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Patrick Packwood
Envoyé mardi 25 mai 2004 - 01h36:   

LE RUSTAUD, LE MOLOSSE ET L'APPRENTI-POÈTE

Je déambulais sur un trottoir, un lourd sac à la main. Vint à ma rencontre un rustaud et son cabot. Le chien semblait promener le maître tant celui-ci avait grand peine à contrôler ses ardeurs. Impasse. Un bâtiment accolé à la voix publique et une rangée de voitures stationnées interdisaient que l'un cède le passage à l'autre sans reculer.

"Enwèye, 'eurcule le twit !"* me lança le colosse pendant que je me tenais à l'extrémité canine et grondante de la laisse tendue.
"Ramenez votre chien au pied et nous pourrons tous passer, monsieur!" répondis-je.
"J'lâche mon chien si t'eurcule pas, maudite tête dure!" me répondit-il fort incivilement.
"Et moi je vous enverrai de la poésie, monsieur!" lui répondis-je élégamment et sans bouger d'un pouce**.
Le costaud s'esclaffa et le clébard montra ses dents tout en tirant et en gagnant quelques pouces vers ma personne. La brute vacilla légèrement.

Mon sac contenait quantité de recueils de poésie. Je profitai de la légère perte d'équilibre du matamore pour en sortir une lourde anthologie de la poésie française qui se prenait bien en main. J'élevai le bras, la masse du tome bien en évidence. La brute jeta un coup d'oeil puis roula par terre, en proie à un véritable fou-rire. Le nez répugnant de la bête vint flairer mes pantalons alors que ses dents monstrueuses happaient le vide en claquant sinistrement.

"Ç't'avec un liv' qu'tu veux m'planter, 'stie d'fif de nerd ?"*** me demanda l'homme à travers ses hoquets et ses larmes de rire. Bien que très fort, il n'en pouvait plus de tenir la laisse, de retenir son chien qui inondait de bave mes chaussures.

Plusieurs choses se passèrent en même temps. Le chien referma sa gueule sur le pli de mon pantalon pendant que je sautai de côté pour éviter que ses crocs ne pénètrent ma chair tout en lançant l'anthologie directement sur le front de l'armoire à glace.

Il perdit son sourire, trop occupé à compter les étoiles poétiques qui venaient de lui monter à la tête. Le molosse, assez étrangement, s'immobilisa, comme en attente.

"Je..." anonna-t-il.
"Pourquoi votre chien est-il si agressif et agité ? Il y a des écoles de dressage, il me semble." lui demandai-je tout en m'approchant lentement pour récupérer mon recueil qui gisait sur le béton, quelque peu écorné mais auquel je tenais maintenant encore plus.
"C'é moué qui l'a élevé..." marmonna le rustre tout en baissant les yeux sur les pages ouvertes de l'anthologie. Il lut à haute voix, d'une façon hésitante puis de plus en plus fluide :


RETOURNE SUR TES PAS

Retourne sur tes pas ô ma vie
Tu vois bien que la rue est fermée.

Vois la barricade face aux quatre saisons
Touche du doigt la fine maçonnerie de nuit
dressée sur l'horizon
Rentre vite chez toi
Découvre la plus étanche maison
La plus creuse la plus profonde.

Habite donc ce caillou
Songe au lent cheminement de ton âme future
Lui ressemblant à mesure.

Tu as bien le temps d'ici la grande ténèbre :
Visite ton coeur souterrain
Voyage sur les lignes de tes mains
Cela vaut bien les chemins du monde
Et la grand'place de la mer en tourment

Imagine à loisir un bel amour lointain
Ses mains légères en route vers toi

Retiens ton souffle
Qu'aucun vent n'agite l'air
Qu'il fasse calme lisse et doux
À travers les murailles
Le désir vole rôde et poudre
Recueille-toi et délivre tes larmes
Ô ma vie têtue sous la pierre !

Anne Hébert, LE TOMBEAU DES ROIS, 1953


Puis il continua de lire silencieusement, au gré du vent qui faisait tourner les pages. Après quelque temps, il releva la tête.
"J'l'ai privé de manger, c'te pauvre bête. J'l'ai maltraité jusqu'à ce qu'il devienne méchant comme moi. Je voulais le contrôler, le forcer à m'aimer. Que l'ordre le plus brutal soit pour lui comme une tendresse, que les coups les plus violents lui soient caresses. Ah, écoutez-moi parler maintenant monsieur. Moi-même je ne me reconnais plus. J'ai du prendre un vers de trop..."
À ces mots, le chien sursauta et glapit. Puis il fixa son maître, son ex-maître. Il courut, passant en trombe entre nous, sauta sur la poitrine du colosse, le renversa, lui arracha le coeur dont il fit repas.

Il revint vers moi, les oreilles et la queue basses, lentement. ll avait les yeux noyés et le pourtour de la gueule maculé de sang. Il lécha ma main de sa langue. Et s'en alla. Je rentrai chez moi, le passage étant maintenant dégagé.

Je rangeai mes livres puis je fouillai dans mes tiroirs. Je me suis ensuite installé devant ma table, ma main tenant une plume, la même main que le chien avait léché et sur laquelle sa bave n'avait pas encore séché.

Je commençai à écrire...


Patrick Packwood
- 24 mai 2004 -


* "Allez, recule p'tit con !"
** Un pouce équivaut à environ 2,5 centimètres.
*** "C'est avec un livre que tu veux me battre, putain de mauviette d'intello ?"
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original ...
Envoyé mardi 25 mai 2004 - 08h20:   

humour poésie et récit tu as tout réuni. et même une dose de suspense.
c'est très original et merci pour les traductions en bas de page.
et dans la région où je suis née ou dit aussi " eurcule" j'était bien contente de comprendre un mot de québécois
avec un sourire
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Patrick Packwood
Envoyé mercredi 26 mai 2004 - 04h33:   

Allô ! :-)

Pardonnez-moi pour les MULTIPLES fautes (gloups rouge tomate) dans le texte original. La "voix" au lieu de la "voie", c'est pas fort fort...
Remplacez aussi "brûte" par "brute", "anôna" par
"ânnona", "courru" par "couru", "parlez" par "parler",etc... Et bien sûr, c'est le pourtour et non la gueule qui est "maculé".

Et merci à Anne Hébert ! :D Grâce au ciel, je n'ai pas fait de fautes en recopiant son extrait... (du moins je ne crois pas)

Merci beaucoup d'apprécier autant chère et discrète commentatrice. :-)))))

Patrick
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Leezie
Envoyé mercredi 26 mai 2004 - 07h40:   

Je vais corriger, Pat !
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Patrick Packwood
Envoyé mercredi 26 mai 2004 - 09h25:   

Merci Isableeziel ! :-)


Pat

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