«
Comment imaginer de nos jours le paysage agricole, les bâtiments
de ferme aux abords du lac, les champs autrefois cultivés au
lieu de la forêt ? En feuilletant les albums des familles d’ici,
des photos de canots d’écorce sur le lac m’ont lancé sur
la piste d’Hyacinthe Canard Blanc. Et l’héritage des premiers
occupants s’est imposé.
Aujourd’hui,
j’ai les mains pleines de la mémoire des vieux d’ici. Ce mot
dans la bouche de Jean-Paul Filion quand il parle des violoneux qui
font chanter les cordes qu’il apprivoise et celui de Dolorès
Guindon qui dit mémère en posant les yeux sur la photo de
Louise Simon.
Il
suffit d’un visage pour éclairer le monde, pour l’humaniser.
Celui de Gérard Bernard qui fait nager dans mes yeux le canot
qui s’envole dans les airs. Et celui de Lyette Fournier qui donne vie
aux canots d’écorce miniatures pendus aux branches des arbres et
qui virevoltent dans un nuage de poussière quand passe une auto
sur le chemin du lac Gagnon.
Le nom des lieux nous
ouvre au réservoir de la mémoire collective. Il cache
parfois une légende qui explique comment le monde nous est
révélé. »
Extrait
SUR
LA SUPERSTITION
DES ALGONQUINS
- Moi, je ne le crois
pas, mais ça se peut aussi. Mon grand-père me contait
qu’ils s’en allaient, lui pis son père, sur leur territoire de
trappe dans la Haute-Mauricie. Il était assez tard ce
soir-là. Ils sont arrivés sur un campement, des
Têtes-de-Boule. Ils leur ont offert de coucher là,
ça fait qu’ils sont restés.
Vers minuit, vient un orage, une affaire d’orage, du tonnerre.
Là, eux autres, ils ont allumé un feu. Il est sorti une
madame d’une tente. Mon grand-père dit que c’est quasiment comme
un… c’est quelque chose que… on le voit vraiment, c’est comme
irréel mais c’est vrai. Elle avait l’air comme si elle avait eu
150 ans. Grise, tu sais, puis vieille, ça paraissait qu’elle
était vieille, et elle s’est mise à danser. Il mouillait
à boire debout, puis le feu pareil comme s’il n’avait pas
mouillé. Ça fait qu’elle dansait en saint sacrifice et
là, tout d’un coup, il y a deux jeunes hommes qui sont sortis
d’une autre tente. Avec un canot qu’ils ont pris à
côté de la tente, ils ont embarqué dedans, puis ils
ont levé. Le canot, il a levé carrément dans les
airs. Il dit, « on a eu assez peur, moi puis
mon père, on est parti, on s’est sauvé en plein milieu de
la nuit, on s’est couché trois miles plus loin. Quand on s’est
levé, on avait juste ça dans la tête… et là
je te le conte, c’est pas des menteries, je l’ai vraiment vu, c’est
ça qu’on avait vu, ça va tout le temps me rester. »
Il dit, « ris pas, si tu avais vu ça, tu aurais eu peur
». Moi, je riais, je riais quand il me contait ça.
(Gérard Bernard, conteur. Extrait du chapitre « Amikwabé
»)
© Jean-Guy Paquin, Au pays des Weskarinis, 2014
Au pays des
Weskarinis
de Jean-Guy Paquin, Québec
Un
livre de grande qualité, tout en couleurs et sur papier
glacé, illustré de photos de familles, d’artéfacts
et de cartes anciennes, Au pays des Weskarinis comprend des
légendes algonquines, des documents d’archives inédits et
des entretiens avec l’auteur sur la Petite-Nation, la Rouge, les lacs
Simon, Gagnon, Nominingue et Viceroy.
( Ces légendes amérindiennes vous attendent, au Lac
Simon, auberge Viceroy,
23 février 2014, ) courriel li.li@tlb.sympatico.ca
(source: communiqué Lancement du livre *AAAO)
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