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Mary
| Envoyé samedi 13 septembre 2003 - 11h00: | |
Tadeusz Rozewicz Premier amour I. J’avais seize ans je marchais dans un parc j’appuyais mon front contre un arbre je pleurais Personne ne m’a fait du mal le silence régnait au parc d’où venaient mes larmes Personne ne m’a demandé je n’ai rien dit à personne Je courais à la maison je criais j’ai faim, j’ai faim mais j’étais amoureux J’ai rempli la maison de rire Personne ne m’a demandé pourquoi j’ai ri J’ai vu Marie j’ai vu Marie Je vois Marie Elle va à l’école dans son manteau bleu – marine avec son insigne bleu elle marche dans le soleil de mai dans les rayons de la pluie elle illumine ma mémoire comme une brumeuse rivière (une brumeuse rivière) plus claire d’une année à l’autre jusqu’à la disparition. II J’avais dix-huit ans J’ai couru au travers d’un champ dans la lumière jaune du soleil de septembre quand les avions sont arrivés je suis tombé Oh ! écrasante image du ciel mécanique avec mes lèvres je touchais la terre (mes lèvres touchaient la terre) J’avais dix-huit ans quand la première fois j’ai vu Marie nue Je n’exprimerai jamais sa frayeur son dernier soupir propulsé à l’intérieur de ses poumons je n’exprimerai pas ses secousses des pleures d’une jeune vie quand la mort s’approche non l’amour L’air brûlant lui arrachait sa robe elle était allongée sur le champ nue dans la fumée et dans le sang mes mains tombées mes mains qui n’ont jamais touché son corps vivant mes yeux levés Le tueur montait argenté déjà luisant comme une aiguille qui coud le ciel irréel elle était allongée déshabillée par l’air hurlant et le feu elle était allongée sous le soleil oblique jaunissant au milieu d’un fumant paysage au milieu du premier jour de la guerre les jambes allongées au long des sillons non achevés comme un blanc agneau mort. III La Terre d’un soupir plus légère morte vide. IV Larme de dix-huit ans sous le ciel au-dessus de la terre larme tombant comme ce jour sur tous les temps sur toutes les planètes et les étoiles larme perçant le ciel et la terre tombant sur les capitales des villes capitalistes sur l’éternelle Rome larme volant à travers l’obscurité de la nuit à travers des littoraux d’azur à travers des bosquets d’oranges l’arme tombant sur les cheveux des amoureux quand ils se rejoignent comme l’eau de rivières inconnues Le tueur montait argenté luisant sans nom sans visage Mais moi j’ai reconnu pour toujours ceux qui l’ont envoyé pour tuer Marie. 1953 / trad. Mary
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Aglaé
| Envoyé samedi 13 septembre 2003 - 13h02: | |
"Je courais à la maison je criais j’ai faim, j’ai faim mais j’étais amoureux" C'est beau quand le poète, ou le traducteur, trouve les mots les plus simples pour dire quelque chose de subtil... Tout le poème est dramatique...merci Mary |
   
Luys Ramet
| Envoyé mardi 21 octobre 2003 - 17h45: | |
Mary toi aussi tu es différente lorsque tu choisis en poésie autant que tu l'es dans la réalité, mais le contraire aussi est vrai. Je ne sais pas pourquoi je n'arrive pas à écrire des "choses" gaies comme quand je parle (te).
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