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Morgane
| Envoyé vendredi 12 septembre 2003 - 05h31: | |
Deux grands textes qui se répondent et qui chacun à leur façon nous parle du québec, le premier celui d'une québecoise plaidant sa cause à ces vils colonisateurs, le second, en réponse, d'un italien immigré dans ce même Québec et qui remet tout en cause. Speak white de Michèle Lalonde Speak white il est si beau de vous entendre parler de Paradise Lost ou du profil gracieux et anonyme qui tremble dans les sonnets de Shakespeare nous sommes un peuple inculte et bègue mais ne sommes pas sourds au génie d'une langue parlez avec l'accent de Milton et Byron et Shelley et Keats speak white et pardonnez-nous de n'avoir pour réponse que les chants rauques de nos ancêtres et le chagrin de Nelligan speak white parlez de choses et d'autres parlez-nous de la Grande Charte ou du monument à Lincoln du charme gris de la Tamise de l'eau rose du Potomac parlez-nous de vos traditions nous sommes un peuple peu brillant mais fort capable d'apprécier toute l'importance des crumpets ou du Boston Tea Party mais quand vous really speak white quand vous get down to brass tacks pour parler du gracious living et parler du standard de vie et de la Grande Société un peu plus fort alors speak white haussez vos voix de contremaîtres nous sommes un peu durs d'oreille nous vivons trop près des machines et n'entendons que notre souffle au-dessus des outils speak white and loud qu'on vous entende de Saint-Henri à Saint-Domingue oui quelle admirable langue pour embaucher donner des ordres fixer l'heure de la mort à l'ouvrage et de la pause qui rafraîchit et ravigote le dollar speak white tell us that God is a great big shot and that we're paid to trust him speak white parlez-nous production profits et pourcentages speak white c'est une langue riche pour acheter mais pour se vendre mais pour se vendre à perte d'âme mais pour se vendre Speak What de Marco Micone Il est si beau de vous entendre parler De La Romance du vin et de L'Homme rapaillé d'imaginer vos coureurs des bois des poèmes dans leur carquois nous sommes cent peuples venus de loin partager vos rêves et vos hivers nous avions les mots de Montale et de Neruda le souffle de l'Oural le rythme des haïkaï speak what now nos parents ne comprennent déjà plus nos enfants nous sommes étrangers à la colère de Félix et au spleen de Nelligan parlez-nous de votre Charte de la beauté vermeille de vos automnes du funeste octobre et aussi du Noblet nous sommes sensibles aux pas cadencés aux esprits cadenassés speak what comment parlez-vous dans vos salons huppés vous souvenez-vous du vacarme des usines and of the voice des contremaîtres you sound like them more and more speak what now que personne ne vous comprend ni à St-Henri ni à Montréal-Nord nous y parlons la langue du silence et de l'impuissance speak what « productions, profits et pourcentages » parlez-nous d'autres choses des enfants que nous aurons ensemble du jardin que nous leur ferons délestez-vous des traîtres et du cilice imposez-nous votre langue nous vous raconterons la guerre, la torture et la misère nous dirons notre trépas avec vos mots pour que vous ne mouriez pas et vous parlerons avec notre verbe bâtard et nos accents fêlés du Cambodge et du Salvador du Chili et de la Roumanie de la Molise et du Péloponnèse jusqu'à notre dernier regard speak what nous sommes cent peuples venus de loin pour vous dire que vous n'êtes pas seuls
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