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Patrick Packwood
Envoyé dimanche 30 mars 2003 - 09h23:   

LA LUNE
par Patrick Packwood

Le crépuscule. A l'ouest, derrière les montages, dans un dernier rougeoiement, le soleil terminait son lent déclin. La nuit. La nuit avec sa magie, ses ombres inquiétantes, son calme et sa compagne: toute de blanc vêtue, ronde, pleine, mystérieuse, la Lune!

La Lune...

Elle montait doucement, faisant scintiller deux petits nuages qui s'attardaient paresseusement pour la contempler. A ce moment, elle ne dépassait que les cimes hautes de la Forêt Noire. Elle s'amusait avec les branches dénudées des arbres pour créer de mystérieux jeux d'ombres. Mais plus tard, elle serait haute dans le firmament étoilé et alors...

* * *

Pierrot était soucieux. C'était pourtant l'un des moments de la journée qu'il affectionnait le plus: juste avant de s'endormir, il buvait une tisane, confortablement installé dans un grand fauteuil douillettement cousiné. Mais le front plissé par le froncement de ses sourcils épais et broussailleux trahissait son inquiétude. Et il avait raison de se faire du soucis.

Il avait perdu la plume de Criveïn le Poète.

Pierrot était un Elfe. Et un jeune Elfe: à peine 120 ans. Et c'était cette jeunesse qui lui causait tant de problèmes. Il était instable et se jetait corps et âme dans toutes sortes de projets qu'il abandonnait après quelque temps. Et encore, si ça n'était que cela! Pour couronner le tout, il était très distrait et il passait son temps à oublier les besognes qu'il devait faire et en plus, il perdait tout.

Et c'était justement la perte de cette fameuse plume qui le mettait dans un tel embarras. Perdre la plume que le doyen des doyens des Elfes, Pergrïen, avait donné avec tant de bonté à Criveïn.

"Il faut vraiment que je sois dans la lune pour perdre un tel objet précieux" se dit Pierrot. Il était vraiment désespéré. Il devait justement remettre la plume au Poète le lendemain. Il avait cherché partout et il n'avait rien trouvé. Pierrot ne se rappelait même plus où et quand il l'avait égaré.

Il se résigna à apprendre la triste nouvelle à Criveïn au moment où il devait remettre la plume. Et dire qu'il avait emprunté le cadeau de Pergrïen parce qu'il désirait devenir poète comme Criveïn. Mais ça n'avait été qu'une passade et maintenant, il voulait devenir astronome.

"Jamais plus je ne ferai de pareilles sottises! Et à l'avenir, je serai plus attentionné à ce que je ferai" se promit un Pierrot passablement abattu en se couchant. Mais le sommeil ne venait pas, tourmenté qu'il était par la pensée de devoir affronter la colère de Criveïn.

* * *

La Lune continuait silencieusement sa course à l'assaut du ciel. Déjà, elle en était au tiers de son trajet. Comme Pierrot se couchait, un rayon de lune vint frapper, en passant au travers de la petite fenêtre de la chambre, la commode de chêne qui était à la droite du lit de Pierrot où il avait finalement sombré dans un sommeil agité après de longues minutes d'insomnie.

* * *

Plus la Lune se dirigeait vers l'ouest, plus le rayon lunaire déviait vers la gauche, vers le lit de Pierrot. Bientôt, la Lune fut à son plus haut et alors elle éclairait faiblement le visage de Pierrot qui maintenant dormait paisiblement sur le dos, enfin calmé.

* * *

Soudain, Pierrot s'agita dans son lit. Sous la couverture, son pied gauche remua, puis l'autre. Une jambe se plia, se déplia. Son torse poilu se redressa et il ouvrit les yeux, des yeux hagards. Comme subjugué, il s'assit, se leva, s'habilla. Il sortit de sa maisonnette de bois et se dirigea vers l'établi de son ami Vercaïn le Forgeron.

Lorsqu'il y entra, Vercaïn était dans le même état que lui: les yeux atones, ses bras, pourtant si puissants, étaient mous et pendants et ses énormes mains étaient crispées. Ils se regardèrent un instant dans les yeux. Puis, ils s'activèrent, l'un forgeant de minces feuilles dans l'or le plus pur, l'autre préparant une étrange mixture. Ils travaillèrent ainsi pendant tout le reste de la nuit.

* * *

Le soleil commençait déjà à poindre à l'horizon lorsqu'ils terminèrent leur étrange ouvrage. L'objet était constitué d'un cylindre avec, à un bout, un petit bouton. A l'autre extrémité, il y avait un petit trou par lequel on pouvait voir une petite pointe légèrement enfoncée dedans.

Vercaïn, toujours en transe, monta pesamment les marches de l'escalier qui conduisait de sa forge à sa chambre. De son côté, Pierrot écrivit quelques lignes sur un bout de papier qu'il enroula autour du curieux objet. Puis, il se dirigea vers la hutte de Criveïn le Poète. Arrivé là, il déposa soigneusement et silencieusement le petit colis et repartit tout aussi silencieusement chez lui.

Rendu à son logis, il se coucha et ferma les yeux.

Le soleil était complètement levé alors.

Et la Lune, elle, venait de se coucher.

* * *

Il semblait à Pierrot que l'on criait son nom lorsqu'il s'éveilla. Il crut que c'était dans son rêve. "Quel rêve étrange en vérité" pensa-t-il. Mais il entendit de nouveau son nom. La bouche pâteuse, il sauta du lit et il se dirigea vers sa fenêtre. Il vit un Elfe sur le sentier qui regardait dans sa direction.

- Qu'est-ce qu'il y a? demanda Pierrot à son congénère.

- Tu dois aller chez Criveïn le Poète sans tarder! lui fut-il répondu.

- Merci! répondit simplement Pierrot. Et il se rappela la plume qu'il devait remettre ce matin-là.

* * *

Un peu inquiet, Pierrot marchait lentement vers la maison de Criveïn lorsqu'il vit celui-ci en plein milieu de la place du village des Elfes avec la foule agglutinée autour de lui. "Ça y est! se dit Pierrot, je vais être déshonoré devant tout le monde". Des larmes lui montèrent aux yeux. Il s'approcha du Poète.

- Je... commença-t-il.

- Du calme, l'interrompit le laid Criveïn. Car le Poète avait un physique ingrat: un crâne bosselé surmonté de cheveux gris clairsemés, des sourcils gris encore et épais, de petits yeux perçants d'un bleu délavé, des paupières saillantes, un nez crochu, une bouche taillée au couteau, une barbiche jaunâtre que supportait un menton pointu et proéminent et, pour finir, une peau aussi ridée qu'un vieux parchemin oublié. Mais personne ne se préoccupait de sa laideur. Criveïn était un Sage. Il devait bien avoisiner les 700 ans. Il était grand pour un Elfe, avait le dos voûté et se tenait sur une canne pleine de noeuds.

Le vieux Poète présenta sa main droite, qu'il avait tenu derrière son dos, devant le nez retroussé de Pierrot. Elle portait la curieuse chose que Pierrot et le Forgeron avait fabriquée la nuit.

- Sais-tu d'où cela vient? demanda d'une voix douce le vieillard.

- Heu... non, répondit Pierrot d'une voix hésitante.

- Pourtant, il y avait ce papier avec, poursuivit le Poète.

Et il montra le papier sur lequel Pierrot avait écrit quelques mots.

- Lis, dit Criveïn.

- Heu... "Cher Criveïn le Poète," lut Pierrot, "je suis désolé de vous apprendre que j'ai perdu votre précieuse plume, don de Pergrïen. Pour la remplacer, je vous offre ce présent en espérant qu'il vous plaira. Signé: Pierrot".

Les pensées de Pierrot se bousculaient dans sa tête. Il sursauta lorsque le Sage lui demanda, toujours d'une voix de miel:

- Pierrot, sais-tu quel est le nom de cette chose?

- Un... un stylographe..., je crois, se dépêcha d'ajouter Pierrot. La foule réunie autour d'eux poussait des oh! et des ah! d'étonnement mais Pierrot était tout aussi surpris d'entendre ces mots lui sortir de la bouche.

- Et tu sais comment cela fonctionne? l'interrogea de nouveau le Poète.

- Non! Et... Il crut perdre la tête. Il sentit ses pieds se dérober sous lui: il perdit connaissance.

* * *

Les mythologies anciennes en ont fait une divinité. Les tribus anciennes l'on craint et l'ont glorifiée. Les poètes du monde entier l'ont célébré et chanté.

Toute de blanc vêtue, ronde, pleine, mystérieuse: la Lune!

La Lune...

Assez puissante pour influencer le mouvement des océans immenses. Assez puissante pour influencer les hommes et les bêtes...

* * *

Remit de ses émotions, Pierrot marchait lentement sur le chemin dans la Forêt Noire. La Lune éclairait le sentier, guidant ses pas. Il déambulait ainsi depuis des heures. Il réfléchissait aux derniers événements. Il ne savait trop que penser. Mais il avait pris une décision: il ne serait jamais astronome.

Il était sur le chemin de retour, ruminant encore ses sombres pensées. Puis il vit quelqu'un qui approchait. Il reconnut la silhouette cassée de Criveïn le Poète. Le vieillard le rejoignit et ils marchèrent ensemble. Le Poète semblait un peu essoufflé. Il dit en haletant:

- Tu sais, il fonctionne très bien ton heu... stylographe.

Pierrot lâcha un léger soupir. Le vieillard s'en aperçut. Il voulu le réconforter:

- Je n'ai pas de rancune. Je ne t'en veux pas d'avoir perdu la plume. Après tout, j'ai le stylographe. Et il est en or! Je m'en suis même déjà servi. Je t'ai écrit une chanson, spécialement pour toi! Tu veux l'entendre?

- Oui..., répondit Pierrot d'un ton las.

La Lune était haute dans le firmament étoilé. Une voix douce, toute de miel, s'éleva soudain dans le silence de la Forêt Noire.

Au clair de la Lune
Mon ami Pierrot
Prête-moi ta plume
Pour écrire un mot...


Montréal, septembre 1980

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