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Leezie
| Envoyé vendredi 29 octobre 2004 - 15h43: | |
« J’aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer J’aime les gens qui passent moitié dans leurs godasses Et moitié à côté » (A. S.) Le volet C’est une histoire simple, celle d’Aimé Sauveyre et de Soleil, et aussi d‘un simple volet de bois, vert comme un volet du sud, un simple vert de tige. Sauf que Soleil ne s’appelle pas vraiment Soleil, mais autrement. Sinon, tout s’est passé comme il est dit, lorsque Soleil a eu quatre ans, puis huit années plus tard, puis quand elle en a eu beaucoup beaucoup plus et qu’elle a vu partir Aimé Sauveyre d’une façon incompréhensible. Soleil s’appelait Soleil, c’était un jeu à l’intérieur (elle ne pensait pas sérieusement luire comme ça toute la journée), et un miroir, parce qu’elle osait se parer de la chaleur d’un autre. Aimé Sauveyre était son vrai soleil pour de très grave. Il était grand, elle le constatait chaque fois qu’il ramenait dans ses valises des animaux en plastique compliqués, et qu’il fallait grimper sur ses jambes tendues de tweed, s’installer sur les cuisses. Il était lumineux, comme le prouvait le jaune étincelant de sa tête, il dégageait de la chaleur, elle le ressentait lorsque ses bras la serraient fort. Même si elle ne le voyait pas très souvent, Soleil se disait que, l'un dans l'autre, elle avait de la chance d’avoir un Aimé dans sa vie. Il fallait bien cela pour traverser les ignobles noires luisantes rues du port, emplies de marins sauvages. Son cœur battait alors si violemment que, sans la main d’Aimé Sauveyre dans la sienne, la traversée aurait été bien difficile. Il faut l’avouer, il y eut un moment où Soleil se demanda si son Aimé avait du courage. Pourquoi cette question était-elle importante? Elle ne le savait que vaguement, mais en tout cas elle se la posait : un mouvement de femme, une de ces passions qui leur prend quand elles aiment jouer à la chair, et que leur amoureux de douze ans doit se muer en capitaine de navire. Quelque chose comme ça. Aimé avait bien plus de douze ans, naturellement, mais les Soleil ne sont pas toujours cohérentes. A cette époque, justement, des marins bien moins sauvages qu’avant étaient arrivés près de sa fenêtre. Ils étaient noirs, américains et fascinants. Elle les regardait passer en écoutant leur langue étrange, et se posait des centaines de questions. D’où venaient-ils réellement? Pourquoi étaient-ils si nombreux cet été? La mer était couverte de longues silhouettes claires et grises, porte-avions, vaisseaux de guerre, sous marins… Maintenant, elle sait que dans la nuit très douce les hommes noirs chantaient « swing low sweet chariot comin’ for to carry me home », elle sait que les gospels sont une chanson de Dieu et que les polyphonies possèdent une gravité de racines. Mais à l’époque, elle ne savait rien, sinon que son corps entier de fille se transformait en une argile très malléable, et qu’à chaque passage, son sang transportait le désir identique et incommensurable de trouver enfin sa vraie maison. Une nuit un volet de l’immeuble voisin d’Aimé Sauveyre se mit à battre violemment. Il regarda par la fenêtre. En bas, un homme noir faisait un signe « vite, vite !! Venez m’aider !! » Récupérant bretelles, caleçons et maillot de corps, il se précipita. Un mastodonte complètement ivre s’employait, pensif, à massacrer un jeune homme et une jeune femme, chacun de ses énormes coups de poing mettait en branle le volet massif de la fenêtre, et la nuit résonnait brutalement des battements sinistres. Au milieu d ‘un véritable bain de sang, Aimé Sauveyre et le jeune noir maîtrisèrent le mastodonte, le couple voisin leur dut de continuer leur existence, et tout se termina presque bien. Aimé fut félicité par le haut commandement étranger. Puis par le français. Le jeune noir eut des ennuis. De cela, Soleil tira trois enseignements précieux et solides : que les volets ont leur importance, que son Aimé avait du courage, et qu’il ne fait pas bon être noir en Amérique. xxx Malgré son air un peu innocent et son physique de maladresses, Aimé Sauveyre avait parfois des fulgurances. Par exemple, il se transportait en esprit dans l’espace, prévoyait le futur, faisait des rêves prémonitoires. Soleil apprit ainsi la mort du pape quarante huit heures avant tout le monde, parce que, tout en bourrant sa pipe, Aimé lui avait tranquillement annoncé l’événement qu’il disait avoir entendu à la radio. « Mais… il n’y a pas de radio, ici… » « - Ah? » Ses informations parcellaires touchaient parfois des domaines grotesques, comme le jour où il dit à Soleil que Jeanne, sa meilleure amie (à cet instant même occupée à doubler un cap irlandais en solitaire) portait une chaussette rouge et une chaussette jaune. La meilleure amie confirma. Aimé disait que lui et Jeanne étaient tous les deux tirés de la même âme, que cela arrivait, que certains êtres étaient doubles. Et ils avaient un arrangement, tous les deux : Jeanne avait dit qu’elle le préviendrait en mourant, par le battement de ses lourds volets verts. Et lorsque Jeanne mourut, terriblement, de cette maladie qui dévore et qu’on ne nomme pas, Aimé se réveilla brutalement, arrêta dans son esprit les battements furieux du volet vert tige qui résonnait dans l’aube, et le matin dit à Soleil : « Jeanne est morte ».Puis il ajouta qu’il la préviendrait, elle aussi, de la même manière. Tout au milieu de ses sanglots, Soleil se sentit rassérénée, le monde lui en parut moins difficile. Mais lorsqu’il fut parvenu, lui aussi ,au dernier stade de la maladie qui dévore, Aimé Sauveyre fut transporté dans un village de Provence,, dans un petit hôpital fameux pour les soins que l’on y donnait aux patients en phase terminale. Tout se passa très vite. A peine Soleil eut-elle le temps de localiser le petit village sur la carte (dans les Baronnies, juste à côté du Toulourenc), à peine eut-elle le temps de rechercher sur internet tous les moyens de le rejoindre et de l'accompagner, qu'un matin il ramassa ses forces, prit son élan pour le passage, et mourut sans la prévenir. Soleil sortit la nuit suivante et les mains étendues en pleurant dit sous la lune : "Aimé, pourquoi m'as-tu abandonnée?" Je pourrais rajouter de multiples détails, dire que Soleil prit dans sa main droite la main glacée du mort, qu'elle empila près de lui tout ce qu'elle avait de plus cher, une mèche de cheveux de son propre fils, une lettre de l'homme de sa vie, qu'elle aimait si fort, une pincée de sable rouge du désert. Je pourrais dire qu'il y eut un grand banquet de deuil, où les nombreuses femmes de la famille dirent des contes et les hommes des histoires d'accidents de chasse. Je pourrais dire que la daube de lièvre, cette nuit-là, répandit son fumet jusque dans les montagnes, et que lorsque Soleil dit en passant que ce lièvre-là, hélas, avait eu lui aussi un accident de chasse, on fit un silence de respect, à cause de sa grande douleur. Mais l'important, c'est que Soleil fut toute cassée, pendant longtemps... xxx Mon histoire se termine bien des années plus tard. Soleil est maintenant beaucoup plus vieille, elle connaît plus la vie, elle est plus douce aux amères fatalités, plus compréhensive pour les mouvements des hommes. Et surtout, surtout, elle n'a plus peur de rien. Je la vois roulant sur la route de Pierrelongue, dans les contreforts du Ventoux, et je sais bien, moi, ce qu'elle cherche : une grande maison grise sur la colline. "Monsieur, s'il vous plaît..." dit-elle en s'arrêtant à la hauteur d'un vieil homme "pourriez-vous m'indiquer la direction de l'hôpital?" "Ah ! vous ne pouvez pas le manquer, c'est le bâtiment le plus laid de notre village, vous le voyez là-haut, cette maison neuve et grise, au dessus de la grande aux volets verts? Une fameuse clinique, il nous vient des malades de la région entière. Dommage qu'il ait ce grand défaut !" - Quel grand défaut?, demande Soleil - Vous vous rendez compte ! Avec la chaleur qu'il fait par ici, l'été, eh bien... ils n'ont même pas mis de volets aux fenêtres !" Et moi qui suis de la région, moi qui suis né dans cette Drôme provençale, entre Plaisians et les gorges de Montbrun, je peux bien vous le confirmer : il n'y a pas de volets aux fenêtres de l'hôpital de Pierrelongue. L'été, il y fait un de ces soleils...
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Yv
| Envoyé vendredi 29 octobre 2004 - 17h46: | |
D'abord, Leesie, heureux de réentendre ta voix ! Et de voir que pour la nouvelle tu es aussi douée que pour la poésie et autant du Sud. Si j'avais un brin de critique à faire c'est le trop plein de richesse qui parfois nous fait perdre le fil. YV |
   
Leezie
| Envoyé vendredi 29 octobre 2004 - 18h50: | |
merci beaucoup Yves, de tes encouragements, c'est mon grand travail, en ce moment, j'essaie de faire qu'on me comprenne et j'essaie aussi de clarifier c'est très très difficile, mais c'est fondamentalement important
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