Autoportrait
Alors nous y voilà.
Ni tout
blanc
Ni trop
noir
Juste un peu de
gris
Quand tu me souris
Les soleils sont trop pâles
Dans nos regards d'opale
A mon tour je souris
Mais j'ai peur d'être
aigri
Les étoiles ont tout pris
J'ai peur, froid, j'ai maigri
A mon tour je souris
J'ai écrit des lignes
Trop de noir sur le
blanc
Mais je suis resté digne
Devant les tirs à
blanc
J'ai tracé des traits
De suspension …
Entre les strophes
De nos relations
A mon tour je souris
Ton soleil est trop gris
Trop cousu de fil blanc
Et j'ai peur d'être
aigri
Même chauffé à
blanc
A mon tour je souris
Pour pleurer dans le
noir
Je préfère le
gris
Clair-obscur de Renoir
Autoportrait maigri
M'agritterras-tu ?
Ceci n'est pas un poème.
Me monetteras-tu ?
Ceci n'est qu'une impression.
Me degaseras-tu ?
Cela n'est pas de l'absinthe.
Juste
Un tableau sans couleurs
Autoportrait porté
Au chevalet. Douleur,
Au supplice apportée
Me daliveras-tu ?
Des pendules fondantes.
Sûre, réalise tes
Envies de
gris
A mon tour je souris
Un sourire aigri
Mélange de douceurs
Pinceau sans la couleur
Me plaindras-tu ?
Me peindras-tu ?
Sans blanc et sans
noir
Un semblant d'espoir
Une toile tendue
Une voile rendue
Voyage vers le
blanc
Voyage vers le
noir
Destination vert-de-
gris
A mon tour je souris
Parfois
blanc
Parfois
noir
Juste
gris
Le
juste
milieu
Apéritif avec Chloé
C'est, au tout début,
Comme le goût du miel,
Doux, suave, qui
Calme la peine et coule
Doucement
Lentement
Remède idéal
Contre les idéaux
Perdus
Un baiser
Qui enlace tendrement
Le corps entier,
Qui donne
Un monde entier,
Qui fait respirer
L'air qui manquait
Un goût sucré,
Sur les lèvres,
Dans la bouche,
Le corps
Tout entier,
Un cadeau
Un oubli...
Puis ...
Vient l'amertume,
Au fonds
De la gorge,
L'aigreur des souvenirs
Remonte
Doucement,
Lentement,
Les rêves perdus
Reviennent
S'enroulent autour
Du coeur,
Du ventre,
Le corps entier
Un haut-le-coeur...
Le miel, amer,
Aigre, brûle
Chaque tissu
Petit
A petit,
Très
doucement,
Très
lentement...
Comme par plaisir
D'arracher le plaisir
Le goût du métal,
Ensuite,
Dans la bouche,
Sur la langue,
Salive acide,
Goût de sang
Qui ronge,
Assèche,
Tout,
Tout espoir
Nectar infect,
Quand la lame de fer
Rouillée, mal aiguisée
Qui pénètre,
Qui déchire,
Enfonce ses griffes acérées,
Écorche la panse,
Pour crucifier les ailes
De l'ange,
Supplice à payer,
Sacrifice inutile
Pas de sang...
Le mal est à l'intérieur
Désormais
Et le tison brûlant, incandescent,
La panse, tous les organes,
La brûlure,
Marque de son sceau écarlate
Le corps tout entier
Miel au poison
Invisible, lâche, sournois
Mépris et cruauté
Une âme seule
Esseulée, séquestrée, marquée
Au fer rouge
Tout revient,
Une croix
À porter
À porter demain?
À porter, toujours...
HMS Nymphéa
Et les voiles tombèrent
Pour interdire les rives
Flottaison de secours vers
l’inachevé retour
Trop près fut la paix
La toucher
L’a fait fuir
Trop calme entre-deux
Eaux sales
Le cri
Appelle le bord
Rictus muet
Assourdi
Voici enfin tard venue
L’heure immobile où
Le verbe se noie
L’idée des rives
Flotte de paille sans ancre à mouiller
Pas de port
De rivage
De courants
Le roulis intérieur
Sur la mare d’eau
Croupie
Nénuphar
Ponctuation
Ne le diras-tu jamais
Que tu m'aimes ?
Pas à moi...
A toi,
Doux aveu,
Un présent pour toi-même
Un aveu à venir
Vers tes lèvres
Vertigineuses
Ou diras-tu enfin
"Je te déteste"
Comme une fin
Comme un test
Comme on goûte un vin
Comme on teste en vain
Un plaisir inavoué ?
On récolte ce que l'on sème
On décolle quand on s'aime
Le diras-tu enfin ?
Que tu me hais à ce point ?
Que tu veux mettre un point ?
Points d'amour en suspension
Je ne veux pas
Que tu le taises
Ouvre tes guillemets
Dis-le : "Je ne t'aime
point"
Trace juste
Un trait d'union
Entre deux points
D'interrogations
Donne-moi juste
Une exclamation
Donne-moi juste
Une parenthèse
Épitaphe
Et si c'était juste ça ...
Un tamaris d'été qui ondule
Et qui danse
Sous le vent
Sous la ligne des nuages
Sur le gris-noir de la
Nuit bleutée
Qui berce et qui endort
Qui danse et qui emporte
Qui dit...
"Peu importe ce que tu as à
porter,
Tout peut se laisser,
Tout peut être
Emporté...
Par un tamaris d'été"
Tu peux
Oublier
Tu peux
L'oublier...
Les rêves...
Effacés
Les regrets...
Enterrés
La douleur...
La laisser
Et si ce n'était que ça ?
De pouvoir ne toucher
Qu'un moment
A jamais ?
Naufrage
Journal de bord
20 juin 01.47
Au raz des marées
Frêle esquif livré sans fard
Aux rivages sans phare
Noyé
Sous le fardeau
Broyé
Sous les eaux
Encre perdue
Mots effacés
Sur le sable,
Maux échoués
Livrés à l'amer
Mis au ban de terres
Déjà submergées
Démâté par le tumulte
De vagues éventreuses
Vague souvenir de contrées
Heureuses
Échangées contre un trésor,
Un très horrible destin
Contre vents et marées,
Cage de vase et
D'eau, mélangées,
Ballottées,
Éventrées
Dans le vide infini
Pour seul horizon,
Chercher la lumière
Au fonds des abysses
Ressentir le mal
Revenir
Des profondeurs...
Les récifs qui déchirent
Sous le cœur,
Le long des côtes
Sans armes...
Dans l'âme
La lame de fonds.
Un ricochet
Un ricochet. Rien de plus qu'un ricochet.
Un rebondissement.
Un jeu de gosses qui obéit à la courbe de Gauss.
Un déjà-vu. Un déjà trop vu.
Qui ne fait pas de vagues alors qu'il devrait
nous remuer, nous faire tomber.
Un typhon impuissant contre les gouffres de
l'oubli.
Contre les portes scellées des wagons.
Contre les machettes sur le crâne des pères.
Contre les pieds nus des vieillards sur les
routes.
Ce n'est qu'un jeu d'enfant:
"Femmes à droite, Hommes à gauche".
Enfants ailleurs. Sur une plage, endormis ?
Ce n'est qu'un ricochet.
Les oiseaux modernes volent, mais ils ne chantent
pas.
Ils vomissent sans succès : les épouvantails
sont immunisés.
Ils sont vaccinés contre l'intelligence.
Ils sont shootés à la haine.
Accros à l'ignorance.
Et nous fournissons les seringues. Nous ne disons
rien.
L'encre des années trente pollue leurs veines.
Juste un rebond sur le Lac aux Histoires.
On a l'habitude.
C'est dans les livres d’histoire :
"Génocide:
Extermination systématique d'un groupe humain, national, ethnique ou
religieux."
Et nous regardons les vagues.
C'est beau.
Nous sommes à l'abri.
Les toxicomanes sont loin.
Mais la pierre rebondit sur ce calme plat.
Nous savons.
Nous nous taisons.
Nous regardons le gosse en comptant les
ricochets.
Nous détournons le regard devant les déferlantes.
Nous faisons un pas en arrière pour éviter
d'avoir les pieds mouillés.
Un jeu d'enfant.
Des familles séparées.
Cache-cache.
Je ne te vois pas.
Un-Deux-Trois-Soleil.
Je ne te vois plus.
Il faut leur apprendre à lire.
Il faut leur apprendre à voir.
Il faut leur apprendre à lire les livres
d'histoire.
Des trains et des camps, avant...
Aujourd'hui, des canots... encore des camps
Juste quelques rides sur l'eau.
Pas de quoi nous faire boire la tasse.
Juste un ricochet. Un déjà-vu.
Demain il fera beau.
©Didier Canivenc
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