Comme une envolée d’oiseaux
Un recueil à deux mains, telle une composition musicale, Mouvances de plumes naît de l’amitié de deux
poètes belges qui partagent leurs poèmes à la manière d’un chant d’oiseau
qui fait chanter un autre oiseau. De leur profonde sensibilité jaillit
les mots qui s’envolent de l’un à l’autre avec la délicatesse d’un
bruissement d’ailes.
Nous écoutons deux voix aussi sensibles que méditatives, l’une
masculine, l’autre féminine, qui nous révèlent leurs vibrations intimes
dans ces instants de grâce où les mots font parler le silence de leurs gouffres intérieurs.
Correspondance et partage poétiques comme en musique entre deux voix qui
chantent ensemble la même mélodie.
Une troisième interprète vient ajouter à ce chant de paroles sa
touche de grâce par l’image, suggérant par ses dessins d’oiseaux l’envol, la
beauté, la fragilité, de même que la concertation des arts. Ainsi, les
oiseaux deviennent-ils les messagers du partage poétique et
artistique :
« avec
un partage
d’ailes
à
rouge
gorge
déployée
chaque
instant
sublime
l’envol » (Patrick Devaux)
Cet envol est suggéré par Patrick Devaux par la fluidité des vers
libres, très courts, qui se déploient sur la verticale sans aucun signe
de ponctuation, sans titre, en mouvement perpétuel, tel le temps qui
s’enfuit et ne laisse que des traces éphémères du vécu, les poèmes mêmes.
Comme le chant de l’oiseau au petit jour, les deux poètes sifflotent leur
poèmes-chants dans la lumière de leur communion en poésie.
De cette heureuse complicité poétique transparaît quelque chose de
leur « vie profonde/ indéchiffrée/
à partager », de l’amitié dont on veut faire « une œuvre d’art/ un balcon/ sur des
espaces infinis/ une île/ où se reposer » (Martine Rouhart). On
voit leur sensibilité et délicatesse de cœur dans le miroir de leurs poèmes. La mouvance de leurs plumes, pareille
au frôlement des ailes d’oiseaux, est à l’écoute ce qui palpite encore
dans le silence, le rêve, l’indicible :
« Rêver un monde/
où l’on
entendrait
seulement
des cœurs-ailes
d’oiseaux » (Martine Rouhart)
C’est le
rêve de vie de tout poète d’écrire le Poème magique, enchanteur, tel le
chant d’Orphée :
« On aimerait
faire des rêves
si bleus
que même
les oiseaux
de nuit
s’arrêteraient
de pleurer » (Martine Rouhart)
Le poète est toujours à l’écoute du silence intérieur qui refuse
souvent de lui parler, de se convertir en paroles. Chaque mot, tel un
battement d’aile, est joie, espoir d’un poème à surgir. On attend de lui
le pouvoir de « guérir des
adieux », de vaincre la solitude et le vide.
Il est « dresseur de mots »,
« faucon » (Patrick
Devaux) qui chasse dans un vaste espace, un oiseau blessé qui traverse
l’infini, il est à la recherche de son rêve de lumière poétique, en
perpétuel combat contre le silence :
« Nous
rêvons
d’une écriture
qui
serait musique
transes
confidences
d’oiseaux
danses
pleines
d’élans
au bord
du vide » (Martine Rouhart)
Dès que le silence lui parle, la joie du partage revient et le poète
« attend
la missive
d’une autre aile
en retour » (Patrick Devaux),
il attend la
réponse aux graines d’amitié qu’il éparpille dans le vent pour se prouver
que la connivence entre les êtres est possible. C’est ce qui reste après
tout pour parler de l’éphémère, de la fragilité, des sentiments :
« confiés
au vent
tous
les papiers
aux regards
d’encre
ne sont pas
perdus
pour autant » (Patrick Devaux)
Les poèmes de Patrick Devaux trouvent leur parfaite correspondance
dans ceux de Martine Rouhart, tous les
deux savent faire danser les mots avec grâce, tel un peintre assortir les couleurs dans un
pastel :
« à
l’aube
retouchés
d’un large
pinceau
solaire
nos mots
s’éveillent
de concert » (Patrick Devaux)
Ils ont en commun le désir de
partage, la sensibilité et la sagesse de se réjouir de l’existence.
Les deux poètes nous suggèrent d’écouter « ce que le poème ne dit pas”, comme si on écoute un bruit
infime venu de quelque part, car il y a toujours une part de mystère
derrière les mots, l’inaudible. Le rouge-gorge de Catherine Berael, qui ouvre et clôt le recueil, est lui-même un
poème à écouter.
©Sonia Elvireanu
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