D'une langue à l'autre...
et textes
incidemment, sciemment
ou comme prétexte. Traduction.

 

ACCUEIL

Archives : D'une langue à l'autre

 

Printemps 2025

 

 

Renato Villani.

Poésie sans frontières, voyage entre deux langues

 Extraits de Visions, Ailes et Racines / Visioni, Ali e Radici.

 

Présentation et entretien avec l’auteur :

Nicole Randon

 

(*)

 

Une image contenant texte, affiche, arbre, graphisme

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.

 

Renato Villani, poète italien auteur de plusieurs recueils, est sociétaire de la Société des Poètes Français depuis 2019. Il a reçu le prix Arthur Rimbaud 2022 pour son recueil Visions, Ailes et Racines, d’abord écrit en français avant de devenir en 2023 Visioni, Ali e Radici (Éditions Les Poètes Français).

Dans ce recueil, le poète nous invite à le suivre « Au-delà des confins du rêve » et dévoile son goût pour les secrets de la nuit lorsque « le monde ferme ses paupières / En taisant le mystère ». Son imaginaire se tourne volontiers vers le ciel où peut briller un regard d'amour : « Depuis un jardin d'astres sans nom / Une étoile émue descend du firmament / Éclaire mon âme et ouvre l'écrin de ma mémoire / Où je retrouve ton sourire, le désir de tes yeux ».

Pour dire sa vision du monde, le poète choisit son éclairage personnel : « Quand le soleil descend au fond de ton sourire / Le vent efface ma mélancolie / Et comme une étoile née des doigts du ciel / il brille dans ma solitude ». L’ouverture du recueil amorce d’emblée un envol hors du réel. Le texte, dont voici les premiers vers, s’envolera aussi vers l’italien :

 

[…] Poudre de cailloux sur des guirlandes de fleurs,

Dans un cercle de voile, les papillons bariolés

Ouvrent les ailes de leurs rêves

Dans les bras d’un cœur qui bat lentement.

 

Un vent sauvage largue les amarres

Et déferle sur les vers enfermés parmi des épis de maïs

Dans les sanctuaires de la mémoire.

Des mots fragiles jamais prononcés sentent la jeunesse

En sillonnant le ciel coloré de nuages. […]

 

*

 

Polvere di sassi su ghirlande di fiori,

In un cerchio di velo, farfalle variopinte

Dischiudono le ali dei sogni

Tra le braccia di un cuore che batte lentamente.

 

Un vento selvaggio toglie gli ormeggi

E irrompe nei versi rinchiusi tra spighe di grano

Nei santuari della memoria.

Fragili parole mai dette odorano di giovinezza

Solcando il cielo colorato di nuvole.

 

Peux-tu expliquer ta démarche sur le choix de ta langue en poésie ?

À vrai dire, j’ai choisi le français le sentant comme une langue plus proche de ma sensibilité et de ma manière de m’exprimer avec une certaine aisance. Ce n’est qu’ensuite que j’ai éprouvé le besoin d’écrire en italien toutes les émotions, sensations et réflexions que j’avais peintes dans mes poèmes français.

 

Lorsque tu as commencé à écrire en français, comment s'est passé le choix de cette autre langue ?

J’ai aimé le français dès que j’ai mis pied dans un laboratoire de français à l’université. Ma destinée était de devenir professeur d’anglais, langue que j’ai étudiée dès le collège ; en effet quand je me suis inscrit à la faculté de Langues et Littératures Étrangères, mon but était l’anglais, mais la rencontre avec le français (ma deuxième langue, que je n’avais jamais étudiée avant) a été déterminante.

Ce fut comme un « coup de foudre » et depuis je n’ai plus quitté le français en prenant ma titularisation (votre CAPES ?) comme professeur de Langue et Civilisation françaises dans les lycées italiens.

 

*

 

La marque de la littérature française est perceptible. Ton univers onirique se déploie parfois comme un conte aux accents rimbaldiens :

 

L’écrin

 

Un rayon de soleil

Révéla l’amour à une source de larmes,

Il entra dans son cœur

En lui donnant la lumière et l’espérance

Il éclaira le visage de la nuit

En peignant la lune et les étoiles.

Il prit une larme

Et arrosa un marais où fleurirent

Des lys et des aubes flamboyantes,

Il brisa les chaînes du monde

Et les laisses de la douleur.

 

Il demanda aux vents tumultueux

De balayer les envols du temps

Et sourit à l’éternité poussant ses bateaux

Vers des mers sans tempêtes.

Il leva le rideau opaque

Tombé sur les crépuscules

Et versa des grains d’infini

Sur les fleurs sauvages ;

Il leva les yeux vers le ciel

En montant un escalier de cristal.

 

Enfin, il franchit le seuil d’un rêve

 Et ouvrit un écrin où dormait le bonheur ;

Il le réveilla en soulevant un voile

Et donna à la Terre ses fruits

Pour qu’il n’y ait plus de larmes.

 

 

Lo scrigno

 

Un raggio di sole

Rivelò l’amore ad una sorgente di lacrime,

Entrò nel suo cuore

Offrendogli la luce e la speranza,

Illuminò il volto della notte

Dipingendo la luna e le stelle.

Prese una lacrima

Ed irrigò una palude dove fiorirono

Gigli e albe fiammeggianti.

Spezzò le catene del mondo

E i guinzagli del dolore.

 

Chiese al vento impetuoso

Di spazzar via il volo del tempo

E sorrise all’eternità spingendo i suoi battelli

Verso mari senza burrasche.

Alzò il sipario opaco disceso sui tramonti

E versò granelli d’infinito sui fiori di campo,

Levò lo sguardo al cielo

Salendo scale di cristallo.

 

Infine, varcò la soglia di un sogno

E aprì uno scrigno dove dormiva la felicità;

La risvegliò sollevando un velo

E donò alla Terra i suoi frutti

Perché non vi fossero più lacrime.

 

*

 

Sans être explicitement cité, un auteur me semble entrer dans l'intertextualité de ton recueil, je pense à Ovide, et son Art d'aimer. Voici ce qui pourrait être présenté comme ton art d’aimer :

 

Ailes et racines

 

Ton baiser suspendu sur cette courte éternité

Enferme le son de mon âme dans un amour sans limites

Qui se renouvelle chaque jour comme un miracle imprévu ;

Fragrance de ciel, comme une vague sur les rives de mon cœur,

Ton visage lisse mon passé

Et me ramène l’ancienne caresse, fidèle amante secrète.

 

La lumière rencontre mes lèvres, s’éloigne du temps

Quand elle s’allonge sur ton corps nu et tremblant,

Au sommet de son infini.

Le vent écrit mon essence en caressant le manuscrit de la vie,

Libre de cette illusion éphémère

Larmoyant sur les cils d’un adieu.

 

Ailes et racines

Prennent mes mains comme des ustensiles précieux,

Animés par des fables et des mythes

Pour éterniser l’instant d’un autre baiser au goût de mer

Sélevant dans ce ciel où de petites vagues versent sur moi

La douceur incessante d’une joie naïve.

 

 

Ali e radici

 

Il tuo bacio, sospeso su questa breve eternità,

Racchiude il suono della mia anima

In un amore che non ha fine,

Che si rinnova ogni giorno come un miracolo inatteso;

Fragranza di Cielo sulle rive del cuore

Come un’onda, un volto leviga il mio passato,

Mi riporta l’antica carezza fedele amante segreta.

 

La luce incontra le mie labbra, si allontana dal tempo

Quando si adagia sul tuo corpo nudo e tremante

Al culmine del suo infinito. Il vento scrive la mia essenza

Accarezzando il manoscritto della vita

Libera da ogni effimera illusione

Lacrimata sulle ciglia di un addio.

 

Ali e Radici prendono le mie mani

Come utensili pregiati animati da favole e miti

E fermano l’istante di un altro bacio dal sapore di mare

Asceso a quel cielo dove piccole onde versano su di me

L’incessante dolcezza di un’ingenua gioia.

 

*

 

T'arrive-t-il d'écrire d'abord en français puis de te traduire ensuite en Italien ?

 

Oui, bien sûr, j’ai commencé en écrivant seulement en français, ensuite j’ai fait les « versions italiennes » (je préfère « version » au mot « traduction ») puisque même si les 2 langues se ressemblent ce n’est pas toujours facile de traduire mot à mot, et paradoxalement au début j’ai trouvé un peu difficile de rendre, comme il faut, dans ma langue maternelle, ce que j’avais pensé et écrit en français. Puis, j’ai inversé le procédé, d’abord j’écris en italien et après je fais la version française, je le trouve plus facile.

Introduis-tu des modifications dans tes traductions, comment cela se passe-t-il ? Cela t'apporte-t-il quelque chose sur le plan de l’écriture poétique?

Oui, parfois je suis obligé d’introduire des modifications quand je fais la version d’une langue à l’autre, car le rythme, les sonorités, la métrique ne sont pas les mêmes, voilà pourquoi je parle de « version », puisque ce n’est pas toujours possible de traduire du français vers l’italien (et vice-versa) malgré la grande ressemblance des deux langues ayant en commun nos racines latines.

 

*

 

Pourrais-tu dire que l'une des deux langues convient mieux à ton inspiration ? ou cela dépend-il du thème ou du sujet traité ?

 

Ça dépend du thème, ou de l’inspiration du moment. Il m’arrive souvent d’écrire d’un jet en français et de faire ensuite la version italienne, ou bien d’écrire en italien et d’éprouver le besoin de faire aussi la version française, tout de suite après avoir écrit mon poème en italien.

C'est peut-être aussi du ‘déplacement’ entre deux langues que se nourrit ton inspiration, autour du voyage, de la méditation sur le temps et l'ailleurs, entre douleurs et douceurs du changement, de l'exil…

 

Pour Venise

 

Quand tu te tais et que le silence te serre contre soi

Ton cœur me surprend en me parlant de tes peines

Si tes vagues et tes ponts peignent

Tout l’amour qui a été oublié entre égoïsmes et lâcheté.

Tu attends l’imprévu qui sauve ton avenir

Parce qu’il te manque ce que tu voudrais

Pour soigner ta beauté qui saigne,

Comme une blessure profonde,

Parmi mille mots en fuite.

 

Dans les veines de tes canaux coulent les eaux du Ciel

Et sur tes flots vêtus d’orient

Des rameurs habiles voguent

Semblables à des cygnes sinueux et agiles.

Toi, Sérénissime, courtisée par le monde

Et ses bateaux, tu chantes au clair de lune

Frôlée par un vol de hérons et la caresse

De gondoles en amour.

 

Le temps scande ses pas sur l’ancien Palais des Doges,

Embrasse les jardins du Grand Canal et leurs secrets

Alors qu’un vol de colombes

S’élève au-dessus des cloches de Saint-Marc

Comme un mirage féerique décoré de marbre et d’or.

Lumière adamantine,

Tu es parfois la proie de rapaces insolents

Vils prédateurs de tes sourires

Mais tes ailes retrouvent leur blancheur

Renaissant des cendres du phénix qui vit en toi.

 

Au coucher du soleil,

Une douce musique se lève des maisons peintes de roses

Déployant les voiles de mes désirs

Qui naviguent sur tes vaporettos pour apprivoiser

Les solitudes de la vie

Et caresser mes pensées secrètes.

 

Tes splendeurs immortelles, Rialto et son arche blanche

Chargée de vie et d’anciens souvenirs,

Le Pont des Soupirs, témoin discret de libertés paumées,

Tes basiliques

M’emmènent à un autre temps où ton Art

Et ton Romantisme

M’offrent un ailleurs prodigieux.

 

Au fond de tes ruelles, je marche vers l’infini

Et dans chaque coin sublime

Ta réalité transfigure ma fantaisie.

 

 

Per Venezia

 

Quando taci e il silenzio ti stringe a sé

Il tuo cuore mi sorprende parlando del tuo dolore

Se le tue onde e i tuoi ponti dipingono

Tutto l’amore dimenticato tra egoismi e viltà.

Attendi l’imprevisto che salvi il tuo avvenire

Perché ti manca quello che vorresti,

Quell’equilibrio che ti rischiari e curi

La tua bellezza che sanguina

Come une ferita profonda tra mille parole in fuga.

 

Nelle vene dei tuoi canali scorrono le acque del Cielo

E sui tuoi flutti vestiti d’oriente

Abili rematori vogano simili a cigni agili e sinuosi.

Tu, Serenissima, corteggiata dal mondo e dai suoi battelli,

Canti sotto la luna sfiorata da un volo di aironi e dalla carezza

Di gondole in amore.

 

Il tempo scandisce i suoi passi

Sull’ antico Palazzo dei Dogi,

Bacia i giardini del Canal Grande e i loro segreti

Mentre un volo di colombe si leva da Piazza san Marco

Come un miraggio fiabesco decorato di marmo e di oro.

Luce diamantina, sei a volte preda di rapaci insolenti,

Vili predatori dei tuoi sorrisi,

Ma le tue ali ritrovano il candore rinascendo

Dalle ceneri della fenice che vive in te.

 

Al tramonto, una musica soave si leva dalle case

Dipinte di rosa, dispiegando le vele dei miei desideri

Che navigano sui vaporetti per placare

Le solitudini della vita e accarezzare i miei pensieri segreti.

Il tuo splendore immortale, Rialto e la sua bianca arcata

Ricca di vita e di rari ricordi,

Il Ponte dei Sospiri, testimone discreto di libertà perdute,

Le tue Basiliche ricolme di Storia

Mi portano verso un altro tempo dove Arte e Romanticismo

Mi offrono un altrove prodigioso.

In fondo ai tuoi vicoli, m’incammino verso l’infinito

E in ogni angolo sublime

La tua realtà trasfigura la mia fantasia.

 

 

*

 

Quand tu dis ou lis un poème devant un public, aimes-tu le dire dans les deux langues ?

Généralement, je le lis en français, mais j’aimerais bien aussi le lire dans ma langue, si le temps qui m’est accordé le permet, ou si quelqu’un me le demande.

T'arrive-t-il de préférer la version d'un poème dans l'une des 2 langues, si oui un exemple ?

Bien sûr que oui, par exemple je préfère la version française de mon poème « Marilyn », je la trouve plus intense avec une musicalité du vers qui est moins évidente dans ma langue maternelle.

 

Marilyn

 

De ta beauté délicate il n’y a qu’une image voluptueuse,

Le mirage de ton corps ardent ;

Tu souris et pleures quand un homme te chérit

Sans aimer ton âme fragile

Qui implore les câlins de l’amour profond.

 

Derrière ta sensualité il y a un monde que le monde ignore

Mais tu aimes intensément parce que tu as besoin d’aimer ;

Tu rêves de la passion, l’élan qui ne s’éteint jamais,

Loin des gitans mendiant le plaisir éphémère.

 

Ta beauté n’est pas de cette époque

Qui s’abandonne à tes seins sans jamais se demander qui tu es,

Sans savoir pourquoi tu disparais dans les larmes d’un sourire.

Tu es au piège, sans issue, lorsque l’égoïsme vole tes fleurs

Et tu as envie de mourir

Derrière ce corps qui enivre sans être aimé.

 

Tu es sublime Marilyn, si belle et divine,

Dans ce désert insensible à ton cœur

Qui attend de s’envoler

Avant que le pinceau d’un artiste n’éclabousse ses couleurs

Sur une toile remplie d’espoirs.

 

Ne pleure plus cette nuit, je te prends dans mes bras

Et berce ton sommeil pendant que le plus beau de tes désirs

T’emmène où tes rêves ne s’écroulent pas.

Dors bien Marilyn, je suis là, à côté de toi,

Gardien secret

De ton silence mélancolique.

 

 

Marilyn

 

Della tua delicata bellezza non v’è che un'immagine voluttuosa:

Il miraggio del tuo corpo ardente;

Tu sorridi e piangi quando un uomo ti ama

Senza amare la tua fragile anima

Che implora la carezza dell'amore profondo.

 

Dietro la tua sensualità c'è un mondo che il mondo ignora

Ma tu ami intensamente perché hai bisogno di amare;

Sogni la passione, lo slancio che non smette di ardere,

Lontano dagli zingari che mendicano il piacere effimero.

 

La tua bellezza non è di questo tempo

Che si abbandona al tuo seno senza mai chiedersi chi sei,

Senza sapere perché ti nascondi tra le lacrime di un sorriso.

Senza via d’uscita, sei in trappola quando l'egoismo

Ruba i tuoi fiori e tu vuoi morire

Dietro quel corpo che inebria senza essere amato.

 

Sei sublime, Marilyn, così bella e divina,

In questo deserto insensibile al tuo cuore

Che attende di volare via

Prima che i colori di un pennello zampillino

Sulla tela di un’artista ricco di speranze.

 

Non piangere stanotte, ti prendo tra le mie braccia

E cullo il tuo sonno mentre il più bello dei tuoi desideri

Ti porta dove i tuoi sogni non crollano.

Dormi Marilyn, sono qui, accanto a te,

Custode segreto

Del tuo silenzio malinconico.

 

 

(*)

Renato Villani a commencé à publier dans les deux langues à partir de 2019.

Principales publications :

2019: Vers Divers, The Book Edition, Lille

2019 : Versi Diversi (version italienne) Youcanprint, Lecce (Italie)

2020: Tra i Silenzi, The Book Edition, Lille

2020: Da un’altra solitudine, Youcanprint, Lecce (Italie)

2021 : De Loin Au Bord d’un Fleuve, The Book Edition, Lille

2022: Dall’Oise all’Adriatico, Nuova Palomar, Bari (Italie)

2022 : Les Pétales du Vent, vol. 1, Editions Les Poètes Français, Paris

2023 : Visions, Ailes, et Racines (Prix Rimbaud 2022), Editions Les Poètes Français, Paris

2023 : Visioni, Ali e Radici (version italienne) , The Book Edition, Lille

2025 : Atmosphères intimes / Intime atmosfere (recueil poétique bilingue français-italien), The Book Edition, Lille, mars 2025

 

 

 


Renato Villani 

Présenté par Nicole Randon

Francopolis Printemps 2025
Recherche Dana Shishmanian



Accueil  ~  Comité Francopolis  ~  Sites Partenaires  ~  La charte  ~  Contacts

Créé le 1er mars 2002