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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Printemps 2025

 

Patrick Joquel :

Poèmes ferroviaires

(inédits)

 

(*)

 

 

Poèmes ferroviaires PGV

 

*

« Bienvenue À bord du tgv 6 161 en direction de Nice. Il desservira les gares d’Avignon, Toulon, les Arcs, Draguignan, Cannes, Antibes et Nice. Attention au départ ! »

 

« Mesdames et messieurs bienvenus à bord de ce poème. Sa lecture durera le temps nécessaire. Attention au départ »

*

sur le quai j’attends

qui de l’orage ou du train

sera le premier ?

 

 

*

je n’en finirai jamais de toujours m’interroger

Paris à l’aurore

je marche en silence

en état de grâce

mes yeux portent jusqu’au bout de la rue

ils grimpent le long des façades

cherchent les secrets de la cité

par exemple

ici haie de bambou en terrasse

 

je marche

je suis vivant

je marche

je pense à la mort

la mienne en particulier

je ne m’arrête pas à ce mot

je marche

immobile ou en marche

elle saura me souffler sans jouer

alors autant marcher

qu’elle patiente après tout

il me reste à voir l’autre côté de la rue

l’autre versant du carrefour

silence j’arrive à la gare

*

 

feu vert en attente

méditation ferroviaire

le départ est proche

*

Gare de Lyon, Paris.

 

24 mars 2018/7h am.

 

Le train de sept heures

malgré la vie chronomètre

demeurer paisible

comme une sardine à l’huile

tout est bien organisé

 

Une image contenant transport, train, gare ferroviaire, Ferroviaire

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.

 

Andalousie, hiver 2025

 

*

ils vont

téléphone en main

regards scotchés sur le social réseau géant

oreillettes sourdes

le pianiste en libre service musical ne les entend pas

il joue

téléportation pixellisée via satellite encore en attente et de mise au point

alors à fin du morceau je donne un coup d’œil au panneau des départs

Tgv pour Nice à l’heure on time

tout est OK

*

 

Début des voyages

Même quai et mêmes rails

Silence et attente

*

 

le moindre interstice

accueille l’exubérance

de multiples vies

*

Paris, gare de Lyon à l’aube d’un hiver du 21e siècle ; observations

des skieurs rêvent d'un magique forfait qui transformerait le TGV en téléphérique direct pour le haut des pistes

panneaux haïkus signés Zenu Biano accostent le long du couloir les rares curieux déconnectés

piles de journaux prêts à prendre le Relay de l'information tactile en cas de crampe à l’index

un barista sourire ivoire m’offre les premiers mots du jour 

- Café croissant et verre d’eau, voici Monsieur. Bonne journée.

difficile de commencer moins bien le voyage

Croissant d’or pour ce jeune barista

*

 

 

Début de voyage

Attendre à l'ombre la voix

Annonçant le train

*

devant dieu panneau

mon café en main d’offrande

je cherche la voie

qui me coupera la tête

si je la trouve ce matin ?

*

16 mai 2018  antho le temps file cognac

la main droite au café

la gauche à la valise à roulettes

la troisième au billet

la suivante au journal

et la dernière au téléphone

encore une au croissant

et toujours la main droite au café

la laisse pixellisée me conduit à la borne de contrôle bip

quai voiture 13 siège 61

*

 

 

Inlassablement

La voix du chemin de fer

Égrène les gares

*

Le train. Son silence. Avec la voix de la dame officielle. Des gens. Inconnus. Combien de rêves à bord ? Combien de soucis ? De sources ? L’aurore et la mer. À la fenêtre. La voie de chemin de fer.  Ma vie roule. Le paysage file. Comme les jours. Les gens

Dans cet entre-deux qu'est le voyage je médite une fois de plus

sur le jouer sa vie et le vivre un jour comme un  jeu

- Tu joues avec moi ?

demande l’insatiable enfant à mon ombre rien n’est plus sérieux que le jeu

*

 

vivre en parallèles

un pays en mouvement

lignes de fuite

*

Reggae aux oreilles

Somnolence TGV

L’esprit hors des rails

 

ce poème est arrêté en pleine voix pour votre sécurité ne tentez pas d’ôter vos écouteurs

le silence du solitaire est indépendant du lieu

que je sois seul à bord d’un sentier de crête

ou bien voiture 13 siège 61

le silence est identique

et c’est ainsi que naît parfois le poème

 

retour en arrière de l’hôtel à Paris gare de Lyon

je marche dans les rues de Paris depuis l’aube

et parmi les déchets festifs des quais de Seine

parmi les moineaux et autres pigeons ripailleurs

l’artificiel intelligent sait que je suis vivant

les bornes téléphones en témoignent

le distributeur bancaire m’informe

-     Je suis un automate multi fonction choisissez votre opération tapez votre code

service aucune erreur

avant de sortir j’ai enfilé mon sourire automatique

je ne sais pas quand ni où les caméras m’enregistrent

 

machine à café

double expresso en grains

non sucré

carte bancaire

sans contact

*

 

16 mai !? Paris-Cannes

TGV morning

vivre une autre dimension

du temps de l’espace

*

 

2 décembre 21

TGV Cannes-Paris décembre froid

280km/H

sieste somnolence à grande vitesse soleil dans les yeux souvenir d’école : 8 minutes-lumière pour qu’il touche mes paupières à quelques secondes près minuscule corps quelques dizaines de kg obsolescence programmée sans garantie comment se croire important ?

juste quelques étincelles un corps un train à grande vitesse et le soleil indifférent

 

Paris, Ligne 14 automatique

des dizaines d’individus

toutes origines

toutes identités

mesclun humain

sauce hivernale

tous masqués

des dizaines de regards

la plupart écranisés

pas tous

l’exception confirme la règle ou l’inverse

la règle confirme  l’exception

des histoires personnelles

chacun dans son premier rôle

palme ou césar en destin

chacun son aventure génétique

chacun unique

chacun présent en son point d’évolution

espace E instant T

soit la formule E/T et moi et moi et moi

chacun « se croit » « se prend au sérieux »

si si

même toi qui te la joue dérisoire et amusé

ne le nie pas

tu te crois un peu plus qu’un peu de sable

la plage approuve la présence du sable

et l’écume de la mer

mille éclats sous le soleil

fragments de présents

et moi et moi et moi

bientôt éparpillé au vent

 

Nota Bene je considère que notre hélice humaine a loupé l’embranchement poulpe

régénérescence automatique

bras multiples

camouflage couleur

ainsi que l’embranchement pélican poche ventrale incorporée au menton

*

 

 

tant de lignes droites

se moquent à l’infini

de mes yeux rêveurs

 

©Patrick Joquel

 

(*)

Patrick Joquel accompagne Francopolis depuis sa création : interview et textes en août 2002, participation à des sélections d’auteurs (2002, 2003, 2006), aux Francosemailles de mai 2008, invité au salon de lecture de novembre 2014 (où l’on trouve aussi une riche notice biobibliographique), redécouvert à la rubrique Terra incognita de janvier-février 2021, « pour mieux mettre en valeur une présence poétique trop peu perçue dans le paysage littéraire, alors qu’elle y apporte une forte et indéniable originalité ».

En effet j’y écrivais – et c’est toujours vrai, je le pense, pour les « poèmes ferroviaires » offerts ci-dessus :

« Capter l’instant, vivre dans l’attention due à l’infime, à l’insignifiant qui fait sens, retrouver tout près de soi et avec le seul effort d’abandonner les tensions du quotidien, l’émerveillement des origines, toujours prêt à vous saisir si vous lui laisser libre accès à vos yeux, à votre toucher, à votre ouïe, à votre cœur, partager ce sentiment de réalité immédiate avec les plantes, les oiseaux, les voisins du village, sans ostentation, sans emphase, sans vaines angoisses et sans prétentions, se laisser vivre par le poème ininterrompu qui s’écrit ainsi à travers vous, simple, serein, sacré, compréhensible par tous, insaisissable dans sa transparente simplicité : voilà qui veut effectivement dire vivre en poésie. Merci pour ce partage ! »

D.S.

 

 

Patrick Joquel

Francosemailles, Printemps 2025

Recherche Dana Shishmanian

 

 

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Créé le 1er mars 2002