TERRA INCOGNITA

 

 

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Archives : Terra incognita

 

Nouvelle rubrique depuis 2019 : découverte…

 

Été 2024

 

Didier Canivenc :  « l’inachevé retour ».

 

(*)

 

Une image contenant art, Caractère coloré, peinture, Graphique

Description générée automatiquement

 

Jacques Grieu, Péripéties.

 

 

Autoportrait

 

Alors nous y voilà.

Ni tout                                                            blanc

Ni trop                                                            noir

Juste un peu de                                               gris

 

Quand tu me souris

Les soleils sont trop pâles

Dans nos regards d'opale

 

A mon tour je souris

 

Mais j'ai peur d'être aigri

Les étoiles ont tout pris

J'ai peur, froid, j'ai maigri

 

A mon tour je souris

 

J'ai écrit des lignes

Trop de noir sur le                                            blanc

Mais je suis resté digne

Devant les tirs à                                               blanc

 

J'ai tracé des traits

De suspension …

Entre les strophes

De nos relations

 

A mon tour je souris

 

Ton soleil est trop gris

Trop cousu de fil                                                 blanc

Et j'ai peur d'être aigri

Même chauffé à                                                  blanc

 

A mon tour je souris

 

Pour pleurer dans le                                            noir

Je préfère le                                                       gris

Clair-obscur de Renoir

Autoportrait maigri

 

M'agritterras-tu ?

Ceci n'est pas un poème.

 

Me monetteras-tu ?

Ceci n'est qu'une impression.

 

 

Me degaseras-tu ?

Cela n'est pas de l'absinthe.

 

Juste

Un tableau sans couleurs

Autoportrait porté

Au chevalet. Douleur,

Au supplice apportée

 

Me daliveras-tu ?

Des pendules fondantes.

 

Sûre, réalise tes

Envies de                                                              gris

 

A mon tour je souris

 

Un sourire                                                             aigri

 

Mélange de douceurs

Pinceau sans la couleur

Me plaindras-tu ?

Me peindras-tu ?

 

Sans blanc et sans                                                 noir

Un semblant d'espoir

Une toile tendue

Une voile rendue

 

Voyage vers le                                                       blanc

Voyage vers le                                                       noir

Destination vert-de-                                               gris

 

 

A mon tour je souris

 

 

Parfois                                                                   blanc

Parfois                                                                   noir

Juste                                                                     gris

 

Le

juste

milieu

 

 

 

Apéritif avec Chloé

 

C'est, au tout début,

Comme le goût du miel,

Doux, suave, qui

Calme la peine et coule

Doucement

Lentement

Remède idéal

Contre les idéaux

Perdus

 

Un baiser

Qui enlace tendrement

Le corps entier,

Qui donne

Un monde entier,

Qui fait respirer

L'air qui manquait

 

Un goût sucré,

Sur les lèvres,

Dans la bouche,

Le corps

Tout entier,

 

Un cadeau

 

Un oubli...

 

Puis ...

Vient l'amertume,

Au fonds

De la gorge,

L'aigreur des souvenirs

Remonte

Doucement,

Lentement,

Les rêves perdus

Reviennent

S'enroulent autour

Du coeur,

Du ventre,

Le corps entier

 

Un haut-le-coeur...

Le miel, amer,

Aigre, brûle

Chaque tissu

Petit

A petit,

Très

doucement,

Très

lentement...

Comme par plaisir

D'arracher le plaisir

 

Le goût du métal,

Ensuite,

Dans la bouche,

Sur la langue,

Salive acide,

Goût de sang

Qui ronge,

Assèche,

Tout,

Tout espoir

 

Nectar infect,

Quand la lame de fer

Rouillée, mal aiguisée

Qui pénètre,

Qui déchire,

Enfonce ses griffes acérées,

Écorche la panse,

Pour crucifier les ailes

De l'ange,

Supplice à payer,

Sacrifice inutile

Pas de sang...

Le mal est à l'intérieur

Désormais

 

Et le tison brûlant, incandescent,

La panse, tous les organes,

La brûlure,

Marque de son sceau écarlate

 

Le corps tout entier

 

Miel au poison

Invisible, lâche, sournois

Mépris et cruauté

Une âme seule

Esseulée, séquestrée, marquée

Au fer rouge

Tout revient,

Une croix

À porter

 

À porter demain?

 

À porter, toujours...

 

 

 

HMS Nymphéa

 

Et les voiles tombèrent

Pour interdire les rives

 

Flottaison de secours vers

l’inachevé retour

 

Trop près fut la paix

 

La toucher

L’a fait fuir

 

Trop calme entre-deux

Eaux sales

 

Le cri

 

Appelle le bord

Rictus muet

Assourdi

 

Voici enfin tard venue

L’heure immobile où

Le verbe se noie

 

L’idée des rives

 

Flotte de paille sans ancre à mouiller

 

Pas de port

De rivage

De courants

 

Le roulis intérieur

Sur la mare d’eau

Croupie

 

Nénuphar

 

 

 

Ponctuation

 

Ne le diras-tu jamais

 

Que tu m'aimes ?

 

Pas à moi...

A toi,

 

Doux aveu,

Un présent pour toi-même

Un aveu à venir

Vers tes lèvres

Vertigineuses

 

Ou diras-tu enfin

"Je te déteste"

Comme une fin

Comme un test

Comme on goûte un vin

Comme on teste en vain

Un plaisir inavoué ?

 

On récolte ce que l'on sème

On décolle quand on s'aime

 

Le diras-tu enfin ?

Que tu me hais à ce point ?

Que tu veux mettre un point ?

Points d'amour en suspension

 

Je ne veux pas

Que tu le taises

 

Ouvre tes guillemets

Dis-le : "Je ne t'aime point"

 

Trace juste

Un trait d'union

Entre deux points

D'interrogations

 

Donne-moi juste

Une exclamation

Donne-moi juste

 

 

Une parenthèse

 

 

 

Épitaphe

 

Et si c'était juste ça ...

 

Un tamaris d'été qui ondule

Et qui danse

Sous le vent

Sous la ligne des nuages

Sur le gris-noir de la

Nuit bleutée

 

Qui berce et qui endort

Qui danse et qui emporte

 

Qui dit...

 

"Peu importe ce que tu as à porter,

Tout peut se laisser,

Tout peut être

Emporté...

 

Par un tamaris d'été"

 

Tu peux

Oublier

Tu peux

L'oublier...

 

Les rêves...

Effacés

 

Les regrets...

Enterrés

 

La douleur...

La laisser

 

 

Et si ce n'était que ça ?

De pouvoir ne toucher

Qu'un moment

 

A jamais ?

 

 

 

Naufrage

 

Journal de bord

20 juin 01.47

Au raz des marées

Frêle esquif  livré sans fard

Aux rivages sans phare

Noyé

Sous le fardeau

Broyé

Sous les eaux

 

Encre perdue

Mots effacés

Sur le sable,

Maux échoués

Livrés à l'amer

Mis au ban de terres

Déjà submergées

 

Démâté par le tumulte

De vagues éventreuses

Vague souvenir de contrées

Heureuses

Échangées contre un trésor,

Un très horrible destin

 

Contre vents et marées,

Cage de vase et

D'eau, mélangées,

Ballottées,

Éventrées

 

Dans le vide infini

Pour seul horizon,

Chercher la lumière

Au fonds des abysses

 

Ressentir le mal

Revenir

Des profondeurs...

 

Les récifs qui déchirent

Sous le cœur,

Le long des côtes

 

 

Sans armes...

 

Dans l'âme

 

La lame de fonds.

 

 

 

Un ricochet

 

Un ricochet. Rien de plus qu'un ricochet.

Un rebondissement.

Un jeu de gosses qui obéit à la courbe de Gauss.

Un déjà-vu. Un déjà trop vu.

Qui ne fait pas de vagues alors qu'il devrait nous remuer, nous faire tomber.

Un typhon impuissant contre les gouffres de l'oubli.

Contre les portes scellées des wagons.

Contre les machettes sur le crâne des pères.

Contre les pieds nus des vieillards sur les routes.

Ce n'est qu'un jeu d'enfant: "Femmes à droite, Hommes à gauche".

Enfants ailleurs. Sur une plage, endormis ?

 

Ce n'est qu'un ricochet.

Les oiseaux modernes volent, mais ils ne chantent pas.

Ils vomissent sans succès : les épouvantails sont immunisés.

Ils sont vaccinés contre l'intelligence.

Ils sont shootés à la haine.

Accros à l'ignorance.

 

Et nous fournissons les seringues. Nous ne disons rien.

L'encre des années trente pollue leurs veines.

Juste un rebond sur le Lac aux Histoires.

On a l'habitude.

C'est dans les livres d’histoire :

"Génocide: Extermination systématique d'un groupe humain, national, ethnique ou religieux."

Et nous regardons les vagues.

C'est beau.

Nous sommes à l'abri.

Les toxicomanes sont loin.

 

Mais la pierre rebondit sur ce calme plat.

Nous savons.

Nous nous taisons.

Nous regardons le gosse en comptant les ricochets.

Nous détournons le regard devant les déferlantes.

Nous faisons un pas en arrière pour éviter d'avoir les pieds mouillés.

 

Un jeu d'enfant.

Des familles séparées.

Cache-cache.

Je ne te vois pas.

Un-Deux-Trois-Soleil.

Je ne te vois plus.

 

Il faut leur apprendre à lire.

Il faut leur apprendre à voir.

Il faut leur apprendre à lire les livres d'histoire.

 

Des trains et des camps, avant...

Aujourd'hui, des canots... encore des camps

Juste quelques rides sur l'eau.

Pas de quoi nous faire boire la tasse.

Juste un ricochet. Un déjà-vu.

 

Demain il fera beau.

 

 

©Didier Canivenc


 

 

(*)

 

« Enseignant de lettres-anglais repenti, j'ai toujours adoré les mots. Comment ils viennent se poser sur l'esprit pour se poser ensuite sur le papier. J'aime leur alchimie, leur façon de naître, de se succéder, de se mélanger et se chevaucher parfois. Ils m'ont toujours accompagné et j'ai l'impression qu'ils ont une existence propre à eux, je n'en suis que le médium qui essaie de les faire sortir de l'invisible.

J'aime les laisser libre de venir et repartir à leur guise...Ils me le rendent parfois bien, en me laissant des traces de leur passage pour que je puisse les partager. 

Ils me font ce cadeau : pouvoir expectorer, cracher mes maux, pour soulager les douleurs. Ils se laissent venir, façonner, torturer souvent, pour mettre un pansement sur des plaies béantes. »

 

Didier Canivenc

 

***

Nous sommes heureux d’accueillir dans ce numéro le début poétique de Didier Canivenc. Jamais encore publié comme poète, il a eu un 8ème prix du concours de nouvelles de l'académie de Clermont-Ferrand en 2009, et a publié une nouvelle dans le cadre de l’une de nos sélections d’auteurs à Francopolis (Kilomètre trente-deux, février 2007). Nous espérons qu’il n’en restera pas là !

Nous lui ouvrons également notre espace prose : lire trois de ses nouvelles poignantes et décapantes dans ce même numéro, à la rubrique Suivre un auteur.

(D.S.)

 

 

Didier Canivenc

Francopolis Été 2024

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