grec et l’allemand à la faculté des lettres où il se découvre une passion pour la traduction, avant de devenir un grand traducteur de poètes allemands tels que Rilke et Hölderlin. Il noue quelques solides amitiés avec des poètes comme Francis Ponge, André Du Bouchet, Yves Bonnefoy, Jacques Dupin et Thomas Mann, il débute son activité de traducteur en 1947 avec La mort à Venise de ce dernier. Il a reçu de nombreuses distinctions prestigieuses, et un nombre considérable d'essais ont été consacrés à son œuvre. Ses poésies sont traduites dans une vingtaine de langues.


Quelques œuvres


Poésies 1946-1967, Gallimard NRF 71 1990
Cahier de verdure suivi de après beaucoup d'années,  Gallimard NRF 2003 Paysages avec figures absentes Gallimard NRF 1998
Pensée dans les nuages, Gallimard NRF 1997
D'une lyre à cinq cordes, Gallimard NRF 1997
L'effraie et autres poésies, Gallimard 1996
Et Néanmoins, Gallimard 2001
A la lumière d'hiver suivi de leçons et chants d'en bas, Gallimard NRF 2007
Un calme feu, Fata Morgana, 2007
Ce peu de bruits, Gallimard, 2008
Couleur de terre, par A.Marie et Philippe Jaccottet, Fata Morgana, 2009



Choix de textes


Je marche
dans un jardin de braises fraiches
sous leur abri de feuilles
un charbon ardent sur la bouche


***

Toute fleur n’est que de la nuit
qui feint de s’être rapprochée

Mais là d’où son parfum s’élève
je ne puis espérer entrer
c’est pourquoi tant il me trouble
et me fait si longtemps veiller
devant cette porte fermée

Toute couleur, toute vie
naît d’où le regard s’arrête

Ce monde n’est que la crête
d’un invisible incendie


***

Feuilles ou étincelles de la mer
ou temps qui brille éparpillé

Ces eaux, ces feux ensemble dans la combe
et les montagnes suspendues :
le cœur me faut soudain,
comme enlevé trop haut


Peu m’importe le commencement du monde
               
Maintenant ses feuilles bougent
maintenant c’est un arbre immense
dont je touche le bois navré

Et la lumière à travers lui
brille de larmes

***




Philippe Jaccottet
par
Serge Maisonnier

 
Francopolis septembre 2010
 

Créé le 1 mars 2002

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