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yb
| Envoyé jeudi 19 janvier 2006 - 21h16: | |
Chronique d’un lundi ordinaire Il suffit de tourner un peu, dans le sens qu’on visse, la petite clef en métal plantée sur le côté du socle ; elle bute vite au bout. Alors on lève le couvercle, le chapiteau du kiosque, lentement jusqu’au clic et en le reposant sur les antes en bambou… ça démarre. Elle commence quand la musique égrène « j’ai du bon tabac » sur des notes argentines ; elle tient, tendus et immobiles, ses bras fins voûtés au dessus de sa tête, reliés par les mains, et sa jambe droite, relevée vers l’extérieur, pose la pointe fine de son petit pied sur son genou gauche. Puis elle monte doucement et, sans quitter la pose, s’énerve dans un tourbillon… elle redescend, doucement aussi, pour remonter aussitôt et repartir dans la même toupie mais en sens inverse.. Deux ou trois … ça ne dure pas plus de trois minutes et les notes s’espacent avec mélancolie et laissent pressentir la prochaine : « dans-ma-ta-ba-tiè-re….tu-n’en-au-ras-pas » ; elle a un mal de chien à se hisser à présent, ses vrilles sont de plus en plus lentes ; elle n’achève jamais la dernière. Il pleut toujours… il pleut depuis lundi dernier. Le lundi est un jour exactement comme les autres que rien ne peut vraiment différencier d’un mercredi ou d’un samedi. Hiver-été, d’accord ! janvier-mai à la limite ! mais lundi ou mardi, quelle importance. Et pourtant lundi est redoutable ; peut-être parce qu’il suit dimanche ? mais surtout parce qu’il croit recommencer quelque chose alors qu’il ne fait que le poursuivre en continuant. Je suis né un lundi. Jamais comme le lundi ne m’apparaît l’incertitude et la ténacité de la paresse qui me scotche dans mon atonie. Pour s’épanouir elle exige une telle énergie, une telle force à déployer qu’elle me semble bien plus pénible, même physiquement, que les travaux les plus rudes que je pourrais entreprendre ; retourner quelques ares de jardin, remuer quelques quintaux de ciment ne m’ont jamais exténué comme un lundi matin ou je me préoccupe à ne rien faire. L’art de ne rien faire est bien plus fatiguant que les autres… la danse ou la sculpture : taper du marteau et du burin sur un bloc de marbre c’est déjà aller mécaniquement quelque part, vers un point précis, traverser l’ébauche avec ni plus ni moins de risque, plus d’angoisse ou d’émotion, qu’en naviguant au compas dans la brume. On a toutes les chances d’arriver quelque part et si ce n’est pas la côte espérée on peut repartir en changeant de cap. L’art de ne rien faire c’est toujours la brume ourdie serrée à 360° mais plus de compas, aucun amer, juste le doute permanent qu’une terre existe bien encore quelque part. Ça fait déjà un moment que la danseuse a fini son dernier manège. Figée à présent dans sa position dérisoire elle me dévisage avec les deux minuscules point bleus qui lui servent d’yeux, le fin trait vermillon de la bouche ne s’est ni relevé ni affaissé dans les coins et le tutu de tulle ne s’est pas, accidentellement ou intentionnellement, décroché de sa taille… de la jambe galbée le mollet n’a pas même molli. Comme tous les lundi matin j’ai à nouveau remonté la boîte à musique et le petit rat, derviche en celluloïd, repartît en entrechats ; le tabac était toujours bon dans sa tabatière. Comme tous les lundi matin j’ai donc posé le paquet emballé de velours pourpre sur le sous-main maculé de chiffres et signes en tous sens, de phrases, de ratures, de petits dessins géométriques et ésotériques.. j’en ai sorti le flingue lourd, brillant, puant d’intention et de destination et me suis assuré que la petite ogive blonde était là, gîtée patiente dans son tube comme une guêpe dans l’alvéole d’un couvain.. puis de la paume j’ai fait tourner le barillet. Les pirouettes de ma copine étaient déjà moins prestes ; le tempo déclina puis , comme chaque lundi, il s’écroula : « tu-n’en-au-ras-pas ! » J’ai pressé la détente sur « pas », la musique s’était arrêtée et la danseuse aussi mais tournée vers le fond de la boîte comme pour ne rien savoir. J’ai replacé le truc dans son couffin graisseux et l’ai rangé à sa place, puis j’ai essuyé mes lèvres sur ma manche. Ensuite je me suis appliqué à tailler la mine de mes trois crayons gras et j’ai ouvert mon cahier bleu pour en tourner les pages que je constelle depuis des années de mots perdus et sans intérêt, des sons parfois, juste des sons à dire à capella, des mots à jouer du vibraphone sur la voie vaguement lactée de la solitude. C’est toujours le lundi que la poésie vient me chercher des noises. . |
   
aglae
| Envoyé vendredi 20 janvier 2006 - 09h34: | |
Yb...ou les jeux intelligents du lundi matin... Aglaé |
   
yb
| Envoyé vendredi 20 janvier 2006 - 13h23: | |
mais ma Glaé ... c'est pour se remettre du jeu fripon du samedi soir... enfin seulement quand samedi est jour de paye ! et encore des fois elle a la migraine et on joue même pas... et alors-là, le lundi, on fout deux ogives dans le barillet.. :-))
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aglaé
| Envoyé vendredi 20 janvier 2006 - 14h37: | |
...c'est plus la roulette russe, c'est la roulette bretonne, avec deux suppositoires au lieu d'un...crapule...aglaé |
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