Le cri : de quel monde est-il arraché,
Qui, la fleur, la pierre, l’oiseau
Le pousse vers toi,
Marcheur perdu dans tes rêves
Qui attends
Dans ton corps en souffrance
Le mot qui brise le silence
Encore et encore
Le cri, le mot, la trace
Sans relâche
Pour retenir

(*)
Le corps en mouvement
Se lève, s’arrache
Pieds, mains, bras, jambes, tête
Lancés au plus haut
Pour défier l’eau, l’air, la terre elle-même
Qui ne portent plus rien
Parce que de corps il n’y a plus
Seule la matière subtile de l’âme
S’exprime dans cet instant
De volonté extrême
On voudrait parler de dépassement
Mais au-delà de quelles limites ?
Alors, on reste là, à regarder
Effrayé et fasciné à la fois

(*)
Tomber dans la nuit
Ça n’est pas si facile
De s’émerveiller
De la pierre polie par le temps
De la pulsation d’une étoile
Toutes ces choses immuables
Sur lesquelles on n’a de prise en rien
Alors s’accrocher au cri de l’animal,
Même lorsqu’il est effrayant ?
Battre l’air de ses mains pour ressentir le
vent
Jeter les jambes violemment contre les vagues
Marcher sur les braises après un feu d’été
S’étourdir du mouvement hypnotique d’une danse
On ne sait pas, on ne sait trop rien
De ce qu’il faut faire pour ne pas tomber dans
la nuit

(*)
Il me faut revoir ton visage
Il me faut revoir votre visage
Dans l’ombre bleue des cyprès
Sous le voile des paupières
Sous la fine peau
Du bourgeon prêt à éclater
Dans la pénombre de la chambre
A l’heure des fantômes
Attendus
Sinon que vaut l’attachement
Tissé au fil des heures
Envers et contre les déchirures
Mais quel visage choisir
Celui des heures bénies de la jeunesse
Que l’on n’a jamais embrassé
Celui des temps comptés
Que l’on a effleuré avec crainte
Avec la peur de le voir disparaître dans
l’instant
Celui des dernières respirations
Fermé sur une lutte intérieure
Qui ne se partage pas
Le visage de tous les visages
Perdus dans la mémoire
Perdus dans le grand silence
Sans qu’on n’y puisse rien

(*)
Ronde des heures
Ronde des heures
Ronde des ombres
La nuit est tombée sur le jardin
Le silence enveloppe les allées familières
L’enfant craintif n’ose pas s’aventurer
Mais le mystère nocturne l’appelle
Irrésistiblement
Saisissant notre main tout aussi tremblante
Il veut aller au-delà du miroir de la nuit
Son image pourrait bien disparaître
Un jour tout se dénouera, il le sait, mais là,
Lorsque l’émotion le saisit
La nuit est froide au cœur
Qui n’ose plus se faire entendre
Au diapason des plantes figées dans le noir
Des animaux repliés sur leur vie secrète
Qui ne se partage pas
Chaque être arrêté
Dans son mouvement de vie
Suspendu au silence du monde
Faut-il qu’ils soient bien seuls
Tous ces êtres éteints par la nuit
Avant le rêve qui viendra
Exprimer leurs angoisses et raviver leur joie

(*)
Une lente complainte monte en elle
D’où vient-elle, elle n’en sait rien
Elle lui est familière
Tantôt elle arrive sous un ciel d’hiver
Tantôt à la fin de l’été
Elle s’applique à n’en rien savoir
Cela dure un temps et puis
À nouveau la complainte est là
À qui à quoi peut-elle l’associer
Elle cherche en vain
Elle s’emploie à bouger le corps
À l’épuiser de bruits et de mouvements
Mais l’envie n’y est pas
Elle ne sait plus chanter
Plus même écouter la musique des autres
Elle attraperait bien l’oiseau à la gorge
Pour lui faire rendre son chant
Mais elle n’en a pas la force
Par habitude elle caresse
Le chat qui reste de marbre
Lui a trop bien compris
Elle s’absente, indifférente à toute chose
Et le drame est bien là
Elle ne sait plus où elle est
Elle ne sait plus comment bouger
Son cœur comme endormi
Son corps comme empierré
Sa bouche figée, ses lèvres serrées
Et la complainte qui enfle en elle
Sans un cri possible pour soulager l’étreinte
Il lui faut attendre des jours et des nuits
Et puis, par un matin clair, toute nuée
dissipée
Elle peut enfin respirer

(*)
Jeune fille mouvante
Qui échappe aux caresses
Belle, livide ou maladive
Incertaine présence au monde
Je veux savoir qui je suis
On pourra convoquer les oiseaux
Parce qu’eux seuls savent la suivre
Peut-être, dans ses divagations
Ou les papillons blancs,
Êtres folâtres s’il en est
Plus sûrement il faut aller
Vers les fleurs
Qui tendent leurs corolles
Dans le dernier sursaut
De leurs têtes écarlates
Arrachées à la terre
On la verra peut-être agenouillée
Enfin arrêtée dans son agitation
Perdue dans la contemplation
Du monde qui lui échappe
Elle n’émet aucun mot aucun chant,
Les yeux à demi fermés
Sur le silence de ses pensées
Sa musique à elle, répétée à l’envi
Je veux savoir qui je suis
Toute cette solitude sans fond
Incarnée dans cette fille volage
Tellement magnétique
Que l’on voudrait posséder
Mais que l’on n’approche jamais

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