« Luc-André Rey est
un poète de rue, un passeur à travers le monde, en marge
du monde, hors du monde, dedans dehors soi-même, indiscernable,
anonyme.
Il aimerait publier ses textes sans les signer…
Il laisse tomber les mots de ses poches, ne pensant même pas
qu’ils puissent être signes de reconnaissance
pour des promeneurs autres.
Se définit-il lui-même ? Oui, justement, comme un autre…
" Il ne vit pas l'écriture
comme une fin en
soi (ni rien d'autre d'ailleurs.)
Il n'a pas l'ambition de ‘laisser une œuvre’ (il n'a en fait aucune
ambition). Il va les mots comme quelques équations
mathématiques,
comme ses pas un désert, comme ses pas nos cités;
l'ivresse où la seule chose où nous sommes vivants : ce
qui est dans l'instant."
(extrait de son
auto-présentation sur le site de la Maison
de poésie
d’Amay) (Lien 2)
Et en guise de biographie ? Un autre
poème…
*
il sourit
il est content
qu’importe ce qui arrive autour de lui sourit
car là
où il sourit
il n’arrive plus rien le monde est ce qu’il est
il sourit
Il ne reste donc rien à dire, sinon vous inviter
à lire,
en vous glissant entre les couches superposées d’une
écriture foisonnante de silences et d’interstices fertiles.
»
*
Ce tout petit texte,
je l’avais préparé en guise de préface à un
recueil inédit de Luc-André Rey,
intitulé Palimpsestes, qui devait
paraître à l’automne 2015. Il m’avait donné le feu
vert le 22 juin sur la toute
dernière version à soumettre à l’éditeur,
mais sans la préface… qui le
gênait : il disait qu’il fallait laisser le lecteur
accéder directement
aux textes, ce sont eux qui comptent, l’auteur, on s’en fout…
Je savais
depuis qu’on a fait connaissance, au lendemain même du lancement
de l’appel à
poèmes pour Haïti en janvier 2010, lorsqu’il a
répondu en proposant de monter
un site d’accueil des textes sur Internet – ce qu’il a fait dans les
deux-trois
jours suivants –, je savais depuis nos échanges par email
à cette époque-là,
qu’il n’aimait pas parler de lui, ni même signer ses textes… il
aurait souhaité
qu’ils soient publiés sous la signature
« Anonyme »...
Alors, aujourd’hui
encore, toujours pas de biographie ! Voilà seulement ce
qu’il dit de
lui-même le poète, dans son auto-présentation, sur
le site
des Editions
Maelström (voir lien 3)
pour la parution de son premier recueil, la rue, la
vérité, le vent, 2009)
Né
à Lausanne le 2 janvier 1960, à Piedicroce (Corse), en
octobre 2003, à Marseille le 26 février 2005, à
Saint-Cergue le 17 juillet 2008, à Hyères en septembre de
la même année, ne cesse de naître. Naître
à ce quelque chose qui l’est monde quelques mots. Et
derrière dedans ces mots ce qui nous est ce monde : ENSEMBLE.
Ou, encore plus succinct, plus avare
à révéler ses naissances intérieures, tout
en laissant largement ouverte la porte de sortie… sur le site,
Terre à ciel (lien 4) :
Né le 2 janvier 1960 en Suisse,
à Lausanne.
Mort le….. (Vous compléterez le moment venu.) Entre ces deux
instants, en vie.
Avant le « moment venu »,
il a continué, avec cette même humilité tenace,
comme il en avait pris l’habitude depuis quelques années, de
faire parvenir par email, sur une liste de diffusion anonyme qu’il
s’était constituée, au moins un poème
inédit par semaine
(il en envoyait parfois plus…), et ce, jusqu’au dernier reçu, le
18 juillet 2015; le message s’intitulait : « enfin un bon
texte ! »
J’ai obscurément senti, connaissant son auto-exigence et son
perfectionnisme sans fin, la portée définitive,
inquiétante, de cet « eureka » qui aurait dû
me faire comprendre qu’il s’agissait peut-être pour lui du signal
d’arrêt de Faust (Verweile doch, du bist so schön…) -
mais
j’étais très loin de deviner que le poète
était à 5 jours de sa mort.
Je ne l’ai d’ailleurs pas su avant près de 5 mois. Faute d’avoir
fréquenté régulièrement Facebook, où
la nouvelle de sa disparition, le 24 juillet à Saint-Gilles
(banlieue de Bruxelles, où il habitait), avait été
postée le 2 septembre par son éditeur belge
maelstrÖm reEvolution, sans plus de détails. C’est
l’investigation tardive de sa page sur Facebook qui m’a d’ailleurs
révélé encore plus l’intensité
extraordinaire de sa vie en poésie : il y postait plusieurs
textes par jour, tous les jours, pendant des semaines, tout en marquant
de faux interstices signalés par des « annonces d’absence
» :
ou des
« avis de recherche »… (comme au 30 juin
2015)

Préparait-il
comme une sortie de scène ? À moins qu’il n’ait eu besoin
de telles absences pour se retrouver… (ce qui revient au même au
fond) :
Je vais me taire un temps.
Me laisser creuser, labourer.
Me terre.
(posté sur FB le 6 juillet 2015)
* *
Pourquoi
les poètes meurent-ils ? Sans doute, pas pour les
raisons de tout le monde : l’humain, trop humain, s’il les touche
indéniablement (et comment ! c’est une des matières
premières de leur œuvre…) ne peut, ne saurait les tuer. Maladie,
accident, guerre, suicide, vieillesse… foutaises ! Ils meurent pour
nous permettre tout simplement de nous arrêter devant eux, et de
les écouter, enfin. Ils meurent pour nous. Sinon,
étourdis que nous sommes, inattentifs aux paroles vraies,
pressés à nous boucher les oreilles avec le bruit du
monde, avides d’événements criards et de voix factices,
tiraillés par les appels du politiquement-artistiquement
correct, soucieux de paraître, d’apparaître ci et là
dans les soirées, dans les revues, nous ne prêterions
jamais attention, jamais assez, jamais comme il le faut, aux grandes
voix singulières qui nous interpellent d’au-delà du
contingent.
Luc-André
Rey était de ces
voix-là. Un immense poète que je vous invite tous
à découvrir. Je me sens honorée d’avoir eu sa
confiance. Et je tâcherai de faire aboutir l’œuvre de publication
de ses recueils des trois dernières années qu’on
commençait seulement à entreprendre, peu avant sa
disparition.
Et
maintenant ? Je l’imagine heureux… à l’écoute du
silence des étoiles, amoureux d’une comète à
pulsation intermittente, en proie à « enfin un bon texte
» où se faire fondre, content, en souriant.
Il faut se l’imaginer
heureux, tant qu’on ne l’encense pas… il
détesterait cela ! Par contre, il faut lire et relire ses textes
à la syntaxe biscornue et aux sens giclant d’entre les mots,
alors même que, figés sur la page, ils ne peuvent, comme
le poète l’aurait voulu, clignoter et palpiter de toutes leurs
lettres superposées simultanément…
Car voilà
comment il souhaitait publier ses 10000 poèmes
(projet du site du même titre, finalement fermé) :
ce site ?
un pari
entre moi et moi
moi qui écrit et moi qui n'écrit pas
laisser sur le web, un site, 10'000
poèmes
laisser
et m'en aller
effleurer quelques fleurs qui poussent
là où
nos cœurs ne savent pas encore ce qu'elles nous sont étoiles
Vous ne trouverez pas les textes tout
bien
organisés.
Par périodes, par thèmes.
Une page
Une seule page où tous, vous sont offerts au gré de vos
visites
une page 10'000
textes
(apud:voir
lien 5)
Les
images de
textes-graphiques reproduites dans le groupage inclus au
Salon de
lecture
donnent une idée du projet de Luc-André. En voilà
une autre : le texte pulsateur
en mouvement aléatoire, réalisation informatique de
l’auteur :
Alors, dans
l’impossibilité de le suivre
dans
la reproduction de ce mode de lecture, voilà un petit
instantané (comme fixer
la combinatoire vibratile d’un papillon ou photographier un
fantôme…) qui nous indique justement l’impermanence durable de sa
manière de
vivre en poésie (passage, publié sur le site
Poésie française (lien 6)
Tout
me
traverse
Rien ne reste
Ne reste là
Où rien ne reste
Que cela qui traverse tout
Et
puis
encore un (extrait du même site),
intitulé Une paix toute simple, juste
pour s’imaginer les vœux qu’il nous adresserait à tous, en ce
début d’année où
il aurait fêté son 56ème anniversaire :
1
Le soleil
Disparu
La lumière
Très douce
Tout autour
Du soleil
Disparu
2
Du soleil
Disparu
Tout autour
De ces choses
Tout autour
Dedans
Des choses
Disparaîtront
3
Et sera la lumière
Celle haute
La nuit
Celle haute toutes choses
Toutes choses
Disparues
Toutes choses
Lumière
1. Poèmes*
LIENS
*. 1 . Quand je n'écris
pas, j'écris
*. 2 . Maison de la Poésie
*. 3 . Editions
Maelström
*. 4 . Terre-à-ciel
*. 5 . Les belles
phrases skynet
blog
*. 6 . Poésies webnet
PRÉSENTATION
ET RECHERCHE
Dana
Shishmanian
janvier 2016
Pour
inciter
à la lecture de ses textes, dont
une bonne partie est éparpillée sur la toile, j’invite
nos lecteurs à explorer
les ressources suivantes : Sa page Facebook :
Quelques
pensées extraites au hasard des très
nombreux textes poétiques et messages postés pendant les
dernières semaines de
sa vie :
*
Le poème est un titre de passage.
Entre ce dont nous sommes si peu et tant dont nous ne serons jamais. (FB
16/07/2015)
**
Les
mots nous rapprochent de ce dont ils nous
éloignent,
tout autant nous éloignent de ce dont ils nous rapprochent. (FB
14/07/2015)
***
Se
taire.
Ce n’est pas seulement cesser de dire.
C’est avant tout consentir à une perception qu’aucun langage ne
peut cercler. (FB 09/07/2015)
****
Le
langage
est un
territoire.
Qui y tente les mots cherche à atteindre sa
frontière.
D’où partant ?
Il ne le sait pas.
Il ne le saura qu’en parcourant le territoire,
qu’il part
de sa frontière. (FB
08/07/2015)
*****
Qui
écrit
un
poème ne tente pas d’aller en
terre de poésie.
Il en revient. (FB
07/07/2015)
******
Les mots ne disent
pas
les
choses.
Ils disent une distance. (FB
07/07/2015)
*******
La poésie,
l’art
de
l’attention. Détachée.
L’art de l’a-tension. (FB 05/07/2015)
********
Plus tu t’approches
de la
lumière, plus vaste
le territoire que recouvre ton ombre. (FB 03/07/2015)
*********
La poésie
lève
l’angoisse liée aux questions
auxquelles elle ne répond pas.(FB 02/07/2015)
**********
La poésie ne
parle
que de la mort.
Quoique nous évoquions.
Qui se retire
parfois face à ce qu’elle ne peut atteindre.
(FB
01/07/2015)
**
2.
En
guise de bibliographie : ses
publications
Ses «
fragments » (recueils édités) :
la
rue, la vérité, le vent,
maelstrÖm
éditions, Bruxelles, 2009, réédité par
Arbres à paroles,
Maison de la Poésie
d’Amay, 2012 (qui a connu la rue).
plasmaphérèses - maelstrÖm éditions, Bruxelles, 2012
qui a
connu la rue
-
Arbres à paroles, Maison de la
Poésie
d’Amay, 2012
fragments
2 - Arbres
à paroles, Maison de la Poésie d’Amay, 2012
A
voir
aussi :
Bords
de monde, de Martine Cornil,
album de photos et poèmes réalisé sous la
direction de Luc-André Rey,
maelstrÖm éditions, Bruxelles, 2012
***
Présence
sur la toile : ses
sites
Plusieurs
sites web (mathématiques, fractales, 10000 poèmes,
Antonio Porchia, …) qu’il a
finalement fermés.
Restent
deux
sites sous son pseudo (laral) :
- http://laral.hebfree.org/index.htm
: où l’on peut lire, dans
la mise en ligne informatique jouant sur l’aléatoire, impossible
à reproduire
sur les pages d’un recueil imprimé, un certain nombre (non
déterminé, étant
donné la combinatoire de l’ordre de sélection et
d’affichage à partir des
indicateurs de navigation) de ses poèmes inédits des
trois dernières années.
- il a
laissé des mots
- dans ses
yeux
Un
article sur Antonio Porchia a été
publié
ailleurs par Florence
Trocmé
Pour elle, pour C, la femme d'or et de miel
***
Parutions
sur des sites et revues en
ligne :-
15 poèmes inédits
publiés
sur
le site « Poésie
française » [2008/2009] :
- La
vidéo « qui a connu la
rue » sur youtube, Luc-André
Rey lisant des extraits
de son bookleg la rue, la vérité, le vent,
Editions
Malstroem, 2009, à l’occasion du 4e Festival de
MalstroemReEvolution
en mai 2010 à Bruxelles ; mise en ligne le 24 septembre
2010 .
- Des extraits de
ses
recueils sur le site de la Revue « Terre à
ciel » de Cécile Guivarch
(2012)
:
Toujours
dans cette
revue, le texte inédit Traversés
l’un par
l’autre, avec la mise en
ligne typique de l’auteur (une superposition de textes
à l’image d’un « palimpseste »)
-
Quelques textes
inédits sur le blog
d'Éric ALLARD « LES BELLES PHRASES. Textes
courts,
Poésie &
chanson, Plaisir-de lecture... » (22/01/2012)
- Des
poèmes
inédits dans « Ce qui reste », revue de poésie coéditée
par Cécile A. Holdban et Sébastien de
Cornuaud-Marcheteau [2013]
-
Publié dans la « Revue
Bâtarde », n° 2 – Le Bonheur,
Bruxelles
2013
-
Publié par Eric Dubois au
« Capital des mots » :
- le
poème inédit après
la mort de l'ange, le 14
avril 2014 :
- les recueils-poèmes inédits
à l'extrême bord de,
et avec la mort
devant/dedans,
le 15 Décembre 2014 :
Publié dans la revue « Paysages
écrits » de Sanda Voica et
Samuel Duduit, n° 25 –
septembre 2015, pp.
41-42
L’annonce de sa
disparition sur Facebook
le 2
septembre 2015, sur la page des éditions
maelström
reEvolution, avec la
publication d’un long poème Mon Pote
de Luc-André Rey [datant du 18 septembre 2014], ainsi que de
plusieurs
photos.
**
Présence
à Francopolis :
- Salon de
lecture (décembre
2012) :
- Créaphonie (décembre
2014) : SUITE ( janvier 2015 )
- Vue de
Francophonie
(juin 2015)
***
À
la
fin de cette
dernière publication j’ai reproduit le début d’un long
poème intitulé la vie en poésie,
qu’il avait diffusé
par email le 9 mai 2015. J’aurais pu, pour l’occasion tragiquement
inattendue
de sa disparition, le reproduire en entier, sans aucun commentaire
autre :
c’est certainement ce qu’il aurait préféré… mais
j’ai failli, en cédant à la
tentation d’exprimer ma propre émotion. Alors, la vie en
poésie de Luc-André
Rey, ce sera pour une autre fois : cela mérite un recueil.
À bon éditeur
salut !
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