C’était
quelque chose qu’on n’avait jamais entendu, ni chant, ni gazouillis,
comme si deux feuillettes d’argent auraient glissé l’une sur l’autre.
« Sais-tu qui fait ce doux tapage ? » La Tortue, qui,
alors même que l’hiver s’enfonçait dans un sommeil profond, entendait la
Fillette, lui répondit de loin : « Les merles ! »
Elle ouvrit la fenêtre, tâchant de dénicher dans quel arbre du jardin ils
avaient trouvé refuge, mais le bruit les effraya, ils s’élancèrent en
volée vers le ciel, tellement nombreux qu’ils le cachèrent pendant un
instant de la soie noire de leurs plumes, parsemée des pépites d’or de
leurs becs et de leurs petits yeux, ensuite ils disparurent comme s’ils
n’avaient jamais été. La Fillette soupira avec regret, lorsque soudain
elle vit l’un d’eux sur la neige. Elle enfila rapidement ses bottines, sa
doudoune, le bonnet et les gants et courut au jardin. Elle voulait mieux
le voir. Souhaitait le connaître. Mais quand elle s’y rapprocha, le Merle
noir entra dans la neige, laissant derrière lui un trou profond comme
d’un puit. Elle se pencha dessus tâchant de regarder au plus bas, mais ne
le vit pas. Quand elle voulut se relever, elle glissa, sans savoir de
combien, mais en rouvrant les yeux elle se retrouva debout. Seulement, de
quel côté qu’elle aurait regardé, elle ne voyait que du blanc et du
blanc, de la neige et encore de la neige. Mais quand ses yeux
s’habituèrent à l’éclat, elle commença à discerner les créatures autour
d’elle.
Elles
avaient un visage, elles avaient des ailes. Etaient-ce des étoiles ?
–
Oui, oui ! répondirent-elles en
chœur, dans un tintement prolongé. Nous sommes de Petites Etoiles de
Neige, des Flocons Neigeux. Appelle-nous comme tu voudras !
Mais
tous n’étaient pas des flocons de neige. Il y en avait d’autres,
différents, qui la regardaient de sous leurs franges et coiffes
transparentes.
–
Nous sommes les Cristaux de Glace.
Là-haut, on nous appelle Grêle.
À
la forme allongée et pointue, sympathiques, malgré leur voix légèrement
chuintante, se présentèrent aussi les Glaçons. Puis, inimaginablement
frêle, aussi fin qu’un sourire, aux aiguilles de glace adossées l’une à
l’autre, vint le Givre.
Et
à la fin, graciles, l’air de reines de l’hiver, se rapprochèrent d’elle
les Fleurs de Glace.
–
Nous te connaissons et nous nous
réjouissons de pouvoir mieux te voir. Plus d’une fois le matin nous a
surpris à la fenêtre de ta chambre. Nous aimons regarder à l’intérieur
des maisons des humains, mais nous n’arrivons pas à les explorer à notre
aise. Leur chaleur et celle du soleil nous chassent rapidement.
–
Que faites-vous là ?
–
Nous t’attendions.
–
Comment saviez-vous que j’allais
venir ? s’étonna la Fillette.
–
C’est notre ami le Merle Noir qui nous l’a
dit. Il a des yeux d’or, car il a vu bien de belles choses et a su s’en
réjouir.
–
Nous aussi nous nous sommes réjouis de la
vue des habitations et des forêts au-dessus desquelles nous avons volé,
murmurèrent à mille voix les Flocons de Neige.
–
Nous n’avons pas raison de nous plaindre,
la rassurèrent aussi les Cristaux de Glace. Nous enveloppons les branches
des arbres et de là-haut, nous n’avons pas de cesse d’admirer les étoiles
la nuit dans le ciel, et le jour, les enfants qui se lugeant.
–
Vous n’imaginez pas combien il est
plaisant de rester suspendu à l’avant-toit des maisons, rirent les
Glaçons, et de suivre l’envol des boules de neige dans l’air, lorsque les
petits sortent de l’école, ou les chats qui se faufilent sur la crête des
congères presque sans les toucher, ou le tintamarre des moineaux pour le
morceau de pain jeté par quelque passant.

Le
chat dans la neige… (photo Gertrude Millaire)
–
De tout ce que nous avons vu, sifflèrent
les aiguilles du Givre, nous avons aimé le plus la pomme non cueillie
dans l’arbre, laissée par les hommes pour qu’elle appelle une riche
récolte future. Le sapin de Noël, la lumière de la chandelle allumée aux
portraits des anciens, les bougies sur le gâteau anniversaire…
–
Il nous faudrait un hiver entier pour
raconter toutes les beautés surgies sur notre route, tout ce que nous
avons relevé en regardant à travers vos fenêtres, la regardèrent rêveuses
les Fleurs de Glace. Mais personne parmi nous n’a jamais vu un rosier en
fleur. Et el Merle Noir aux yeux d’or dit qu’elle n’a jamais rien
rencontré de plus exquis qu’une rose.
–
Alors nous nous sommes attristés, continua
un Glaçon, et le Merle Noir aux yeux d’or avec nous. Mais lorsqu’il a vu
que de dépit, les Flocons de Neige ont commencé à perdre leurs ailettes,
il nous a promis une rose. Maintenant il nous attend, tu pourras aussi te
réjouir de lui et de notre joie.
La
Fillette crut qu’elle allait faire long chemin aux côtés des créatures de
l’hiver, mais ils s’écartèrent tout simplement, ensuite, avec elle, ils
se placèrent en cercle. Ainsi toutes purent voir, en un seul et même
instant, au milieu d’eux, une petite tige sous une cloche de verre. Et
collé à elle, la chauffant avec son corps, le Merle Noir.
–
Tu voulais me voir…, sourit-il vers la
Fillette.
–
Je souhaitais te remercier pour votre
chant extraordinaire et te demander comment vous êtes arrivés dans le
jardin, quand votre maison c’est la forêt.
–
Oui, la forêt est notre maison, sauf que, quand le gel s’y rend maître, nous voyageons
vers des parcs, nous faisons halte dans des jardins, qui se réchauffent
de la chaleur de vos maisons, sont plus riches en fruits secs et semences
nourricières. Mais j’y vais parfois aussi en été. Surtout pour voir le
rosier en fleur. Depuis que je l’ai découvert, une flamme odorante dont
la beauté ne peut se raconter, je ne me rassasie pas de le contempler.
Mais c’est une merveille de l’été, car l’hiver, un pied seulement de sa
tige hors des terres, abrité par une cloche de verre, il dort enseveli
dans la neige.
–
Et que fais-tu là, maintenant ?
–
Je leur ai tant parlé, aux créatures de
glace et de neige, de la splendeur du rosier en fleur, qu’elles en sont
venues non seulement à rêver de lui, mais aussi à éprouver de la
souffrance à l’idée de ne jamais le voir. Je me sens responsable de ce
qui leur arrive.
–
Et tu as décidé de donner au rosier la
chaleur de ton corps, la ferveur de l’été, la fièvre de la vie,
devina-t-elle, inquiète, pour que tes amies puissent le voir en
fleur !
Le
Merle lui répondit, mais la Fillette ne distingua pas ses mots, car ils
furent couverts du vacarme ébloui des Fleurs de neige, Glaçons, Flocons,
Aiguilles givreuses, Cristaux glacés. DU sommet fendu de la petite tige
avait surgi un pédoncule d’un vert cru. Collé à la cloche de verre, le
Merle Noir commença à tourner autour. Toujours plus vite, un cercle fin
et noir, aux éclats d’or. Lorsqu’il s’arrêta, on vit la tige chargée de
branches frêles et de jeunes feuilles. Le merle respira profondément et
recommença à tourner autour de la cloche. Cette fois, un peu plus
lentement : dans le silence accompli en lequel elles le suivaient,
la Fillette et les créatures de l’hiver entendaient ses plumes grésiller
contre les parois de la cloche comme sur les dents d’une scie. Lorsqu’il
cessa, le Merle tenait à peine debout. Il semblait épuisé, mais il se
redressa fièrement en entendant les cliquetis de joie des Glaçons et les
battements d’aile des Flocons et des Etoiles de neige : un bouton
surgi à l’instant répandait une lumière bleuâtre, et à travers la peau
fine on apercevait les veinules pourpres de la fleur qui allait éclore
devant eux.
Maintenant
tout dura bien plus longtemps. Le Merle faisait le tour de la cloche
péniblement, comme si c’était la tranche d’un couteau, et il semblait
faillir s’écrouler. Et il finit par s’écrouler pour de bon, mais la
Fillette seule sentit l’épuisement, la froideur qui le gagnaient. Les
autres éclatèrent en ovations, cris, clameurs, acclamations et musiques
de joie à la vue du rosier en fleur. La rose éclose était petite, d’un
rouge chaud, vif, et son parfum puissant traversait les parois de la cloche
de verre. La Fillette pensa qu’en effet, c’était la plus belle rose
qu’elle avait jamais vue et que seulement le petit cœur du Merle Noir
pouvait l’égaler.
Après
que les yeux des milliers de créatures de l’hiver la virent, pour ne plus
jamais l’oublier, la rose retourna en bouton, et la branche le reprit
avec elle, dans la profondeur protectrice de la tige. Les Flocons de
Neige, Glaçons, Fleurs, Cristaux et Aiguilles de glace se rapprochèrent
du Merle. Ils le regardèrent avec gratitude, admiration et angoisse. Ils
ne savaient pas comment l’aider. Le Merle les regarda avec bienveillance
et sourit à la Fillette en la rassurant :
–
Amenez-moi en surface et laissez-moi sur
la neige. Si mes frères et sœurs remarquent mon absence, ils retourneront
me chercher et nous irons en forêt. Toi, se tourna-t-il vers la Fillette,
en l’enveloppant avec bonneté dans la lumière de son œil d’or, ne reste
pas près de moi pour les attendre. S’ils te voient, ils pourraient
s’effrayer et ne plus descendre. Et je ne peux m’en aller que porté par
leurs ailes. Peut-être…
La
Fillette soupira toute tendue, mais n’osa pas articuler un seul mot.
Lorsqu’elle
arriva essoufflée par la course dans la maison, elle grimpa immédiatement
sur la margelle de la fenêtre, sans même se déshabiller. La vitre était
couverte de buée et pendant que la Fillette promenait ses mains gantées
dessus pour l’essuyer, il lui sembla voir tantôt le Merle Noir sur la
neige blanche, tantôt le Merle Noir et le petit cœur comme sang de la
rose, tantôt une soie sombre aux éclats d’or couvrant le jardin. Mais
quand la vitre s’éclaircit, la neige tombait si dense, qu’elle ne put
plus rien y distinguer.

Une rose
en décembre (photo D.S.)
Traduction du roumain par Dana
Shishmanian
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