ENTRETIEN
(10-17 septembre
2023)

Arnaud Rivière Kéraval,
vous écrivez dans l’un de de vos poèmes : « Je suis mon hôte / je
suis mon passager ». Qu’entendez-vous par là ? Cela nous dit-il quelque
chose sur votre démarche de poète ? Qui êtes-vous, au fond ?
Dans ce poème, je fais état de notre
condition d’être humain, à savoir que nous sommes un corps doté d’un
esprit : je suis le passager de mon corps, je suis l’hôte
de mon esprit. Les deux entités inextricables nous permettant de traverser
la vie. C’est un thème récurrent dans ma poésie qui essaie, peut-être
vainement, de concilier le corps et sa sensualité attenante avec l’âme et
ses tergiversations inhérentes. Je suis donc cet être vivant doué de raison
et de langage qui tente humblement par ses mots d’exprimer cette dualité
qui résonne chez tout un chacun.
Esprit-univers, corps-navire, vous
cherchez par vos mots à habiter le monde, n’est-ce pas ? On sent dans
vos poèmes la quête d’une plénitude, à la fois charnelle et spirituelle.
Vous avez beaucoup voyagé, beaucoup rencontré et perdu (« Tant de rencontres
éphémères dans le mouvement du désir »). Quel rôle tient le voyage
dans la genèse de votre poésie ?
Les mots m’aident en effet à trouver
une identité dans ce monde. Mais plus que de l’habiter, il s’agirait de le
sillonner avec encore cette notion de passager. D’où le voyage qui est
primordial et moteur dans ma poésie. Les voyages furent d’abord intérieurs
avec une part d’écriture automatique laissant les mots me sonder,
apprivoiser ce que je n’osais divulguer. Puis je suis vraiment parti me
confronter à l’ailleurs. J’ai vécu plusieurs années en Inde et au Népal, là
où l’absence de repères culturels communs entraîne un vertige ébranlant,
questionnant notre identité. Ce long séjour m’a permis de dépasser
l’exotisme et l’ethnocentrisme, l’ailleurs est devenu quotidien, intime, il
s’est insinué en moi comme par capillarité. Ma poésie est imprégnée de
cette expérience, qu'elle envisage non comme une transmutation mais plutôt
comme une continuité. Avec bien sûr son lot de rencontres, rencontre de
l’autre pluriel et de sa dissemblance qui finit par devenir vôtre.
M’a frappée dans vos poèmes ce que
j’ai ressenti comme l’expression omniprésente d’un rapport amoureux au
monde. Est-ce que je me trompe ? Diriez-vous que vous écrivez par
amour ?
Depuis mes études universitaires en
biologie, je ne peux me défaire de l’idée que nous réagissons constamment,
comme tous les êtres vivants, à des stimuli du monde environnant. Ce
rapport sensitif et charnel au monde et tout ce qu’il implique – la nature
et ses êtres l’habitant – doit transparaître dans mon écriture, comme vous
le soulignez à juste titre, à l’image de la littérature japonaise qui m’a
beaucoup marqué. Cette approche sensorielle provoque indubitablement le
désir qui lui-même induit l’amour. Avec cette capacité d’émerveillement que
le poète se doit de cultiver, comme si le regard qu’il portait sur le monde
était à tout moment une éternelle « première
fois ». Alors oui l’amour est sans doute l’amorce
instinctive de mes poèmes dans cette quête de vouloir englober, incarner le
monde et d’en faire partie définitivement.
Votre poésie, avec sa grande richesse
lexicale, et ses images ciselées, flamboyantes de vie et de lumière,
rayonne d’une beauté hiératique qui traduit parfaitement, je trouve, cet
émerveillement « premier », je dirais « créateur ». Beauté
d’un temple, d’un jardin, d’un corps… Quel est votre rapport à la beauté,
si centrale justement chez un Kawabata ou un Mishima ?
Merci déjà pour l’appréciation
enthousiaste de ma poésie car je ne sais jamais comment elle sera perçue ni
à quel point le lecteur pourra se l’approprier. Elle reflète souvent il est
vrai le flâneur esthète que je peux être. La beauté me bouscule, la beauté
me transperce lorsque je la rencontre inopinément. Et elle est d’autant
plus troublante et touchante si je la déniche là où d’autres auraient passé
leur chemin. Devant elle on peut s’oublier, sortir de nos existences, notre
être n’est plus qu’un regard, à l’instar du personnage de Kawabata contemplant les belles
endormies. Elle nous donne un instant l’illusion de vivre d’autres
vies, on peut les rêver, divaguer jusqu’à entretenir un utopique champ des
possibles bravant le temps qui passe. Elle passe d’abord par les sens et
l’émotion avant de gagner l’intellect. C’est avec cette approche
épidermique d’ailleurs que j’envisage la poésie.
Et c’est bien ce que l’on ressent à
la lecture de vos textes. Arnaud Rivière Kéraval,
vous n’êtes venu à la publication de vos poèmes que relativement tard dans
votre vie, si je ne me trompe pas. Pourquoi ce long temps de gestation ?
Qu’est-ce qui vous a retenu, ou empêché ?
Effectivement la gestation avant la
diffusion de mes poèmes fut interminable. Pendant longtemps j’étais peu
enclin à la publication, ne sachant surmonter les affres de voir mes
textes figés comme dans le marbre. Car j’ai la fâcheuse habitude de les laisser
maturer avant de les retravailler jusqu’à plus soif. Je les présentais de
temps à autre à mon cercle d’amis mais n'étant pas sûr aussi de la valeur
littéraire de mes écrits, je n’allais guère plus loin. C’est sous
l’impulsion récente d’un ami comédien que j’ai franchi le cap en les
proposant à diverses revues poétiques et je dois dire que tout s’est
accéléré avec la rencontre de Jean-Jacques Brouard et Miguel Angel Real du
blog de poésie Oupoli. J’ai rejoint leur
comité de lecture et s'est nouée une forte amitié poétique qui m’a permis
de gagner en confiance. Depuis j’ai été publié dans plusieurs revues
jusqu’à la parution de mon recueil « Les Paysages ambulants » aux éditions Ballade à la Lune.
Revenons un instant sur ce moteur de
votre poésie qu’est le voyage, et cette quête « épidermique » de
la beauté qui en constitue la finalité. Tenir un journal poétique, quand on
voyage, n’est-ce pas se donner d’autres yeux pour « dénicher » la
beauté (l’écriture dans ce cas comme consubstantielle au voyage,
voyage dans le voyage qui le modifie et le magnifie) ? Quel rôle tient
pour vous la poésie dans le voyage, si du moins vous lui en prêtez
un ? Pourriez-vous voyager sans écrire ?
Pour ma part tout va dépendre du voyage
et de sa foison d’émotions et de rencontres. Il est des voyages où
l’instant vécu est de toute évidence poétique en lui-même, les mots
viennent presque simultanément pour le magnifier, le poème déroule son flot
avec flagrance. C’est le cas par exemple du texte « La ville ».
Et d’autres voyages sont tellement forts et intenses que l’introspection de
l’écriture ne saurait en interrompre le rythme. Elle sera alors différée
mais les yeux alertes qui décryptent le monde sous le prisme de la poésie
et de la beauté sont déjà là, omniprésents. Ce seront des flashs, des
bribes de mots collectées ici et là, véritable matière brute, qui seront la
base d’un travail poétique ultérieur. De retour de voyage l’écriture
prendra véritablement sa place avec un temps nécessaire d’assimilation
(quelquefois plusieurs mois) pour retranscrire ces impressions poétiques
contrastées. Ce sera donc un nouveau voyage après le voyage. Enfin il y a
d’autres voyages, heureusement peu nombreux, où rien ne se passe, rien ne
se crée. Il vaut mieux ne pas s’y attarder.
Le désir d’écrire est-il né chez vous
de l’expérience du voyage, dont on comprend qu’il a façonné pour une grande
part votre univers poétique, ou bien vous vient-il de plus loin ?
Comment êtes-vous venu à la pratique de l’écriture ? Quels sont les
auteurs, poètes ou romanciers, qui vous ont accompagné dans cette
voie ?
L’écriture est venue bien avant les
voyages. Elle s’est imposée à moi dans ma jeunesse comme un nécessaire et
salutaire besoin d’exprimer à l’époque une passion platonique,
obsessionnelle, esthétique qui m’a envahi sans que je ne comprenne vraiment
ce qui m’arrivait, elle m’a plongé dans un tourbillon des sens auquel je
n’étais pas préparé. Le poème du Mouvement fait état de cet
épisode agité. Elle est arrivée aussi avec la découverte concomitante de la
poésie de René Char qui m’a ouvert les champs de la prose poétique. S’en
est suivie la poésie d’Artaud, Cendrars et plus récemment Cavafis et Sénac. Du côté des romans, Mishima bien sûr,
Tanizaki, Pasolini, Rushdie, Yourcenar, Boulgakov
ont jalonné ma vie d’écriture, ils ont été aussi des repères dans les
différentes périodes que j’ai pu traverser et mes voyages.
Nous arrivons au terme de cet
entretien. Votre poésie est pour moi une poésie de l’instant, de
l’accession à la plénitude de l’instant, saisie dans toute la complexité
des liens entremêlés (pensées, émotions, sensations…) vous unissant au
monde qui vous entoure. Peut-être, à l’instant jubilatoire où la beauté
tant recherchée vous est dévoilée, magnifiée par les mots, vous
révélez-vous à vous-même, vous mettez-vous vraiment à exister en homme
libre. En guise de conclusion, diriez-vous avec Blaise Cendrars, cet autre
poète-voyageur que vous venez de citer : « Le seul fait d’exister
est un véritable bonheur » ?
Je suis touché par le fait que vous
ayez si bien réussi à cerner et décrypter l’essence-même de ma poésie. Je
pourrais faire mienne la devise de Blaise Cendrars même si je ne
réutiliserais pas forcément le terme de bonheur qui est assez galvaudé
à notre époque, avec tout ce pullulement d’ouvrages de développement
personnel et autres modes d’emploi de bien-être, ce que la poésie ne peut
et ne doit pas être car elle va bien au-delà. Je m’attarderais plus sur la
notion de la liberté que vous soulevez. Nous ne devons jamais perdre l’idée
que nous demeurerons toujours libres, libres de penser, quelles que soient
nos contraintes matérielles ou sociétales. Le seul fait d’exister nous fait
prendre conscience à tout instant de notre liberté et de ne jamais l’oublier,
quitte à payer le prix du vertige et de ses angoisses intrinsèques. Et quoi
de mieux que la poésie pour la cultiver ?
(*)

POÈMES
LE MOUVEMENT
Etienne, le sang justifie les distances anoblies, il court le long
des jetées. Lui appartient le temps de l’arc sauvage, les yeux timides
demandent l’ouverture et la découverte, tenues dans les spasmes du présent.
Souffle étrange, pose enfin les nombrils masqués sous le flot des
paysages qui défilent. Épaules la vie s’arrête sur le geste latent. Non, le
geste s’accomplit, la candeur éprouvée tombe, les traits dessinent les
fuseaux, le mouvement joue le corps affranchi. De nobles voies lobées
encerclent la frontière dermique, le filet signe la peau miroir qui se
courbe.
Vue tentée, l’instant exulte, les tables terrifiantes s’éloignent,
le plan chassé joue l’invisible. Reste l’éclair du corps superbe, le
mouvement trempe la beauté maintenant. Le sang la tête l’étreignent, suivre
la mort n’aura pas lieu.
CAMOPI
« Dieu escalade, orientons les Indiens. Respirent encore les
poumons ecclésiastiques. Quand l’homme sans père s’est défait des actuelles
contrefaçons. Dieu est parti chercher l’aube ailleurs, suivons-le ».
Ah ! le missionnaire arriviste et les poussières, quelle déroute
pratique !
…Liberté crie de toutes ses voix. Écho volatile. Les feuilles
puissantes répondent au sursaut animal. Noir de mer et vert de peau.
Oyapock forêt, Oyapock ville, Hommes rouges aux gestes circulaires
repeignent le temps. Humide la coupe, le galbe, la sueur chaude. Siffle
écorce malléable, matrice de rang d’arbres éclos. L’arbre traverse les
regards parcellaires, lumière la vie mérite la saison, la terre le vert.
Existe Émérillon et le soleil, une calebasse, un enfant de cachiri.
JOUER !
Il joue le théâtre. Il rentre le théâtre. Les sens de l’espoir le
montrent Macbeth. Il est le Maître encore jeune enjoué. Le
bras torse nu suit les respirations, l’œil les virgules de
l’impression. Le Roi semble honnête, et alors ? On recommence.
Les lignes du corps la terre fuir vers la rivière. Une fontaine
bleue attend les soupirs défendus ; un personnage adossé scrute les
lumières orgueilleuses, il pleure le monde enfoui, de la vallée il arrête les
mots tristes et le cri(e).
L’eau limpide enveloppe son aura
caverneuse
Une femme s’approche, le couteau
les
mains tendues, elle lance la destinée, elle touche le calice
de
l’instant, les couleurs de la scène végétale cendre
frôlent
la fontaine ne s’écoule plus. La victoire est finie
Comédiens, sève jaillissante,
levez-vous, l’espoir suffit.
ENDYMION NUTANS
Antre des calices, le miel saccage les foules de l’âtre. Il ne tue
pas, il fouille les silences absents, les grains du temps évanescent. Grès de charme belliqueux, décollement,
frottement. Descendre vers la pente imberbe jusqu’aux piqûres
chevaleresques et la stèle idolâtre. Tant de silhouettes anéanties dans les
ports de l’âme. Tant de rencontres éphémères dans le mouvement du désir.
Tous ces corps formant l’édifice qui repoussera les lances du vagabond
méandre.
Toi tu longes ma peau, ce jardin falsifié. Tu sauves les écueils de
la pierre solitaire. Affranchis les étangs silencieux. Pourtant
d’interstices en vent de cathédrale, tu échoues la spectaculaire missive,
personne ne m’arrêtera le temps fluide.
LE JARDIN
Cette nuit ne pas s’enfermer
Le vent dans les arbres brigue les
sentes de l’espoir
le
mur du parc est envahi d’ombres déferlantes
qui
se poursuivent dans le flot des remparts
l’herbe
des faubourgs
où
courent s’éblouir les saveurs humaines
Danse de carnaval, couleurs écrasées
les
pigments tendres le soir et les rencontres emmêlées
Ami de passage et lanterne
le
bruissement des feuilles sculpte notre nuit
aux
caresses des amants vacillent les essences endormies
Le contact de ta peau irise mes
souvenirs
l’envie
renaît toujours et se courbe
apprivoiser
ton souffle et demain revenir
L’APPARITION
Le temps de vivre court un esprit
ravageur
la
plage, une ville reconstituée
l’élite
se confond devant la beauté de l’apparition
Il vient ? il vient
l’eau
sur lui réveille les limbes des alentours
le
torse brun déployant le ferme épiderme
comme
autant de filets abondants
le
lungi noué autour des hanches
que
dessine l’ondoiement du remous
il
avancera toujours dans la chaleur de l’aube
La plage lui offre une écorce de
sable
et
m’emporte
la
mer affranchit la chair, l’eau trouble désir
je
ne pense plus aux coquillages
Au-delà les parfums mélangés
LES MENSONGES
Gare de Bombay
les
trains lumières affluent
dans
le temple métallique
Les voyageurs descendent les marches
et
parcourent des arabesques insensées
La parade de l’opulence et de la
réussite
livre
joutes merveilles et mondes caciques
Quand les jeux de chances croisent
des vents contraires
Krishna est là, en face du quai,
il
scrute les mensonges de la destinée
Bientôt le train le délivrera de cet
inventaire
quitte
la ville et ses gorges l’indiffèrent
un
long trajet au crépuscule
Derrière la vitre les villages
pointent
leurs petites lumières
suivent
encore l’onde du temps et de la terre
Un sentier mal éclairé, une odeur de
riz
cheminent
les traverses
parcelles
d’eau où se mirent
les
plis lancinants de la voûte
Le regard de Krishna s’ouvrira
téméraire.
LE FLAMBOYANT
Près de la mangrove, j’entends déjà
la mer
ses
rivages persiflent mon orgueil
les
embruns sont de courtes valences
qui
me piquent la chair
je
franchis leurs noyaux
indemne
de toute issue
Elles abondent alors en massues
ce
sont des familles entières qui me transpercent
et
dévoilent leur alibi :
« la
Procréation, modèle social
doit
effacer les intrigues du monde »
même
les muses s’habituent
elles
m’inventent des vocations de père ou de mari,
Mais les souvenirs taraudent l’esprit
ils
parsèment le doute, inversent mes nuits
Mille cerfs-volants au-dessus de
Varanasi
et
revoilà Etienne, Johan et les autres
amours
de lunes incomprises
maintenant
je vous suis,
Courir, voir, voler
s’entourer
de toutes les flammes
ma
nouvelle ville respire de milliers d’âmes
la
végétation au réveil s’amplifie
Dans la cohue de la lumière
se
déverse la ramure d’un flamboyant
irriguant
les rues, les ruelles
et
plus loin mes envies.
SUR LE CHEMIN DU
TEMPLE
Que feras-tu de mon désir
Grand escamoteur
quand
la lune aura couché nos corps
sur
le chemin descendant ?
La fumée des morts s’élève des
bûchers de crémation
quelques
cendres viennent jouer sur ma peau
Un linceul orange recouvre un corps
froid
les
pieds gris dépassent comme un dernier affront à la vie qui l’entoure
Des enfants mi- nus jouent dans l’eau
ils
s’amusent à ramasser les pièces jetées du haut du temple par les dévots
Les singes espiègles se promènent de
toit en toit
ils
traversent la rivière et volent des bananes aux pèlerins
De faux sâdhus aguichent les
touristes
les
gurus se font ici concurrence
plusieurs
guides essaient d’interrompre ma quiétude
Au bord du ghât, un vieil homme en
dhoti fait ses ablutions
Une femme noircie par la crasse,
édentée
apostrophe
les passants
elle
se recroqueville, mue par le silence
reprend
ses invectives et éclate de rire
Neuf lingams me font maintenant face
je
psalmodie quelques mots comme d’ordinaire je les bredouille
les
lingams s’éveillent à l’écho de mes appels
je
sens leurs forces qui approuvent mes choix
ils
s’imprègnent de ma soif
Devant eux les nandis veillent
ils
attendent un accomplissement
Mes tempes se réchauffent
quand,
à la nuit tombante, un chœur
illumine
le toit doré du temple
Que feras-tu de mon désir
Grand escamoteur
quand
la lune aura couché nos corps
sur
le chemin descendant ?
ONANISME
Quand le cercle de l’abstinence frôle
les jambes du renonçant
quand
la mante religieuse évoque le passé de l’ascète chantant
onanisme
quand
la pierre des lingams reflète les épanchements des devadesis
Et plus loin, onanisme de la rue
Les saveurs humaines filent d’entre
les échoppes
qu’importent
les soupirs vendeurs d’amulettes
le
marché tapageur, les pavés grouillants
sous
les dieux immobiles
Je place les totems de la joie
sur
un piédestal orgueilleux
je
mets les embuscades au service
des
passions échappées
attèlent
le fil de mes aspirations nocturnes
La musique des corps, les hommes
rouges
je
m’amuse à les encercler
(DE L’ISOLEMENT DES
MONDES)
Le soleil envoûte les lueurs d’une
faune endormie
se
réveillera dans l’obscurité d’une cave aventure
d’où
musiques virevoltent, en alvéoles s’étirent
comme
la folie débusquée agite la toile des tambours
Rythmes caduques, ventres impatients
de se toucher
de
l’isolement des mondes
je
déploie les forces de la renommée
faufilant
silhouettes et parures
À la dérobée toujours se peignent nos
désirs
de
l’isolement des mondes
je
continuerai le vertige cheminement d’un visage
qui
me mène, me poursuit dans le froid d’une chambre vide
Vide sous l’écorce des soupirs et
tout est à remodeler
de
l’isolement des mondes
les
vitres se sont fendues
la
maison en fuite n’a conquis ni le diamètre ni l’opposé
Ouverture placide et manque de
faillir
je
retournerai dans la cave monstre, la faune hypocrite
la
sueur, les fumées, de ces temps décharnés
me
soûleront encore
LA VILLE
D’élucubrations aériennes en emphases
garudesques
les
âges s’invectivent, les gratte-ciels se défient
aucune
allégorie, aucune extase ici
Je jette mon dévolu sur une lumière
un
flux débonnaire dans la rue
qui
me résiste, qui m’attire
Malgré le fil dédale, je reste ardent
s’enfuient
les âpretés comme les faux-semblants
sur
le bitume nu mes pérégrinations
Je te vois en face, je traverse,
convaincu
que
le monde et les astres demain encore s’illumineront
les
néons, les feux, les chimères
idolâtrent
le présent, insultent leur vécu
Tu me souris le long des artères
et
nous prîmes d’assaut la ville est mon royaume déchu
CÉLESTE
Aussi loin que le hasard les soirs
de
débandade les astres diffusent
hagards
leur jolie sérénade
un
air une brise éphémère entre moi et
la
voûte croise le fer avec les palmes
libres
parmi toutes
Dans le néant de la sphère les
sentinelles
funambules
se parent de merveilles
plus
belles encore dans la lutte
Attachés aux soleils les spasmes
des
volutes volent en éclats de verre
trahissent
les particules
Au passage des météores
le
vide s’accélère dévisage l’abîme
fort
de mon envie de lumière
JE SUIS MON HÔTE
Je suis mon hôte
je
suis mon passager
le
garçon sur la digue
surplombant
les années
traversant
les terrasses
inondées
d’apparences
les
pas le chemin les traces
enluminent
les planches
comme
les stries sur
les
angles de la roche
dans
la bruine des falaises
le
brouillard en accéléré
je
suis mon hôte
je
suis mon passager
le
regard dans les cimes
où
viennent s’ébrouer
les
voiles de la vertu
laissent
le vent
aux
myriades du passé
la
villa Beauséjour la corniche
dans
l’intervalle des dunes
l’estuaire
triomphant
je
suis mon hôte
je
suis mon passager
de
fenêtres en escapades
les
arcs défilent
vierges
de tout serment
profitent
à la nuit
du
lendemain avide
qui
nous surprend
DÉPART
Espace fugue les délaissés de la
terre
dans
le froid les flaques de la cité
aux
frontières verticales
paradent
sous le rose des pavés
là
où les feuilles le désert
par-delà
les vitres
cultivent
la déveine
force
l’envie brutalise les départs
avec
en bandoulière
le
sacrifice de l’ankylose
remettre
à demain le passé
Au loin au loin d’autres frontières
se
dévoilent comme l’orage au premier
bas-fond
mais
nous les occultons
portant
l’orgueil des ventres sourds
nous
partirons quand même
allègre
imaginaire
enfreindre
leur désespoir
ISTANBUL ARTAUD
Point de départ le harem et le
palais
voraces
du temps de l'autre empire
où
coupoles et arches se livrent
à
coup de bacchanales mosaïques
Maintenant c’est la foule des visages
du grand bazar
d'humeur
à m'étourdir les signes
qu’agrippent
tentures et épices
M'extirper
descendre
la rue tout droit jusqu'à la Corne d'Or
enjamber
les poissons du Bosphore répondant par vagues à mon élan
comme
les mouettes au muezzin dans les hauteurs des minarets
De là remonter le sillon foisonnant
vers Taksim
je
retrouve la foule pusillanime qui m’affole
avant
d’englober son tourbillon
urgence
de l’esquive par la contre-allée
Passer la porte d'une échoppe
refuge
de verre entre étoffes italiennes
et
en guise d’offrande
la
main noire dans les oreilles qui apaise mes remparts
Les frontières se diluent à l’abri du
hasard
quand
Altu? inattendu me parle d'Antonin Artaud
ses
mains, son sourire, sa voix croquent mes atermoiements
Altu? le magnifique
rhapsode
byzantin sur le chemin des mots que j’écouterai des heures.
©Arnaud Rivière Kéraval
|