Présentation du prix
bourguignon Marie Noël par Marie-Pierre Verjat,
membre du jury
Le prix
Marie Noël a été créé en 1963, nous avons fêté ses 60 ans cette année.
Signalons qu’un grand nom de la poésie en fut le lauréat en 1965, il s’ agit de Léopold Sédar Senghor. A la demande de la
poétesse auxerroise Marie Noël (dont l’œuvre fut remarquée à l’époque par
Aragon et Montherlant, la citant comme la plus grande poétesse de son
temps), ce prix restera bourguignon. Il récompense un poète, voire
deux parfois, pour l’un de ses recueils, un ou deux lycéens pour deux de
leurs poèmes ; plus récemment a été créé le prix d’éloquence des écoliers.
Ces prix sont remis chaque année à Santenay depuis vingt-cinq ans après
avoir été décernés successivement à Dijon puis à Beaune en Côte-d’Or. Sont
remis en cadeau aux adultes des bouteilles de vin de Bourgogne et aux
lycéens et écoliers divers livres et bons d’achat ainsi que des diplômes
pour chacun des récipiendaires.
(*)
LES
FIORITURES FLEURIES
(avec 3 illustrations de
l’auteure)
-I-
Les oiseaux de
l'aube
Les oiseaux de
l'aube
Entonnent sans
effroi
Un chant que
l'ombre
Absorbe sans
émoi
Les mélodies
picotent, tournicotent
puis
tourbillonnent…
C'est le matin
en éclosion
Qui se donne
***
-II-
Où les étoiles
s'effleurent
Des larmes sèchent contre la noirceur de l'air
éteint
Des meubles s'y plongent aussi, durs, d'étain,
Il y a l'odeur de la poussière d'argent fané.
Il y a les cris, se heurtant sans bruit aux murs
brisés
Fleur qui s'ouvre
Fleur qui boit le noir
qui broie du noir
Fleur de peau, à fleur de tête, c'est la fleur de
la paupière...
Broussailleuse un peu, à ses orées,
Elle abrite quelques étoiles fraîchement tombées
Ce soir,
Minuit n'a sonné nulle part d'autre
que
dans les cœurs.
***
-III-
L'invitation
Ouvre les yeux,
J'aimerais
ajouter deux soleils à l'autre
Dis-moi ton
monde
J'aimerais que
la merveille saute
Rêvons
nous deux
Allons donc aux
lueurs, tout au bout du chemin...
***
-IV-
Chrysalide

Voir le corps se
mouvoir
Voir le corps
s'émouvoir
Il se tord dans
tous les sens
Il se tord de
tous ses sens
Des sensations
nouvelles
Des idées neuves,
ensommeillées
Des idées
fleuves, ensoleillées,
Je laisse ma vie
pousser.
***
-V-
Éclosion

Je suis née dans une fleur
dans
une peur
dans
le cœur
d'une
idée
Je suis née puis je meurs
je mourrai
je pleurerai
J'arroserai des journées
Je suis née par erreur
par bonheur
À cette heure,
Je veux fleurir de trop vivre, vivre
de trop fleurir...
Et rire, aussi.
Ma naissance est couleur.
***
-VI-
Le gouffre
Je me prends de
grandes rasades de larmes
Dans de longs
verres au verre rayé
Je me prends de
belles claques dans la gueule
Jusqu'à brisure
de joues mouillées
J'aime, parmi
mes rires, vagabonder seule
Parfois, je
m’isole aux éclats du soleil bas
- Bateau de
pensées en pâture –
Et qui me
noient, et qui me noient
Dans des
sanglots embouteillés
***
-VII-
Trio

Dans les rues
grouille le bruit
grouille
l’ennui
De gris visages
grisés de nuits
Des gens passent,
se dépassent puis trépassent
Mais la vie, ce
n’est pas ça
Je pense à toi
Dans les rues,
ça roule, ça file
ça déroule, ça
défoule, ça défile
Les gens
s’affichent, s’en fichent, s’empiffrent
Ils triment. ils trichent : quelle friche !
Mais la vie, ce
n’est pas ça
Je pense à toi
Une brume brûle
et fume partout et consume tout
Toujours des
plumes fusent comme espoirs doux
Des lumières se
grignotent, elles clignotent, elles s’emmêlent
Des rêves
s’émiettent, ils empiètent sur mes ailes,
Mais la vie, ce
n’est pas toi
Je pense à ça
Dans les rues,
on découvre
on se couvre
on couve des
idées
Les regards
courts courent, coulent, étoilés
Mais la vie, ce
n’est pas ça
Je pense à toi
Les ciels sont
tagués de nuages
Au Très-Bas, on drague,
on clashe – et ça encage
Nos âmes comme
de profonds marécages
Nos yeux comme
des galaxies
Car la vie, ce
n’est pas vide – c’est juste rapide
Je pense à toi
Dans les rues,
le temps s’écoule
le temps s’écrit
les foules
crient
Les foules
marchent, arrachent, détachent : quelle démarche !
Et moi, je pense
à toi
Je pense à toi
Je pense à trois
***
-VIII-
Autoportrait
J’ai sur moi des
parfums qui enivrent
De longs bras
qui enlacent puis délivrent
Dans mes poches
des livres
Dans mon rire
des mots
J’ai sur moi des
rêves un peu lourds
Des souliers las
et lacés qui accourent
Dans mon cœur de
l’amour
Dans mes yeux de
l’eau
J’ai sur moi des
papillons d’idées
Des ailes qui
gigotent et se sont emmêlées
Dans ma tête des
pensées
Dans ma voix un
ruisseau
J’ai en moi une
âme libre qui respire
Des cris qui
s’évadent en soupirs ou sourires
Dans mon être,
du plaisir
A vivre comme un oiseau
***
-IX-
La méduse
Elle glisse sous
mes paupières
quand
la nuit fait des siennes
Elle danse dans
mes pensées
Et son nom
étincelle
comme
l’orage un jour de pluie
Mes rêves sont
debout, autour d’elle allongée
Mes espoirs sont
doux, durs et... brisés
*
Le sortilège
doit se rompre
car
je suis malade
Le sortilège me
corrompt :
voici
ma noyade
***
-X-
Ma gaieté
J’avais les
genoux couverts de bleus verts
J’avais les
mains arrangées de roses rouges
Que je tenais
bien droites, bien droites
Et elles
m’ensanglantaient les doigts
J’avais le cœur battant,
battu et bas
J’avais demain
léger qui chantait jusqu’à moi
Et qui courait,
courait, courait
Comme le temps
passe – et dévore tout
J’avais une
chansonnette qui gratte à la tête
Qui tintait
comme une jolie tirelire
Et tirait sur le
fil des beaux, des beaux sourires
Ô soleils
dérangés de franges oranges !
J’avais les pas
claquant leur tempo jeune et jaune
J’avais, dans un
verre vert, des violettes fanées
Qu’elles ont
pleuré, pleuré, pleuré
Quand jadis je les
ai arrosées
J’avais plein de
mots qui gigotent en démons
J’avais de la
peinture bleue blottie sur mon nez
Car je
m’effraie, m’effraie, m’enfuie
Et je colore mes
monstres dorés, détruits
***
FRAGMENTS
-I-
Luminescence
Le soleil s'est
levé
Formant dans
l'immensité
Un espoir de
lumière
-II-
Joie blottie
Petit bout de
soleil
Petit bout qui
sommeille
Sur la cime de
mon cœur
-III-
Ce monde
Ce monde fuit
Ce monde luit
Ce monde gris
Tout en
clameurs
-IV-
L'âme
Si l'âme est un
ciel
Qu'elle m'enrobe,
qu'elle m'étreigne, qu'elle m'imprègne
De ses tissus
d'encre mouillés
-V-
Biscornu
Embranchements
dans l'âme
Arborescences
des veines
Espoir à pas de
faon
à pas d'enfant
(*)
AUTRES
POÈMES
C’est une
amie
C’est une amie
au nom majestueux
Dorée,
brillante, elle peut
Prétendre être
un soleil
Car sa beauté
donne presque sommeil
Elle enchante
dans un songe lointain
Et elle, elle
rit, me tend la main
Et ses yeux sont
ceux d’un chat
Son sourire est
un rayon
Quand s’éclaire
mon cœur las
C’est de son
être, c’est de son nom.
*
La pensée
furtive
Tout se passe
sous mes paupières,
Sur ma rétine se
brûle le ciel
Sous mon regard
des larmes de pierre
Sur mes cils,
des étincelles
Je n’ai plus
sommeil
J’ai juste rêve
Rêve d’un monde
juste,
ou
bien je crève
*
Autrefois
la guerre
Un ciel à
l’odeur de groseille
Du miel collant, vermeil
Un soleil acide
moisit les corps
Le sommeil fuit, encore et encore
J’ai peur
J’écoute les coups qui coulent dans ma tête
S’arc-boutent
Coûte que coûte
Je pleure
J’essuie et essaye, je saigne
suie
et sel sans cesse
Je baigne dans
mes souvenirs,
Je peigne à en vomir
Mes chevelures de souffrances
*
Loin
Ferme les yeux,
je t’emmène
où
les cieux s’entremêlent, où les rêves se réveillent
et
les cœurs s’aimerveillent
*
Nota bene
J’aime les gens
qui regardent par la fenêtre. Ils ont tout compris à la vie.
©Camille
Demory
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