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yves
Envoyé mardi 21 juin 2005 - 23h08:   

Honneur pour honneur


Acte 1
Ils avaient passé la nuit dans la cave de Sylvain, elle et les deux enfants. A peine entrés elle leur avait arraché leurs étoiles jaunes. Elle leur avait fait choisir des prénoms quelconques à la place de David et Debora. Ils avaient dû les répéter tout haut, puis :
- Si nous sommes arrêtés vous m’appellerez Lucia. Dites encore : « maman s’appelle Lucia »
Le lendemain serait la fin du cauchemar ou le début du pire. Ils passeraient là-haut la frontière d’Espagne. Leur passeur, c’était ce Sylvain, un vieux qui les attendait à la descente du train. Le Sylvain, ils l’avaient reconnu à son béret de berger, qu’il devait porter tout de travers. Mais tous ceux qui attendaient sur le quai avaient un béret. Seul le berger faisait tourner le sien ostensiblement sur sa tête. La femme s’était avancée :
- Je suis…
- Taisez-vous. Il faut me suivre de loin.
- Pourquoi ?
- Pas la peine de se faire prendre ensemble.
Elle avait marché sans un mot, en faisant son possible pour traîner ses gosses. Mais si demain dans la montagne les enfants ne pouvaient aller à cette allure ? Eux, depuis le début, ne comprenaient qu’une chose : leur mère avait peur. Mais de quoi ?.
Le vieux au béret avait aussitôt enfermé son monde dans cette cave qui sentait mauvais. Et si c’était un piège pour les livrer aux Nazis du coin ? Si tous avaient menti dès le début ? Mais ce Sylvain avait un sourire triste. Cette tristesse-là était rassurante.
- Vous n’avez pas de femme ?
- Non. Ils me l’ont tuée.
- Pardon.
Elle ne savait comment se rattraper ses soupçons.
La nuit s’écoula, interminable. Ils n’avaient pas de montre mais entendaient heureusement là-haut sonner une vieille pendule de ferme. On les avait réveillés avant l’aube pour les faire boire du lait frais. Le premier depuis si longtemps Les étoiles n’étaient pas encore à bout de souffle.
Débora ne voulait plus partir. Elle disait qu’elle était bien ici et que la montagne lui faisait peur. Elle avait faim de chocolat, comme à la maison. Mais bien sûr ! Elle allait en avoir en Espagne !
Le jour faisait à peine des ombres quand ils ont commencé à monter vers Baren. Un homme sort d’un cabanon :
- Personne n’est passé.
- Bon. On y va.
- Bonne chance.
Un calvaire silencieux commence. Les gosses pleurent. Leurs chaussures de ville leur font mal et ils grelottent de froid et de peur. Maintenant, c’est grand jour. On a trop traîné mais il faut y aller. On voit déjà la cabane forestière, à un petit quart d’heure. Puis il faudra traverser une longue pente de genêts à découvert. Un tireur embusqué ne peut manquer sa cible. Il faudra bientôt courir et déjà on n’en peut plus.
Sylvain, d’un coup de pied ouvre la cabane. Deux Allemands les attendent., la mitraillette pointée. Sylvain crie :
- Au col !
La femme a compris. Elle essaye de fuir à travers les genêts mais c’est pitoyable. Les enfants hurlent et tombent tous les deux pas. Sylvain crie :
- Les arbres !
Il reçoit un coup de crosse et sa tête tourne. Pas assez pour ignorer la suite. L’un des soldats a pris les trois en joue mais l’officier saisit le canon et la rafale crible le sol. Les fugitifs montent, tombent, montent encore. La femme se retourne avec un geste suppliant vers ses enfants. Aucun doute. L’officier lui a bien fait signe de continuer.
On a attaché les mains du passeur derrière son dos. Il se retourne et regarde l’Allemand droit dans les yeux. L’autre soutient le regard. Sans un mot.

Acte deux
Un ans après, au tribunal militaire. Celui de la guerre, celui de la haine qui s’assouvit. Une haine qu’on croit légitime. On juge le même Allemand. C’est vrai qu’il a arrêté du monde, qu’il a envoyé Sylvain en camp de concentration dont il est revenu par miracle, squelettique mais vivant.
Un semblant de jugement. L’officier sait ce qui l’attend. Un premier mur fera l’affaire. Le juge plie déjà ses dossiers.
- Y a-t-il un témoin à décharge ?
Un cri au fond de la salle:
- Moi !
On se retourne, stupéfait. Ça se met à hurler :
- Salaud ! Vendu ! Collabo !
Le juge demande le silence, puis :
- D’où sors-tu ?
- De Buchenwald.
La salle reste houleuse.
- Il ment !
Sylvain remonte sa manche sur son tatouage des camps.
- Tu reconnais ce boche ?
- Si je le reconnais ? C’est lui qui m’a arrêté.
- Et alors ?
- Il a empêché de tirer sur la femme et les deux gosses que je passais.
- Tu es sûr de ce que tu dis ?
- J’y étais.
Un longue attente puis :
- C’est bon. Témoignage accepté. La sentence est commuée.
Un seul regard entre Sylvain et l’autre. Le même qu’à la cabane. Et pas un mot.

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