Il
faisait un temps de pluie, mais Fillette savait que tous les
calendriers indiquaient l’hiver. On ne voyait même plus de
feuilles mortes, toutes pulvérisées depuis longtemps par
un vent froid.
Son amie Tortue
rêvait, cachée qui sait en quel endroit. Elle était
partie sans rien lui dire. Fillette était seule et veillait tous
les jours devant la fenêtre, attendant la neige. Elle n’aimait
pas l’hiver, mais après arrivait toujours l’été,
et elle avait maintenant besoin de neige pour sentir s’approcher le
temps du soleil. Peut-être aussi parce que c’était la
saison où elle allait se balader en compagnie de Tortue.
Celle-ci lui manquait, l’été lui manquait, et c’est pour
cela qu’elle avait hâte de voir la danse éventée
des flocons de neige.
Elle sortit dehors et le ciel assombri la fit
frissonner. Elle voulut retourner dans sa chambre douillette et c’est
là qu’elle le vit. Noir, mince, grand, sans crainte face au
sifflement du vent, il se tenait sur une branche haute du
châtaignier et la regardait de ses yeux rouges, attristés.
C’était un oiseau bizarre, Fillette n’en avait jamais
rencontré de pareil. Elle se rapprocha.
- Qui es-tu ?
- Oiseau Voyageur.
- Même s’il ne neige pas encore, c’est bien
l’hiver et tu aurais dû être parti depuis longtemps. Tu ne
peux pas voler ?
Oiseau Voyageur dressa fièrement sa tête et
Fillette fut tellement frappée par sa beauté qu’elle
trembla à l’idée que l’arrivée de la neige le
tuerait.
- Pars, pars tout de suite ! Les nuages
s’alourdissent dans le ciel et si tu restes, tu mourras.
L’oiseau la regarda tristement.
- Lorsque nous volons vers le Pays du Soleil et que l’un de nous tombe
brisé dans l’océan, je pense qu’un jour viendra où
moi non plus je n’arriverai pas au bout du chemin, là
d’où, chaque année, nous revenons ici. Une fois, sur le
sommet d’une montagne, un sapin m’a parlé du chant de la neige.
Depuis, j’en rêve toujours. Peut-être mon tour serait venu,
cette fois, de m’écrouler dans l’océan, et je n’ai pas
voulu disparaître avant d’entendre le chant blanc, que vous seuls
connaissez.
- Mais tu va mourir, frissonna Fillette.
Oiseau Voyageur la regarda intensément, ses yeux
brillaient en silence.
Soudainement, Fillette tressaillit.
- Chez nous, il ne neige qu’après votre
départ. Tu ne peux pas rencontrer la neige.
Oiseau Voyageur rit.
- Tu as raison. Je n’y ai pas pensé.
M’aideras-tu à la tromper ?
- Qui, ça ?
- L’hiver. Viens chercher avec moi des plumes et
des brindilles, de la boue et des aiguilles de sapin et des causses de
châtaignes. Pour le nid.
Et
quand le nid fut prêt, Oiseau Voyageur en sortit la tête et
haussa ses regards vers le ciel. Les nuages bouillonnaient et le vent
mugissait en rasant la terre. Fillette s’était
réfugiée derrière la fenêtre de sa chambre ;
recroquevillée sur le tapis, elle pleurait.
Lorsqu’elle leva ses regards embrumés, elle vit tout droit,
dressé à côté du nid inutile, Oiseau
Voyageur en train d’écouter, immobile, le chant terrible et
immensément beau de la neige.
*Nouvelle traduction du roumain par
Dana Shishmanian
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Doina Cernica, écrivaine et journaliste, diplômée en
philologie romane de l’Université de Bucarest, vit et travaille
à Suceava (Roumanie). Elle a reçu en octobre 2014 le prix
« Opera omnia » de la Fondation Culturelle de la Bucovine.
Ses
contes pour
enfants petits et grands, poétiques et émouvants, dans la
veine du Petit-Prince de Saint-Exupéry, sont traduits en
français par sa sœur, Muguras
Constantinescu, professeur de
littérature française à l’Université de
Suceava.
Le
tableau reproduit ci-dessus
est en hommage à son autre sœur, Dany
Madlen Zărnescu, artiste
plasticienne, récemment disparue, en plein essor d’une
carrière internationale.
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Publications
bilingues
- Fetiţa şi
broasca ţestoasă / La
petite fille et la tortue, éd. Augusta, Timişoara, 2003
- Fetiţa şi porumbelul / La petite
fille et le pigeon, éd.
Muşatinii, Suceava, 2011
(prix Tolkien du Centre
Européen de Promotion des Arts et
des Lettres, Thionville, 2009)
- Poveste cu zăpezi trecătoare şi
ghiocei nemuritori / Conte aux neiges
éphémères et aux perce-neige immortels, éd.
Muşatinii, Suceava, 2012
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