1
Chevaux de
braises incandescentes
Qui traversent
la nuit en traits de feu
Comme des
comètes silencieuses
À souple
chevelure de lune
Si rapides
qu’elles ne laissent aucune trace
De lumière dans
tes yeux et ta mémoire d’enfant
Chevaux du
soleil qui s’enflamment
Et se consument
en cendres
Que l’air dépose
sur ton front au matin
En fines et
tièdes gouttelettes de lumière
2
Silex tranchant
des mots
Blessures à cœur
ouvert
Dans la chair
tendre des jours
Une goutte de
sang tombée du ciel
Coule sur ton
front comme un rêve d’azur
Dans la mémoire
périssable
Des jours et la
fragrance du soleil
S’enfonce l’épée
verticale du temps
À l’aplomb d’un
dernier rêve qui disparaît dans ton regard
3
Ton nom s’efface
lentement
Comme la fumée
d’un feu lointain
Et devient
cendres encore chaudes
Sur la pierre
des souvenirs
Tu n’es plus
qu’une trace
Invisible dans
la brume du matin
La nuit a
dissous tes derniers mots
Ta voix à peine
audible devient sèche
Et craque comme
une feuille morte
Que foulent tes
pieds nus
4
Raisin noir du
soleil
Dans la coupe de
tes mains
Ouvertes sur la
lumière
Qui s’attarde
sur tes lèvres
Jus savoureux du
poème
Dans la bouche
grande ouverte du ciel
Raisin blanc de
la lune
À l’ombre des
ceps endormis
5
Un soc d’étoile
laboure le ciel
La nuit s’amasse
dans tes rêves
Nuages qui
traversent le bref
Éclair des
désirs inassouvis
Ta peau nue
frissonne
L’amour devient
un baiser sur tes lèvres
Des fruits mûrs
tombent du soleil
En lourdes
grappes d’azur
Un soc d’étoile
laboure
La terre vierge
de ta naissance

6
Chaque poème
Est un brin
d’herbe
Que tu mâches
Entre tes dents
Et qui te
nourrit de sa sève
Comme un arbre
planté dans ta poitrine
7
La lumière
éblouit tes yeux
Le ciel dépose
ses couleurs
Sur le bleu
inversé des nuages
Que reflète
l’étang placide du soir
Il fait déjà
nuit dans ta voix
Tu t’endors sur
l’épaule des ténèbres
Dans la chambre
immense de tes rêves
8
Stèles du soleil
D’un bleu d’azur
Aux chiffres qui
se brisent
Comme ossements
des morts
Tombeau du silex
et de l’éclair
Pour honorer
l’absence et l’oubli
De tout amour
ancien égaré
Dans le gouffre
insondable du temps
9
Tu sais bien que
les pierres
Ne peuvent pas
parler
Ni même crier
quand tes pieds nus
Les écrasent
sans pitié
Mais il te plaît
d’imaginer
Que ces pierres
ont une vie
Et qu’elles
chantent de plaisir
Quand le soleil
leur épargne
Les brûlures de
ses flèches acérées
Ou qu’elles
gémissent de désespoir quand la grêle les assaille
Oui ces pierres
que tu ramasses chaque jour
Et qui prennent
la forme de tes mains
Tu penses
qu’elles ne sont pas
Une matière
inerte mais qu’elles ont
Une chair
savoureuse que tu prends plaisir
À goûter sur ta
langue et à mordre jusqu’au sang
10
Une porte refuse
D’ouvrir à ton
ombre
Par peur de
laisser le passage
À cet inconnu
qui te ressemble
Tu as beau
frapper de ton poing
Elle ne
s’entrebâillera même pas
On dirait une
bouche qui reste fermée
Pour qu’aucune
voix ne sorte de la tienne
Tu heurtes de
ton front le bois noueux
De cette porte
qui devient un ciel infranchissable
Reclus dans la
mémoire votive de tes mots
Comme un pâle
reflet de la mort aux aguets

12
Visage
Sans bouche
Ou bouche
Sans visage
Tu n’es que le
reflet
De ce que tu as
été
Au miroir de
l’absence
Et de l’oubli
12
Chaque mot est
une musique
Que module ta
voix d’oiseau
Arpèges qui
trouent le silence
D’un invisible
orchestre d’étoiles
Dans l’infini
désert du monde
Qui tremble et
respire en toi
Peuplé de vide
et d’absence
Au plus secret
des méandres
De ce cœur qui
bat à perdre le souffle
Dans ta poitrine
et ta mémoire perdue
13
Tu ne parles
aucune langue
Pas même celle
des oiseaux et des pierres
Tes mots n’ont
pas plus de sens
Que la secrète
énigme du ciel
Tu traverses à
l’aveugle la lumière des jours
Et ta voix
saisie par le froid devient muette
Comme celle du
temps que durcit
L’insondable
givre des souvenirs
14
Tu marches pieds
nus
Sur des tessons
de lumière
Des barbelés
s’enfoncent
Dans ta chair tu
saignes
À n’en plus
finir jusqu’à
L’épuisement
complet du corps
Il ne reste plus
sur les pierres des chemins
Que la mue sèche
de ce que tu as été
15
Au matin
Dans un
tourbillon
De lumière
Le vent pourpre
Dérobe aux
arbres
Le sang de leurs
feuilles
16
Le poème
Que tu viens d’écrire
N’est plus qu’une
Tache d’encre
Sur tes mains

17
Lumière
Qui ruisselle
Comme une cascade
De songes
Sur la peau nue
Des pierres
Et les mousses
Odorantes du ciel
18
Tu t’obstines à
écrire
Avec tes mots
les plus simples
Une ode à la joie de vivre
Ou le chant
mélodieux de la lumière
Mais tu n’es
aussi qu’un regard
De désespoir à
grand peine jeté
Sur ce monde en
ruines
Ou un cri
d’angoisse et de peur
Lancé dans les
ténèbres pour tenter
De combattre à
mains nues
Tous les
désastres et brasiers futurs
19
La neige
Comme un linceul
D’oubli
Tu te dévêts
De ta chair dans
Ses plis et replis immaculés
20
Tes pas annoncent
L’éclat futur d’une lumière
Qui viendra nimber d’ocre
Et de bleu chaque parcelle
De ta vie si prompte
À s’effacer dans tes rêves
Tu resteras allongé
Sur les pierres des chemins
Comme une mue d’insecte
Te laissant emporter par le vent
Et le ténébreux vertige de la nuit

21
Le soleil perd
Son sang
Comme une rose
Se fane
Sans un cri
De douleur
22
Temps suspendu
À tu ne sais quelle branche
D’un arbre millénaire
Qui n’existe que dans l’exil du vent
Loin de ce rivage céleste
Tes mots s’emplissent de lumière
Et s’effarouchent de ton ombre
23
La vie
Est aussi frêle
Que cette barque
Que tes mains ont
Creusée dans le bois
Friable de tes rêves
24
Le temps
s’apaise soudain
Comme la lumière
du soir
La mer n’est
plus qu’un lointain
Souvenir dans la
mémoire des vagues
Le ciel et les
nuages s’apaisent
Dans le silence
des jardins abandonnés
Tu n’attends
plus qu’un éclat de lune
Pour célébrer
les ténèbres de la nuit
Avec ton chant
de pécheur d’étoiles
Et ta voix
mélodieuse qui trace dans l’air
Le vol criard
d’oiseaux presque invisibles
Comme si tes
mots prenaient les formes
Et les contours
d’un inaccessible royaume
Où chaque pas
deviendrait une énigme
Pour qui voyage
dans les dédales du cœur
25
Fragile
Rompu
Ce fil ténu
De lumière
Qui s’étire
À se rompre
Sur le sol rêche
Du désespoir
À fleur de mots

26
Ne brise pas la lumière
De tes mains ou de ta voix
Laisse-la franchir les murailles
Du ciel et les miroirs à l’abandon
Qu’elle traverse ton regard
De sa lame d’azur et de feu
Qu’elle soit tout entière
La rebelle amante de ton poème
27
Le soleil dépose
un peu
De jaune sur les
tournesols
Van Gogh peint
le ciel de ses rêves
À larges aplats
de bleu courbé vers la terre
Tu respires
l’âcre ou suave parfum
Des fleurs et la
douce clarté des étoiles
Le vent rougit
de son sang vierge
Les cimes
enneigées de l’amour
La nuit
s’enroule autour des arbres
Et s’endort dans
l’antre de ton poème
28
Plus aucun minotaure
Ne hante les labyrinthes du soleil
Plus aucun dieu ne foudroie
Les imprécations des vivants
Seuls les morts recousent
Leur propre linceul
Avec fil et aiguilles du temps passé
À jamais perdu dans le silence de leurs pas
29
Ne plus
Parler
Oublier
Même
Le silence

©François Teyssandier
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