Poèmes ferroviaires PGV
*
« Bienvenue À bord du tgv
6 161 en direction de Nice. Il desservira les gares d’Avignon, Toulon,
les Arcs, Draguignan, Cannes, Antibes et Nice. Attention au
départ ! »
« Mesdames et messieurs bienvenus à bord de ce
poème. Sa lecture durera le temps nécessaire. Attention au départ »
*
sur le quai j’attends
qui de l’orage ou du train
sera le premier ?
*
je n’en finirai jamais de
toujours m’interroger
Paris à l’aurore
je marche en silence
en état de grâce
mes yeux portent jusqu’au bout
de la rue
ils grimpent le long des
façades
cherchent les secrets de la
cité
par exemple
ici haie de bambou en terrasse
je marche
je suis vivant
je marche
je pense à la mort
la mienne en particulier
je ne m’arrête pas à ce mot
je marche
immobile ou en marche
elle saura me souffler sans
jouer
alors autant marcher
qu’elle patiente après tout
il me reste à voir l’autre côté
de la rue
l’autre versant du carrefour
silence j’arrive à la gare
*

feu vert en attente
méditation ferroviaire
le départ est proche
*
Gare de Lyon, Paris.
24 mars
2018/7h am.
Le train de sept heures
malgré la vie chronomètre
demeurer paisible
comme une sardine à l’huile
tout est bien organisé

Andalousie,
hiver 2025
*
ils vont
téléphone en main
regards scotchés sur le social
réseau géant
oreillettes sourdes
le pianiste en libre service musical ne les entend pas
il joue
téléportation pixellisée via
satellite encore en attente et de mise au point
alors à là
fin du morceau je donne un coup d’œil au panneau des départs
Tgv pour Nice à l’heure on time
tout est OK
*

Début des voyages
Même quai et mêmes rails
Silence et attente
*

le moindre interstice
accueille l’exubérance
de multiples vies
*
Paris, gare de Lyon à l’aube
d’un hiver du 21e siècle ; observations
des skieurs rêvent d'un magique
forfait qui transformerait le TGV en téléphérique direct pour le haut des
pistes
panneaux haïkus signés Zenu Biano accostent le
long du couloir les rares curieux déconnectés
piles de journaux prêts à
prendre le Relay de l'information tactile en cas de crampe à l’index
un barista sourire ivoire
m’offre les premiers mots du jour
- Café croissant et verre d’eau, voici Monsieur. Bonne
journée.
difficile de commencer moins
bien le voyage
Croissant d’or pour ce jeune
barista
*

Début de voyage
Attendre à l'ombre la voix
Annonçant le train
*
devant dieu panneau
mon café en main d’offrande
je cherche la voie
qui me coupera la tête
si je la trouve ce matin ?
*
16 mai
2018 antho le temps
file cognac
la main droite au café
la gauche à la valise à
roulettes
la troisième au billet
la suivante au journal
et la dernière au téléphone
encore une au croissant
et toujours la main droite au
café
la laisse pixellisée me conduit
à la borne de contrôle bip
quai voiture 13 siège 61
*

Inlassablement
La voix du chemin de fer
Égrène les gares
*
Le train. Son silence. Avec la
voix de la dame officielle. Des gens. Inconnus. Combien de rêves à
bord ? Combien de soucis ? De sources ? L’aurore et la
mer. À la fenêtre. La voie de chemin de fer. Ma vie roule. Le paysage file. Comme
les jours. Les gens
Dans cet entre-deux qu'est le
voyage je médite une fois de plus
sur le jouer sa vie et le vivre
un jour comme un jeu
- Tu joues avec moi ?
demande l’insatiable enfant à
mon ombre rien n’est plus sérieux que le jeu
*

vivre en parallèles
un pays en mouvement
lignes de fuite
*
Reggae aux oreilles
Somnolence TGV
L’esprit
hors des rails
ce poème est arrêté en pleine voix
pour votre sécurité ne tentez pas d’ôter vos écouteurs
le silence du solitaire est
indépendant du lieu
que je sois seul à bord d’un
sentier de crête
ou bien voiture 13 siège 61
le silence est identique
et c’est ainsi que naît parfois
le poème
retour en arrière de l’hôtel à
Paris gare de Lyon
je marche dans les rues de
Paris depuis l’aube
et parmi les déchets festifs
des quais de Seine
parmi les moineaux et autres
pigeons ripailleurs
l’artificiel intelligent sait
que je suis vivant
les bornes téléphones en
témoignent
le distributeur bancaire
m’informe
- Je suis un automate
multi fonction choisissez votre opération tapez votre code
service aucune erreur
avant de sortir j’ai enfilé mon
sourire automatique
je ne sais pas quand ni où les
caméras m’enregistrent
machine à café
double expresso en grains
non sucré
carte bancaire
sans contact
*
16
mai !? Paris-Cannes
TGV morning
vivre une autre dimension
du temps de l’espace
*
2
décembre 21
TGV Cannes-Paris décembre froid
280km/H
sieste somnolence à grande
vitesse soleil dans les yeux souvenir d’école : 8 minutes-lumière
pour qu’il touche mes paupières à quelques secondes près minuscule corps
quelques dizaines de kg obsolescence programmée sans garantie comment se
croire important ?
juste quelques étincelles un
corps un train à grande vitesse et le soleil indifférent
Paris, Ligne 14 automatique
des dizaines d’individus
toutes origines
toutes identités
mesclun humain
sauce hivernale
tous masqués
des dizaines de regards
la plupart écranisés
pas tous
l’exception confirme la règle
ou l’inverse
la règle confirme l’exception
des histoires personnelles
chacun dans son premier rôle
palme ou césar en destin
chacun son aventure génétique
chacun unique
chacun présent en son point
d’évolution
espace E instant T
soit la formule E/T et moi et
moi et moi
chacun « se croit »
« se prend au sérieux »
si si
même toi qui te la joue
dérisoire et amusé
ne le nie pas
tu te crois un peu plus qu’un
peu de sable
la plage approuve la présence
du sable
et l’écume de la mer
mille éclats sous le soleil
fragments de présents
et moi et moi et moi
bientôt éparpillé au vent
Nota Bene je considère que
notre hélice humaine a loupé l’embranchement poulpe
régénérescence automatique
bras multiples
camouflage couleur
ainsi que l’embranchement
pélican poche ventrale incorporée au menton
*

tant de lignes droites
se moquent à l’infini
de mes yeux rêveurs
©Patrick Joquel
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