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ARCHIVES : CRÉAPHONIE

 

Mars-avril 2023

 

 

Poèmes et tableaux

 

Catherine Andrieu

 

 

Les poèmes reproduits ci-dessous sont extraits des deux premiers recueils de Catherine Andrieu, « Poèmes de la Mémoire Oraculaire » et « Nouvelles Lunes », tous deux publiés par Jean Hourlier, poète, et directeur de la collection "Le Semainier" aux éditions du Petit Pavé.

 

(*)

 

 

À ma sœur

1. La mémoire oraculaire de la vie

Pierres infectes qui éclatent en tâches de sang sous un ciel de cuivre vert Rendez-moi son corps violé complaisant de Gitane car elle est moi plus qu’une autre sous les
Lames brûlantes confondues hivernales et m’appartient
Nous eûmes des musiques gueulantes dégueulasses des nudités de braise aux couleurs criardes à
Repeindre vos boucheries en rond

Car de sable et de feu amoureuses nous fûmes Gitanes de villes inexistantes ravagées écumant
Sourdes
Hurlant, hurlant Baisant d’incendiaires complaintes bleues Langues sibyllines infectes qui ne parlent que la mort la sienne son couteau dans la poche

Langues infectes sibyllines ses mains décapitées ma tête à ses genoux qui tourne dans la poussière
De métal de merde
De mer

Au loin le grondement de la foule s’élève comme l’ombre ardente de son peuple qui pleure

Pierres, langues – mon fauvisme ! -, la lune est pleine et les chiens de misère à l’horizon, laissez-moi
Mon Espagne sale, mon enfant de cendre à la bouche-olive, à l’odeur forte, laissez-la moi.

Dieux et langues de pierres impies qui ne croient plus à l’homme l’heure est venue
Du requiem pour nos âmes blanches de Bohème Rendez-moi mon Élégiaque et je vous offrirai

Des poissons
Aux œufs de cristal et aux cordes vibrantes de pizzicati comme des violons Médiumniques Je vous offrirai

La mémoire oraculaire de la vie.

 

2. Célébrité́

Ils sont usés, mes habits de peinture Ils flamboient
Tu les rattraperas comme un lézard De lune

Toi aussi tu seras incendié Et je prierai à cette lumière De ton cul sur mon esprit De tes couilles du temps où

Du temps
Où tu n’auras plus la force

De tailler des pipes à la ronde

3. Il a fait beau et puis plus C’était un temps inutile
De la grève j’ai regueulé́ des rats crevés
Qui ont grimpé le long de mes cuisses comme de la pisse à rebours
J’ai dit : « Merde ! » J’ai gâché ma vie pour une illusion donnée aux autres J’avais du talent, j’avais Mais que suis-je ? Un créateur de valeurs de Supermarché́ Vois Mais vois ! Je ne sais même plus parler Alors comment Écrire ?

J’ai perdu tout je me désagrège Déjà̀ je ne suis plus mon corps cette viande Éclatée de vers
J’avais du talent j’avais Mes amis m’ont quittée J’ai perdu mon style le mien Je Ne sais plus ce que j’ai perdu –Quoi ? Comment ? Une créature d’hypo-marcher Qui rampe rampe et sourd durement

Des surfaces diverses sans se tenir debout jamais Abîmée par son reflet Dieux Absurdes écho
Chaotique de mes
Absurdités

Mes contours se défont

Et jamais je n’ai été́ quoi que ce fût
J’ai fait semblant mais de quoi ? Homme ou femme rien n’est dit en ce lieu Ni Pour quelle géographie !

Je prendrai ton anus et le gonflerai comme un ballon Ombilical
Puis je glisserai mon doigt à l’intérieur À ceux qui me le demanderont je dirai Que je suis marié Mais personne ne me le demandera.

Voyez ce que vous avez fait de moi c’est mon identité́ J’avais du talent Je crois
À l’état fœtal.

I WAS A GENIUS BUT...

À Vietnam

4. Ton indifférence et mon visage d’oiseau

Je t’ai rencontré et tu étais un pays lointain.
J’ai vu en rêve tes enfants aux yeux bridés. Les miens.
Je contemplais des images de moi dans le mur fissuré qui nous servait de lit. Le mur était la maison.
La maison était en lames de rasoir je la tenais sur mes deux poignets serrés.

J’ai perdu beaucoup de sang à espérer un tintement d’ange qui n’est jamais venu.
Toi debout sur la serrure, bien à l’abri sur la pointe des pieds tu riais comme un Enfant espiègle.

« Ce n’est pas toi que j’aime, ce n’est pas toi parce que... », Tu chantais. Je sais pourquoi.

Parce que je suis trop laide et tu aimais mon corps, ce corps que tu baisais de poussière de plumes.
Parce que je suis trop vide et tu aimais mon art, ce corps qui est le tien et que J’avais réinventé́ dans ma peinture.

Parce que je suis trop bête et tu aimais mes silences, tous ces bavardages inutiles Tus entre nous.

Pourquoi ne m’aimais-tu donc pas ? Parce que tu ne m’aimais pas. Parce que ce n’était pas moi.

Mais une autre, tenant la lame contre mes veines. Elle, qui n’existait pas, tu L’aimais.

Plus belle. Moins vide. Moins bête.

Moins réelle.
La tristesse me donne un visage d’oiseau. Alors tout est terminé entre nous.

Parce que tu es trop laid et que je dois réinventer ton corps.
Parce que tu es trop vide et que je passe mon temps à suivre mon étoile au sol Pour m’étourdir, me noyer de lumière.
Parce que tu es trop bête et que chaque jour j’agrandis le mur-silence de notre Maison.
Parce que je t’aime trop.

Je t’aime tellement que je l’aime elle aussi, qui n’existe pas et tient les lames. Je voudrais te voir lui faire l’amour sur le mur de la maison, entre les lames.

J’imaginerais que c’est moi que tu prends dans la poussière de mer
De merde.
Mon imagination, c’est bien tout ce qui me reste puisque tu as tout pris. Et ces quelques mots d’adieu.

La maison qui saigne entre les pavés disjoints du mur. Ta maison, tes enfants, ta vie...
Moi, c'est-à-dire rien.

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5. Les yeux verts de Monsieur X

Intensité́ de l’œil qui s’ouvre dans le noir.

Loin, les lumières sur le miroir d’eau. On les imagine tremblant en visages. Fondues au sang de l’onde, à l’argent des voiles mortuaires aux reflets de lune. À l’immensité́ de ton œil vert.

Je vois ton corps en mouvement la nuit, et son tracé d’étoiles. Nous allons au cinéma écouter notre silence.
Soudain, nous sommes devenus.

Nous sommes.

Nous sommes parce que toi Tu es ce que tu es
Et le noir est profond.

Zigzag originaire, tu m’étais apparu. Zébrure de la lumière –toi ?
Comme un décor fissuré.

L’œil est dans la fissure. Vert.

Tu es celui qui était au bord d’une tombe. Une femme là, sous tes pieds.
Et moi.

Vivante, vivante, vivante. Je t’aimais –je crois.

Tu m’as dit ma petite folle, et plein de choses que je n’ai pas comprises.

À cause de la pluie.
Nous avons pleuré ensemble. Sur nous. Sur elle. Sur nous.

Le deuil était impossible à faire. Étions-nous donc condamnes À la mélancolie ?

Tu m’as dit ma petite mélancolique, et plein de choses que Je n’ai pas comprises.

À cause de la nuit.
Tu me voyais telle que j’étais. Nue sous ma robe blanche.

L’œil est sous la robe. Ouvert.

Et nous n’avons pas fait l’amour, pourtant tu étais Monsieur X.
Ça n’était déjà̀ plus la peine. Tout avait été́ dit.
Que je t’avais aimé à travers elle. Que je t’aimais peut-être encore.

Toute la nuit nous avons dansé sur sa tombe. Tes yeux verts rivés à l’avenir.

À la mémoire de Sarah, dont l’histoire m’a touchée à travers l’émotion d’un autre

6. J’ai bu l’ayahuasca et la brume s’est répandue dans la forêt. Je vois Sarah qui a disparu. Je vois sa toile, sa forêt en peinture. Je vois la couleur dans laquelle Sarah s’est enfuie, liquéfiée, les arbres jaunes et violés. Les arbres, eux, ne souffrent pas des lames qui pénètrent leur écorce. Sur la terre, à moitié enfoui, l'autoportrait lunaire étendu. Bleu. Déjà̀ froid. "Sarah?" Quelqu'un m'appelle... À moins que... La femme africaine a deux visages : le visage de Sarah et le mien. Le visage lumineux de la jeune peintre des beaux-arts et le visage hideux de la folle maquillée. Je ne sais plus. « Sarah ? » Personne ne répond. Les cheveux mélangés aux racines des arbres. Mes cheveux. Un miroir sur sa poitrine qui renvoie ce que la mort grave sur la vie. Un miroir qui eût mieux fait de réfléchir avant que de renvoyer l'irréversible. Sarah, maintenant, elle s’en fout. Elle est calme, dort. Semble faire ça : dormir.

J’ai bu l’ayahuasca et la brume s’est répandue sur la toile. J’ai vomi des serpents à têtes de femmes couronnées en éclaboussures de lumière. Je vois ton autoportrait d’argent aux reflets de lune, Sarah, comme la prémonition de tes voiles mortuaires se déployant d’un éclair à l’autre sur la terre noire et humide. Dans ta paume ouverte une poignée de cachets blancs qui s'échappent et glissent entre tes doigts, dans l'herbe verte. Toi, ma Sarah, mon double. Tu reposes, tranquille, les lianes de jade tressées dans tes cheveux de nuit. Intacte parce que déchirée. Tu n'as pas de trou rouge au côté droit. Pas de trace. Juste tes seins lourds, comme les miens en peinture, pour faire oublier la lame plantée entre l'écorce des jambes. C'est bien connu, les cannibales n'ont pas de cimetière.

7. Femme de verre

Je me rappelle l’entrée en psychose comme en un rêve. Je bois l’eau fraîche de la nuit, ma mémoire noire.

C’est l’onirisme des voiles blancs sous lesquels frémissent le vent, les êtres fantomatiques, improbables, imparfaitement créés que moi seule je vois. Les embryons sont sous mes yeux aveugles.

Je suis devenue transparente, sans portes ni fenêtres. Un bloc de verre bleu, c’est ce que je suis. Captive du bleu, du vert. Je peins le vert de l’intérieur du verre. Je voudrais être créée, taillée, pour m’échapper. Différenciée. Non moi cette masse solide transparente. Non moi ces paupières de verre qui ne ruissellent que le bleu.

Mon créateur taille une main qui échappe, les veines en sont tranchées. La jambe est taillée, elle ruisselle de peinture grenat génitale. Elle aussi, elle échappe. Mais je ne peux me mouvoir. Je reste à l’intérieur, recroquevillée. La vulve éclate avec le soleil de la nuit. Prends-moi. Le désir naît.

Perceras-tu la glace pour venir jusqu’à moi ? Je n’attends plus qu’une chose : l’éternité́. Si elle s’en est allée ne reste plus que le vide.

Je pourrais aimer si l’on taillait ce cœur. Cœur aussitôt échappé́, souffrant. Le cœur est pris dans la glace sous la lune grise comme un couteau effilé qui pourrait couper bien des têtes ce soir.

Je suis l’œuvre finie de mon créateur. Transparente, mais sortie du verre. Mes longues jambes blanches se mélangent à la blancheur aveuglante de la nuit.

J’enroule les voiles de soie fine noire autour de ce corps qu’on m’a donné. Un corps trou, un corps rien. Sans organes, sans visage, ou alors avec tous les visages à la fois. Face à la glace, l’œil aveugle sort du reste du visage. La créature est morcelée, en vrac. Avec un cœur taillé oui, sans doute eussé-je pu vivre. Mais je ne suis d’aucun temps, d’aucune géographie. Je me laisse envelopper des rayons du soleil noir, je me laisse aspirer jusqu’à ma mort symbolique, mort-fusion. Jusqu’à l’énergie, le fleuve, l’oubli.

Je suis le fleuve et l’oubli. Je suis la mort. L’oubli de cette femme-là, qui s’adresse à moi : ma mère. Une autre réincarnation bientôt, peut-être, je l’espère. Cette vie ne me touche plus. Ces gens ne me touchent plus.

Je suis morte à cette vie.
La folie est mort à toute vie.

Qui je suis ? Je suis toutes les femmes qui n’ont pas de visage, qui ont faim, qui crient dans la nuit.

Où je suis ? Ailleurs. Mon corps repose dans le fleuve aux eaux glacées de l’oubli, c’est là que je suis, folle, Ophélie qui n’a pas eu de cœur, pieds et poings écorchés, corps de glace, vulve solaire.

Je voudrais sortir de mon tombeau de verre qui doucement glisse sur les eaux.

Il y a trois mille ans, j’eusse été́ prophétesse. D’ailleurs, la Pythie est à mes côtés lorsque je suis à mes visions. Aujourd’hui, mise en cage de verre par la société́, je sombre d’oubli en oubli le long du fleuve.

Le vaisseau de verre suit le long fleuve psychiatrique.

J’ai beau boire l’eau fraîche de la nuit, ma mémoire noire, je ne me rappelle pas la sortie en psychose. En est-il une ?

Je suis seule. Enfermée à l’intérieur de moi. La vulve-soleil éclaire le monde.

À mon chat, compagnon de mes sortilèges

8. Mon amour, issu de ma nuit

Fentes métalliques que la lune explose. Toi, l’absolument autre, Je t’ai engendré dans le sang de phosphore, ô Créature maléfique, par bien des incantations damnées.

Dans l’obscurité́, deux yeux d’éclipse grands ouverts.

Etoiles filantes qui dansent dans l’ombre.

Tracent leur chemin de lumière.

Scintillants et fugitifs, deux yeux crevés comme yeux de chat.

Zèbrent le noir de la nuit.
Mon lit, les eaux sombres éclairées de lune rousse. Une cascade de brume.
Au loin des tambours des cris.

Mon mur, la forêt.

Tu m’as protégée des tsiganes, soufflant leur feu incendiaire.

C’est la créature du mal c’est la bête sauvage. Les tsiganes ont pris peur.

Avec toi j’ai signé un pacte : Tu me tends tes reins constellés d’étoiles désirantes, ô mon unique amour en ton genre, et je t’apporte ces petites créatures innocentes dont tu raffoles tant : oiseaux écorchés vifs, sang de langues déchirées.

Je te veux de tes neuf réincarnations auprès de moi, car la sorcière rousse a besoin du vampire aux yeux maquillés.

Tu es si tendre que les charognes raffolent de tes morsures. Elles exhibent leurs boyaux percés au soleil. Et je lèche le sang séché́ sur tes lèvres. Mon amour, issu de ma nuit.

9. J’ai bu tous les poisons

J’ai bu le poison du sang noir qui coulait de tes veines À même tes poignets tranchés.
Toi et moi, issus du même lit.
La lune rousse se reflétait dans tes yeux

Ta lente agonie.

Tu m’as dit c’est mieux comme ça.

Je t’ai dit adieu.

Le poison blanc avait coulé sur mes lèvres, nectar des dieux impies

En pur délice.
J’étais encore une enfant, et toi déjà̀ coupable.
Tu voulais me quitter.
Toi et moi dans un seul corps. L’écume au bord des lèvres Tu as bu le poison
Et le ressac de la mer.
Au loin, le grondement du tonnerre.
Tu te déchaînes, tu pars, déjà̀.

Je reste, seule, avec mes sens interdits.
J’ai dix ans.
J’ai bu tous les poisons.
Toi, poisson-chat, tu ondules et glisses entre mes jambes. J’essuie l’écume et le sang.

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10. Charogne

Tu me fouillais, ton œil au bout du sexe. Moi, exhumée de la terre humide, froide. Les restes de ce qui était moi.
Une charogne.

Tu lissais mon crâne chauve entre tes mains.

J’avais bu le philtre, revenir c’était pour toujours, même d’entre les morts.

Revivre la même scène.

Y être condamnée.

Tu contemplais mes orbites, te perdais en divinations.

L’œil au bout du sexe. Ouvert.

La pupille, fente verticale, était éclaboussée de lune.

Tel un vaisseau de mort sur les flots d’argent du fleuve de l’oubli.

Je ne pouvais te voir, car je n’avais plus d’yeux.
Mais ma mémoire bafouée était intacte.
J’étais ta chose, et tout mon corps dispersé, immobile.

Je ne sentais pas, mais me souvenais de tout. Du viol, cette nuit là.
Du bruissement dans les arbres.
Des reflets blonds dans tes cheveux.

Du frémissement de tes mains autour de ma bouche.

Du long cou du cygne qui sombrait dans les flots et laissait derrière lui

Une pluie de brume et d’écume en vagues déferlantes. De l’oubli, même, je me souvenais.
Du goût du sang.
Du dégoût de mon enfance.

J’étais un cadavre, et tu enfonçais encore ton œil. Dans mes entrailles.
Mais tu te trompais, j’étais encore quelque chose. Ce doigt, putride, tendu vers le ciel.

Une racine qui relie la terre aux étoiles.
Un ongle couvert de boue qui s’enfonce dans ton œil. Le crève.

Crève, charogne !


 

 

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Catherine Andrieu

 

Née à Metz en 1978, Catherine Andrieu grandit au bord de la Méditerranée. Enseignant brièvement la philosophie, elle s’installe finalement à Paris en 2004 pour préparer l’agrégation mais abandonne toute pratique professionnelle suite à un grand bouleversement intérieur lié au suicide de son ami d’enfance et de cœur. Consacré à Spinoza, son premier livre paraît en 2009 chez l’Harmattan. Désormais tournée vers la poésie, la peinture, la jeune femme expose dans plusieurs galeries dans la capitale comme en province et publie une vingtaine de recueils, d'abord aux éditions du Petit Pavé, où elle a été découverte par Jean Hourlier, principalement aujourd'hui aux éditions Rafael de Surtis, dirigées par Paul Sanda. Catherine Andrieu vit depuis peu à Royan où elle poursuit son œuvre singulière tout en s'adonnant au piano. Ses chats ont une place privilégiée dans son cœur et dans son œuvre.

 

 

 

 

Créaphonie : Catherine Andrieu  

Francopolis, mars-avril 2023

Recherche Éric Chassefière

 

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Créé le 1 mars 2002