Billet d'humour ou ballade d'humeur
Ici dire vaut mieux
que se taire...

1962. L’épée du temps

par

Geneviève Huttin

Dans la rue : les premières voitures.

La Deux-Chevaux de Tata nous emmenait à la Toussaint.
 

A l’heure de midi : les Radio Crochets, le Mur et le Communisme, les attentats en Algérie.

Jean-Paul, qui s’était engagé dans les commandos  à 20 ans - au dam de ses parents -  avait été envoyé en Algérie. Il eut des funérailles nationales à Orléans. Je n’y avais pas assisté. Ce champ d’honneur faisait question, la famille puis la France me vola mon deuil. Mon désir  passait par l’école. Celui de Jean Paul  était passé malencontreusement par l’armée.

L’On vint me dire en pleurant  - Maman - qu’il était,  non pas  « mort »  mais « tombé  dans une embuscade ». Et comme j’insistais :

-il est mort ?

Elle me répondit :

-  … il est blessé.

L’ennemi n’avait pas de visage. On n’évoqua nulle responsabilité. Je vis le cercueil, où l’on me dit qu’on l’enterrait, pour moi il n’y avait personne, on n’enterre pas un blessé.

Quand j’allais chez ma tante à Orléans - elle tenait un hôtel près de la gare - au dessus de la boule de cristal de la rampe, un rai de lumière dessinait une croix, je croyais voir l’épée du temps. Sur la photo de fusilier marin, il portait la moustache de Clark Gable. Je lisais dans le pli de la bouche, le devoir assumé et l’empreinte d’une tristesse. L’épée de l’histoire qui se faisait sans nous, passa à travers  nous quand un fellagha le visa et tira. Jean Paul m’avait envoyé d’Algérie un petit sac qui sentait bon, de l’odeur inconnue de l’encens et de la chèvre.

 

 

Geneviève Huttin :  est productrice à France Culture (émission de la nuit). Elle a publié récemment chez Farrago L’histoire de ma voix, et aux éditions le Préau des Collines, Cavalier qui penche, récit d’un drame familial lié à l’appartenance à deux cultures et à l’écartèlement entre deux langues, le français et l’allemand.

L'Épée du temps de Geneviève Huttin
pour Francopolis Janvier2013
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