TERRA INCOGNITA

 

 

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Archives : Terra incognita

 

Nouvelle rubrique : découverte…

Novembre-décembre 2021

 

 

 

Chem Assayag

 

Présenté par Dana Shishmanian

 

La nuit

La nuit encre

pupille dilatée à l’extrême

qui recouvre nos âmes et nos têtes

horizon dense 

entrelacs

La nuit

linceul sombre de nos jours

souvenir oublié

battement de nos peurs

depuis le temps de nos premiers pas

destin des hommes fragiles

La nuit sans fond

maille d’étoile

comète vive

lune pointue

lumière au creux d’une paume

La nuit est trouée par nos espoirs

 

 

La peur

La peur est comme une brèche dans la confiance, un minuscule trou qui vient rôder, puis inciser, puis entailler et enfin fait perdre l’équilibre. Mais, si la confiance est suffisamment forte, informée par l'expérience et les mots, les actes, pleine de ce qui est invisible mais qui la tend comme la voile blanche de l'oiseau libre, alors la peur sera condamnée à errer, à tenter vainement de conquérir de minuscules territoires, à se recroqueviller sur elle-même, sèche et vide.

La confiance entre toi et moi est là depuis le premier regard, elle a traversé les ans et tout ce qui aurait pu nous éloigner, elle nous a bercés et enlacés. Alors une nouvelle fois donne-lui ta main et la peur s'éloignera, vaincue.

 

 

J’ai cueilli le soleil

j’ai cueilli le soleil ce matin

j’ai mordu dedans

des rais de lumière ont coulé sur mes joues et mon cou

et une aurore a réchauffé ma main

 

le temps a passé

un peu d’ombre a rafraîchi mes lèvres

elle avait le goût d’une sieste

ou d’une récolte automnale

 

j’ai rassemblé une couronne devenue tiède

et un champ magnétique qui déclinait

je les ai caressés avant que la nuit brille

pour les endormir d’un rêve doux

 

l’arbre du ciel est désormais tranquille

avant la musique des grands bourgeons jaunes 

des sphères neuves qui palpitent et grandissent

demain une autre récolte épousera mes doigts

 

 

Un enfant joue

Un enfant joue et le ballon qu’il pousse entraîne le monde, une grande danse se met en mouvement, cercle que dessinent des arbres et des océans doux

Une fête où la musique retentit, les instruments entrechoquent leurs notes et les gestes s’enlacent tendrement

Un fruit qui, sous la langue, donne à boire la pulpe qui apaise les soifs

Une main qui dépose sa paume au creux d’un visage et le berce dans un sourire

Un texte patiemment appris dans la dureté des nuits et de la solitude et qui enfin se révèle infiniment

Un soleil qui enfle dans la mer et recouvre de lumière nos rétines

L’eau qui lave et qui purifie, qui bruisse de son murmure de souvenirs

Le présent qui n’est pas le passé englouti ou le futur inexistant mais le battement immédiat de ma présence au monde

La joie, possible à chaque instant et en tout lieu, vêtement que nous pouvons habiter de nos vies.

 

 

Que des réponses

il pose des questions, une main après l'autre

et des regards sépia comme pluvieux

il attend

la réponse vient comme un azur

un rire cascade qui cataracte dans sa bouche

note après note

et accroche le manteau du ciel

il s'en enveloppe

il boit au creux d'un nuage

une eau au goût de cœurs qui se touchent

c'est doux et sucré

il n'a que des réponses

 

 

L’arbre des demains

Un arbre pousse dans ma tête

Lentement, avec la confiance de l’inéluctable et des cycles

Calmement, avec la force de ses ancêtres et de leurs récits

Il ondoie sous le flux de mes rêves et de mes pensées

Vibrant

Une branche vient effleurer mon front comme une caresse vive

Des feuilles poussent vers les nuages interrogateurs de mes iris

Une canopée légère se mêle à mes cheveux dans un murmure

Je cherche un nom pour l’arbre qui se déploie

Pour son tronc large qui ressemble aux siècles

Pour son écorce où je repose mon âme

Je cherche

Et lorsque les fruits apparaissent, graines minuscules

Puis promesses colorées, puis formes puissantes

Nourritures à venir

Le nom vient

L’arbre des demains germe en mon sein

 

 

La pluie

la pluie floque sur ma peau comme un léger mal de crâne

goutte à goutte du ciel qui perfuse mon soir

rigole d’hiver qui ne promet rien qu’elle même

les hommes ces autres mois sont rentrés

guettant l’humide sur les murs nets

avec la crainte d’un suintement invisible

peut-être la prière murmure l’un

peut-être l’oubli et le sommeil rêve l’autre

mais il faudra attendre le verdict du lendemain

pour espérer la rosée plutôt que l’infécond

le sec soleil d’un ciel plutôt que les eaux

et la peau qui pelure sous mes doigts

dit une nuit qui sera longue

 

 

L'oiseau

L'oiseau se pose sur son épaule et picore les grains de souvenirs et les images des demains ; dans son minuscule bec la succession des instantes toupies et des moments mélanges lui fait tourner la tête comme si le tourbillon de la vie lui faisait un cadeau. Un trille, la respiration vibrante de son être, s'échappe et vient frôler la nuque frémissante qui est son nid. Une main cueille d'un baiser cette intrication des mondes. Tu es le bonheur chante l'oiseau.

 

 

Ne sois pas intranquille

ne sois pas intranquille mon elmée

le cœur sur lequel je repose

et dont les battements cadencés

rythment une douce osmose

ne sois pas intranquille car tu es la promise

celle dont les jours sont mélangés

ne sois pas intranquille

ma promise, mon île

la crique où je vais m'abriter

la terre que je vais habiter

ne sois pas intranquille

va d'un doux sommeil

réparer tes forces si belles

reposer tes douces pupilles

celle dont le corps est mêlé

au goût exquis de cerise

ne sois pas intranquille

mon printemps

la terre fertile

de mes futurs du temps

 

 

Je t’attends

Je t’attends ; c'est une attente qui sinue dans mon corps, fourmille dans mes muscles, électrise mes synapses, gonfle mes cellules et tambourine mon cœur.

Je t’attends ; c'est l'attente de tes yeux sur ma peau, de ta main sur ma nuque, de tes seins contre ma bouche, de ton souffle dans mon souffle.

Je t’attends ; c'est l'attente des promis, des confiants, des bienveillants, des elmants.

Je t’attends ; c'est une attente qui a duré des siècles, englouti des univers, avalé des magmas et rempli les océans.

Je t'attends et je sais que tu es là et que d'un geste tu vas délivrer nos mondes.

 

 

La goutte

La goutte pouvait suivre deux chemins, l'un l'amenait à devenir larme, l'autre à devenir rosée.

Au matin la rosée était là.

La goutte pouvait aller vers la mer et rejoindre le sel, ou rester sur sa joue pour lui donner à boire.

Elle la prit entre ses mains et la lui tendit car elle voulait apaiser sa soif, car elle était son eau.

La goutte pouvait serpenter mille corps et mille bouches, dévaler des peaux et des muscles innombrables.

La goutte était à la naissance de tes yeux, là où est l'aurore, le vert du soleil.

La goutte dévalait la pente du glacier à vive allure ; elle avait froid. Elle luttait pour ne pas se diviser sous l'effet de ses tremblements et de la vitesse. Elle espérait le lac au bout du périple.

La goutte sentait les rayons du soleil l’assécher ; elle savait que si elle restait ainsi elle allait bientôt disparaître et devenir trace sur le bitume, mourir. Elle aperçut l’ombre de cette femme embellie par un chapeau ; son salut était une silhouette d'été.

Les gouttes se rencontrèrent, se rebellèrent, se coalisèrent, se mélangèrent. Ensemble elles finirent par former un grand lac émeraude où les femmes se baignaient sous le soleil du printemps.

 

 

Rayon incident

Rayon incident, léger changement dans le cours fluide du temps, oblique qui fait ombre sur la peau, cercle de lumière rampante, œillet qui grimpe sur la main et en souligne les veines, battement battement de rouge mêlé, un autre liquide s’écoule à la lisière de mes sens, là où le soleil précipite les couleurs comme un alchimiste médiéval, et palpite à mes tempes. Rayon incident qui ajoure le voyage, bouche ouverte sur le dehors.

Rayon incident, découpe infime d'un soleil distant de plusieurs vies, parvenu sur une joue lieu minuscule en un temps précis qui est celui du regard peut-être celui des destins. L'angle formé, qui change de taille et de substance avec les mouvements invisibles, dessine intersection des êtres là où il ne reste plus qu'un point comme un grain de beauté de lumière. Les ombres sont repoussées et on sourit en pensant que l'étoile nourricière on est le témoin.

Rayon incident avant que la nuit ne l'engloutisse dans l'indistincte fratrie des ombres. Un dernier éclat fatal, note de musique qui s'estompe et laisse la mélancolie s'approcher à pas de lune. Bientôt une disparition, comme la vague ressac qui est un souvenir but par le sable. Mais, le rayon incident, je l'accroche sur un grand fil et dans l'anonyme obscurité il continue à briller.

 

 

Tu es la rosée

Tu es la rosée, l'eau douce qui se dépose le matin pour rappeler la vie. Sur la pulpe de mes doigts se promène la goutte de toi, je la laisse adoucir la commissure de mes lèvres.

Ayant porté la goutte à ses lèvres il sut qu'il n’aurait jamais plus soif, car la goutte renfermait tous les océans et toutes les eaux.

 

 

Le dragon

Le dragon, couché sur le flanc serre les dents, il a mal si mal

transpercé de flèches, d'archanges et de malédictions,

et chaque respiration lui arrache un cri guttural

lui, pourtant, animal terrifiant de nos imaginations

ses ailes semblent inutiles, prothèses insignifiantes

le feu de sa bouche n'est qu'un fétide tiède

et ses yeux sont voilés de larmes géantes

qui creusent le sol rocailleux de la pinède

il se retourne dans un dernier effort

espérant voir à l'horizon le soleil ou la lune

trouver un quelconque réconfort

en ces temps de grande infortune

il n’aperçoit qu'arbres et rochers et les armures des chevaliers

tordues, déchirées, inhabitées

de ses ennemis qui ont livré bataille

à grands renfort d'ivresse de prières et de cisaille

il sait alors qu'il ne reste que l'imagination

pour réécrire l’histoire de ce combat

et arracher une victoire sans contestation

contre les phalanges grises et sépia

 

*** 

 

un dragon insolent passe au-dessus de la ville et la pluie marque son vol ostentatoire

une eau rêche et acide se déploie comme un filet préhistorique

les habitants se protègent avec de grands cris et des gestes incantatoires

et les trottoirs s'animent de brumes de fantômes et d'histoires

le dragon est déjà loin quand les têtes se relèvent

étourdies par ce qui aurait pu advenir

troublées par ce qui n'était pas un rêve

fabriquant en toute hâte des corolles de souvenirs

 

 

Un territoire

Un territoire où il n'y a plus de références, seulement l'invention permanente de la vie qui s'imagine à chaque instant et à chaque respiration. Un territoire où le beau et le calme se côtoient dans une caresse joyeuse. Un territoire où les cœurs battent si fort qu'ils font penser aux chevaux au galop dans l'horizon des vagues. Un territoire aussi immense que l'univers et aussi infime que la cellule. Un territoire rond dans carré et terre enciélée. Un territoire à la clameur silencieuse. Un territoire où je vais avec la promesse des bonheurs.

 

 

La chaleur sur la peau

la chaleur est sur ma peau, sueur de soleil qui perle

une goutte qui lentement se forme et s'arrondit, sphère salée

à la commissure de mes lèvres, le goût de l'été

je pense à la même goutte sur le hâle de ton corps

au trajet de son imprévu entre tes seins et tes hanches

à la saveur mélangée qui l'imprègne

à la sensation corticale qu'elle insinue en toi

tu portes la goutte à ta bouche avec ton doigt humide

et tu y reconnais mes mots

le sourire que tu éclos croque le ciel

cerise tendre qui colorie ton visage

et dans nos têtes une mélodie d'aurore se lève

 

 

Le lac

Le lac de tes yeux est le souvenir qui habite le corps de mon corps, le lieu d'une baignade où mes gestes appellent des gestes, et le délié de mes muscles accueille les caresses que tu murmures. L'eau ondoie dans la mémoire vive que tu as enfantée, bonheur après bonheur, et qui désormais reflète ton sourire. Lorsque l'en dedans remonte à la surface, pour rencontrer ta peau et ta voix, souffle qui insuffle, pollen qui enfante, le lac s'agrandit, enfle et déborde, car tu accomplis de nouveaux méandres et de nouveaux deltas, tu dessines la cartographie à venir de nos vies. Je navigue sur ces eaux, porté par le vent de ton regard et la force de ta liberté, certain que des embellîles vont apparaître à l'intersection de nos mains. Tu es le marin et je suis la coque, je suis la boussole et tu es l'aimant, et le lac sait qu'il devient océan.

 

 

Je plonge

Je plonge dans le lac de ses yeux et j'éclabousse le monde de l'eau vive de son regard et de nos mélanges, des rivières polychromes viennent lécher les terres pour les fertiliser d'un pollen neuf qui est nos mains mêlées, des jarres remplies de la vie qui apaise et soigne sonnent de gouttelettes qui sont nos mots bijoux, des océans profonds aux noms préhistoriques se forment là où nos semences se reconnaissant et s'aiment, je plonge dans le lac de ses yeux et j'éclabousse le monde de l'eau vive de son regard et de nos mélanges, car elle est la si belle qui m'a appelé.


J'ai plongé dans la piscine de tes yeux, eaux salines et lac émeraude, là où ta pupille dessine un volcan vivant, lave ondulante et calme, là où ton iris invente des monochromes qu'aucun peintre n'a imaginés, là où ton regard crée le monde battement de cil après battement de cil. Je me baigne et tu me rejoins.

 

J'ai plongé dans la piscine de ses yeux, là où la pupille dessinait un monde rond et secret. La sensation fluide de son iris a semé des arcs-en-ciel dans mon sillage, enfantant une écume qui se teintait de tous nos souvenirs. La courbe de ses cils contenait les battements de ma vie, un à un et tous ensemble, dans le ressac de sa mer intime. L'apnée ne demandait aucun effort car elle me nourrissait de toutes les fertilités qu'elles avaient apprises. J'ai été encore plus profond et lorsque j'ai aperçu son visage mes larmes se sont mélangées aux siennes, heureuses de s'aimer.

 

 

Je suis la ligne

Je suis la ligne tracée, point à point, comme le funambule attentif sur le fil, scrutant les bifurcations ou les détours, les rencontres et les hasards, j'arpente et avance, patiemment, sans dévier, concentré,

Une singulière impression de déjà vu, un quelque chose qui tend le cou imperceptiblement, l'attention sollicitée avec un léger surplus de poids, comme la responsabilité de résoudre une énigme,

Sur le chemin géométrique du parcours une redondance se met en place devant mon corps et mes yeux, un même qui est le segment déjà parcouru mais sans être l'identique,

À la mesure de mes pas, des inclinations de muscles et des diagonales des souffles, la répétition renouvelée de la figure semblable devient une évidence, je dessine sans cesse une forme qui est sa propre copie,

À l'infini du voyage se superpose désormais la trace immuable de la fractale que je crée en la découvrant, une éclosion inépuisable de la vie et du lien

 

 

©Chem Assayag

 

Photographies de l’auteur (extraites de sa page FB)

 

 

 

Chem Assayag vit et travaille à Paris.

Il écrit depuis son adolescence, quasi exclusivement des textes courts (poésie et nouvelles).

Il a publié plusieurs recueils et nouvelles aux Editions Manuscrit et Terre d’Auteurs (indisponible), et collaboré à de nombreuses revues papier et en ligne (Traversées, Poésie Première, Phréatique, Pyro, Comme en Poésiewww.ecrits-vains,..).

Il mène par ailleurs un travail photographique visible en partie sur sa page Facebook.

 

***

Bienvenue à cet auteur qui se dit lui-même – sur un des sites qui tracent ses multiples activités – « au carrefour de plusieurs mondes » (mais on ne va pas le dé-conspirer ! – le lecteur qui voudra le pister cherchera lui-même sur Google…).

Pour nous, il se révèle avant tout un poète de grand souffle, maîtrisant le verbe et ses sèves nourricières dans plusieurs registres et formes d’écriture, avec une généreuse inspiration où vitalité et spiritualité, sensualité mystique (à la Cantique des cantiques) et épure abstraite, croissent et éclosent ensemble. (D.S.)

 

 


Chem Assayag

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Créé le 1er mars 2002