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yb
Envoyé samedi 18 février 2006 - 14h37:   













Il y a dans l’existence un moment précis où l’on arrive, en toute objectivité et sans fausse modestie, à se dire qu’on a quand même, au fond, une intelligence particulière ; c’est l’instant où cette intelligence permet de se rendre compte qu’on va immanquablement mourir idiot.

Moi ça m’est venu comme ça un mardi en soufflant je ne sais combien de bougies sur mon je ne sais combien-tième gâteau d’anniversaire : je suis né le jour de la Saint Bienvenue .
Nième vacherin chocolat-vanille qu’elle me collait tout flamboyant sous les mirettes alors même que je m’étais, sans savoir pourquoi, dégoûté progressivement du chocolat et de la vanille. A sa décharge, il faut dire que depuis longtemps la seule occasion que j’avais de lui communiquer cette aversion acquise c’était justement, une fois l’an, quand elle me collait, comme aujourd’hui, son vacherin sous le nez avec un grand sourire ; je n’avais alors jamais eu le cran de la contrarier d’un haut le cœur que je retenais en essayant de penser à d’autres parfums.

C’est en songeant à des parfums que je ne connaissais pas que je me suis demandé ce soir si je n’avais pas oublié d’aimer ou de détester quelque chose.
Ce faisant je soufflais machinal la première flambée de bougies et tandis qu’avant de les rallumer elle tournait d’un cran la pellicule dans son appareil photo, je m’efforçais de regarder ailleurs.
Mes yeux se posèrent sous la table sur ma paire de chaussons.
C’était des pantoufles ridicules mais confortables. Au fond pensais-je, hors du contexte des pieds qu’elles enveloppent, les pantoufles sont toujours un peu ridicules et pour bien les considérer on ne peut se référer qu’au confort qu’elles dispensent sans négliger aussi qu’elles sont le résultat du travail d’un ouvrier de la chaussure à qui elles ont permis de gagner sa vie ; de la gagner et puis de la vivre en dépensant son argent que d’autres gagneraient et utiliseraient à leur tour pour se payer des chaussons ou un vacherin chocolat-vanille pour leur anniversaire.
Le chat, intrigué peut-être par l’insistance de mon regard, se risqua d’un slalom en frottant entre mes jambes et piétinant mes pantoufles. Depuis qu’elle l’avait fait couper je ne supportais plus les mollesses de ce greffier ; avec la droite je l’envoyais sèchement dinguer sous les chaises, hors de mes réflexions.
Ainsi donc, toutes les pantoufles que j’avais eues ne dérogeaient pas à ce principe : un type les avait fabriquées sans se soucier du ridicule de ce qu’il faisait et je ne les avais jamais enfilées qu’en me souciant du confort qu’elles m’apportaient. Ni lui ni moi, ni aucun porteur de pantoufles, n’avait sans doute jamais songé à joindre l’artistique, l’idéal, à l’utile de ses gestes quotidiens et nécessaires ; il les faisait, je les portais sans plus de considération que ça.

J’ai soufflé pour la seconde fois, le flash crépita et, en petites fumerolles, l’odeur désagréable de la cire brûlée des bougies me monta jusqu’aux narines. Je m’interrogeais de savoir si cette odeur eut été différente sur un clafoutis, un baba au rhum ou sur un gâteau aux fruits exotiques.
A une époque elle se masquait d’une eau de toilette aux parfums exotiques où la noix de coco le disputait vaguement à la mangue. Ça m’avait d’abord surpris puis après quelques nuits d’habitude je m’y étais fait.
En bas de notre immeuble il y avait une agence de voyages avec une grande affiche où explosait jusqu’au nombril une vahiné souriante, ambrée et fleurie ; curieusement je me suis toujours imaginé que cette fille devait sentir cette odeur-là. Quand je regardais l’affiche je la sentais en plein et quand je la sentais, elle, en la croisant dans le couloir de la chambre, je pensais à la vahiné.
Le poster des mers du sud que j’avais encadré et placardé au dessus du buffet en devait sans doute beaucoup à cette eau de toilette dont se parfumait la vahiné de l’agence de voyages en bas de l’immeuble. Elle, elle n’aimait pas ce décor, trouvait que ça n’allait pas très bien avec le buffet rustique franc-comtois que ses parents nous avaient offert.

Ça faisait bien trois ou quatre vacherins, je ne sais plus au juste, que ma belle- mère était morte, six mois après son mari, et que du coup elle ne venait plus pour mon anniversaire. Du coup aussi elle n’avait pas baissé le son de la télévision puisque la vieille ne chantait plus « apibeursse des touillou » pendant que je soufflais les bougies et, tandis qu’elle réglait encore son kodak, j’en profitais pour écouter les titres du journal de vingt heures.
« Ecouter » est un grand mot. Si les titres sont différents chaque jour il y a quand même dans la permanence de la mise en scène et du type qui dit les trucs une sorte de constance et de régularité dramatique à laquelle, en y réfléchissant bien, on assiste plutôt comme on va à l’office, avec une certaine obligation, lentement imposée à soi-même, d’un devoir à accomplir. On entend, regarde, essaie d’imaginer la réalité de ce qu’on voit et entend et qui se déroule sous des latitudes, des soleils, des jours et des nuits, inconnus quand bien même c’est la réalité du pâté de maisons d’à côté.
Quand bien même.
Quand bien même parfois l’attention est brutalement secouée par une horreur incroyable, ça ne dure pas et cette réalité vous échappe pour une autre antipodique distillée dans la minute suivante.
Alors…Quand bien même ! à la fin il n’en reste plus rien ; sauf si l’on a joué au loto et qu’à la fin ce sont vos numéros qui sortent.
Mais ils ne sortent jamais.

- « souffle ! » m’ordonna-t-elle depuis l’autre côté de la table avec un œil appliqué coincé dans l’objectif ce qui lui remontait la joue, tirait sur la bouche et creusait un sillon dans le collagène absent jusqu’en bas de son cou.

J’ai lâché le téléviseur et comme chaque année selon l’usage j’ai pour la troisième fois gonflé mes joues pour souffler mes bougies une tierce fois. Ce soir y en avait un paquet mais pas question que j’en loupe une : comme à vingt ans je les balayais du premier coup et si j’en crois le décalage du flash j’ai l’impression qu’ elle en fut surprise.

Elle découpa le gâteau en six parts et je m’imaginais donc condamné à en ingurgiter trois fois au moins.
Elle posa devant moi le paquet saucissonné dans son bolduc rouge.
Le type à la télé en était à faire la pluie et le beau temps mais je m’en foutais de la météo.
Depuis qu’il m’avait dégotté dans les éponges une bronchite chronique embusquée derrière un cœur fatigué, le toubib m’avait aussi sec sevré de mes ninas et interdit de sortir de décembre en février ; elle veillait comme un cerbère au respect des prescriptions. Il m’avait aussi défendu de prendre l’avion ce qui m’avait étonné puisque même devant la vahiné en bas de l’immeuble mes idées n’étaient jamais allées jusqu’à envisager ce transport ; plus gravement, cet enfant de salaud de fils d’Hippocrate m’avait coupé la bibine sauf, à l’ occasion, une petite coupe pour marquer le coup.

Elle déboucha la demie-bouteille de champagne même pas brut, la vida dans les deux coupes, en poussa une vers moi avec une tranche du vacherin et d’un coup de menton auréolé d’un sourire me montra le paquet.
Je le libérais de ses liens, m’affectant d’un air d’enfant qui croit aux fées mais sans abîmer cependant le papier décoré qu’elle récupéra, plia soigneusement et rangea dans le buffet.
- ça te plait ? demanda-t-elle … moi je les trouvais bien dans le catalogue.
Puis en cognant sa coupe contre la mienne elle murmura d’une voix douce :
- bon anniversaire, mon chéri.

J’envoyais valser les vieilles d’un coup de pied et j’enfilais aussitôt mes nouvelles pantoufles : c’était la première fois que j’en avais d’un motif écossais.






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aglaé
Envoyé vendredi 24 février 2006 - 09h41:   

YB

mes pantoufles, s'il te plait, apres demain 20 février...74 ans....mais j'en fais à peine 73...

Aglabougie

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