Monsieur Cogito (Zbigniew Haerbert)... Log Out | Thèmes | Recherche
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mary
Envoyé samedi 10 avril 2004 - 19h43:   

(pour Hélène Zbigniew Herbert )


Ce que pense Monsieur Cogito de l'enfer


Le plus bas cercle de l'enfer. Contrairement à l'idée la plus répandue, il n'est habité ni par les despotes, ni par les matricides, ni par ceux qui cherchent le corps des autres.
C'est un asile d'artistes rempli de miroirs, d'instruments de musique et de tableaux. Au premier coup d'œil c'est le plus confortable compartiment infernal, sans goudron, ni feu, ni tortures physiques.


Toute l'année se déroulent ici des concours, des festivals et des concerts. La pleine saison n'existe pas. La plénitude est permanente et presque absolue. Tous les trimestres se forment les nouvelles écoles et rien, à ce qu'il paraît, n'est capable de freiner ce triomphal défilé d'avant-garde.


Belzébuth aime l'art. Il se vante que ses chorales et ses poètes sont près de surpasser les célestes. Celui qui a le meilleur art a le meilleur gouvernement - c'est clair. Bientôt ils pourront se mesurer pendant le Festival des Deux Mondes. Et à ce moment nous verrons bien ce qu'il restera de Dante, Fra Angelico et Bach.

Belzébuth soutient l'art. Il assure à ses artistes le calme, la bonne nourriture et l'isolation absolue de cette vie infernale.





Monsieur Cogito lit son journal


Sur la première page
communiqué sur la mort de 120 soldats

La guerre durait longtemps
on peut s'habituer

Juste à coté l'information
sur un meurtre à sensation
avec le portrait du meurtrier

l'œil de Monsieur Cogito
se glisse indifféremment
sur l'hécatombe de soldats
pour se plonger avec délice
dans la description de la macabre quotidienne

un trentenaire ouvrier agricole
à la suite d'une dépression nerveuse
a assassiné sa femme
et ses deux petits enfants

on livre méticuleusement
le déroulement du meurtre
la position des corps
et autres détails

120 morts
vainement on cherche sur la carte
la distance est trop grande
elle les couvre comme la jungle

il ne parle plus à l'imagination
ils sont trop nombreux
le chiffre zéro à la fin
les transforme en abstraction
sujet à méditer :
l'arithmétique de la compassion
Zbigniew Herbert

Monsieur Cogito et mouvement de la pensée

Pensées tournent dans la tête
dit expression populaire
expression populaire surestime le mouvement de la pensée
la majorité entre - elles
stagne
au milieu d'ennuyant paysage
de grises collines
des arbres desséchés
parfois ils arrivent
jusqu'à torrentielle rivière des pensées d'autrui
ils s'arrête sur le bord
sur une jambe
comme les affamées hérons
avec la tristesse
ils se souviennent de sources vidés
ils tournent en rond
en cherchant la graine
ils ne vont pas
ils n'arriveront pas
il n'y pas où
ils restent assis sur une pierre
se tordent des mains
sous le bas
nuageux
ciel
du crâne


Monsieur Cogito médite sur la souffrance

Toutes les tentatives d'éloigner
le fameux calice d'amertume -
par la réflexion
l'action militante en faveur des chats sans logis
le travail sur le souffle
la religion - toutes
ont échoué

il faut s'y faire
baisser doucement la tête
ne pas se tordre les mains
user la souffrance avec mesure et douceur
comme d'une prothèse
sans fausse honte
mais aussi sans orgueil inutile

ne pas brandir un moignon
par-dessus la tête des autres
ne pas frapper d'une canne blanche
à la fenêtre des repus

boire l'extrait d'herbes amères
mais point jusqu'au fond
laisser par précaution
quelques gorges pour l'avenir

prendre
mais en même temps
distinguer en soi - même
et si cela est possible
changer la matière de la souffrance
en quelque chose ou en quelqu'un

jouer
avec elle
bien sûr
jouer

plaisanter avec elle
très prudemment
comme avec un enfant malade
pour lui arracher à la fin
par quelques trucs et pitreries
l'ombre
d'un sourire


Zbigniew Herbert/trad. Alfred Sproede




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Hélène
Envoyé samedi 10 avril 2004 - 20h02:   

Merci Mary
j'aime cette pointe d'humour pour parler de choses tristes de la vie
quant à cet enfer j'ai bien envie de faire des tas de bêtises pour y aller !

ce que j'apprécie c'est qu'enfin un auteur qui parle des réalités du monde le fasse à la fois avec exactitude et poésie c'est rare.

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