J’ai découvert la poésie de Dominique
Marbeau à travers la revue Encres Vives de
Michel Cosem, qui a publié plusieurs recueils de
lui dans les années récentes. J’ai eu tout de suite envie de faire mieux
connaître cette poésie profonde et sensible, dont Gilles Lades a joliment écrit : « Mais à force
d’humilité, de retour à soi, se fait entendre « ce qui semble vibrer
de corde », la juste voix intérieure. De poèmes-bilans en poèmes-ouvertures,
Dominique Marbeau dessine un chemin. Il l’a
taillé dans la chair de sa vie, dans la frémissante argile de
l’inspiration, dans les flots contraires d’une longue tempête. Retenons-en
l’exemplarité émouvante et salutaire, car la Poésie nous demande d’épuiser
notre vie pour nous livrer quelques-uns de ses dons ». L’entretien
reproduit ci-dessous s’est déroulé entre le 3 et le 9 novembre 2022. Un
choix de poème suit. Une note
de lecture sur Quelques gouttes insondables est également
disponible dans la rubrique Lectures-chroniques du
présent numéro.
Éric Chassefière
Entretien
1. Dominique Marbeau,
dans votre dernier recueil, « Quelques gouttes insondables »,
vous opposez la parole silencieuse du poème au vacarme du monde, disant
rechercher dans l’écriture pouvoir d’apaisement face à la violence de notre
époque. Votre précédent recueil « Un silence d’argile » place,
plus fondamentalement, le silence et l’indicible au cœur du geste d’écrire.
Cette quête d’apaisement et/ou de silence est-elle l’élément fondateur de
votre vocation de poète ? Plus largement, pourquoi et quand êtes-vous venu
à l’écriture, et quel rôle joue-t-elle dans votre vie ?
Vous
avez raison d’élargir la question de l’écriture au rôle qu’elle joue dans
la vie d’un homme ou d’une femme et je commencerai par là. Pour moi, le
besoin d’écrire un poème se fait sentir surtout quand je traverse des
périodes difficiles ; et elles ont été nombreuses. Chercher les mots pour
le dire libère le chagrin ; mais en partie seulement. La regrettée Odile
Caradec parlait de « poèmes-désespoir » à mon sujet. C’est bien pourquoi je
me suis longtemps dit que ma poésie ne pouvait intéresser personne vue sous
cet angle. Mais comme je recherchais presque toujours la beauté plastique
et sonore à travers la composition d’un poème, cela m’obligeait à
travailler une parole poétique. Je suis donc convaincu qu’écrire donne un
sens à la vie. C’est « vivre et non survivre » dit Edgar Morin. Se placer
au-dessus des contingences matérielles et des simples nécessités du
quotidien.
A
17 ans, au cœur d’une adolescence troublée, mon meilleur ami s’est suicidé.
Nous voulions aller « jusque dans l’inconnu pour trouver du nouveau ». Même
vivre ne nous suffisait pas ! Cette disparition m’a beaucoup marqué et j’ai
compris alors qu’il était quasiment impossible d’écrire un poème sur la
mort de quelqu’un qui vous est cher. Mais à chaque étape douloureuse de ma
vie, l’écriture de poèmes s’imposait d’elle-même. Je ne la recherchais pas.
Maintenant à mon âge et depuis une thérapie analytique (assez réussie) qui
remonte à vingt ans, les choses se présentent autrement. Je pratique en
effet une culture du silence comme condition d’accueil du poème, me
ménageant un temps d’écoute tourné vers la voix intérieure. Mais il ne faut
pas que le silence reste silence sinon il devient effrayant (celui des
espaces infinis qu’évoque Pascal). Attendre que vienne l’idée poétique et
les mots pour la peindre, trouver la bonne structure sonore. A partir de là
commence à poindre une petite lueur, c’est la lumière du poème, la petite
étoile qui apparait dans la nuit de la page. On parle de la feuille blanche mais nous sommes le plus
souvent dans la nuit. Dans le recueil Un silence d’argile, je suis
parti d’un extrait de Bernard Mazo : « Toute écriture est silence / où
bruit entre les mots / la sourde pulsation de l’indicible ». Je compare l’indicible à un félin difficile
à saisir par définition mais que le poète tente de faire passer par un cerceau enflammé, cerceau d’étoiles
que forment les mots du poème eux aussi par essence doués d’une «
majestueuse imprécision ». Souvent
le poète n’y parvient pas mais il ne se
décourage pas ; combien de poèmes sont des tentatives manquées ! Mais quand
la magie se produit, cette sourde pulsation, ces glissements de l’indicible
entre et derrière les mots font que le poème se met à émettre une petite
lumière qui nous fait dire non sans une certaine exaltation : voilà ce
qu’on aime à vivre !
C’est alors
que vient l’apaisement : le bruit intérieur et le désordre mondial cessent
un instant. C’est une pause salutaire, un ilot de paix dans le déroulement
troublé de la vie. Je pense très souvent au film d’Alain Corneau « Tous
les matins du monde » où Monsieur de Sainte Colombe soutient au jeune
Marin Marais qu’il ne compose pas la musique pour faire danser les gens à
la cour mais bien plutôt pour trouver une paix intérieure. Un beau poème peut
faire la même chose.
2. Vous
évoquez dans « Quelques gouttes
insondables » un arbre que vous avez planté, et auquel vous devez,
dites-vous, de n’être plus le même. Pouvez-vous nous en dire davantage sur
cet arbre, sur votre relation aux arbres et à la nature ? La nature
fait-elle partie de vos sources d’inspiration en poésie ?
Je
ne crois pas que la nature fasse souvent partie de mes sources
d’inspiration, du moins je n’ai pas cette impression;
mais ce qui est sûr en revanche c’est qu’elle est constitutive de mes choix
de vie. A tel point que j’ai voulu quitter la ville où j’habitais
(Strasbourg) pour installer ma retraite dans la campagne dont je suis
originaire située au sud de Poitiers. Cela représente quand même un sacré
saut ! et de grands changements dans ma vie qui ont été déterminants en ce
qui concerne l’écriture. C’est là où je vis désormais, c’est le pays du
père, là où sont de nombreux souvenirs d’enfance, là où poussent des arbres
que mon père m’a appris à reconnaître par leur feuillage et leur écorce :
chênes, érables, planes, charmes, faux érables, frênes, hêtres, etc. J’en
ai planté d’autres à la naissance de chacun de mes enfants, quand je venais
en vacances : tilleul, pommier, if et cyprès.
Le
poème auquel vous faites allusion n’évoque pas un arbre particulier mais
ceux dont je viens de parler, que je regarde pousser et qui me parlent.
J’ai façonné ainsi un décor végétal qui me fascine et qui me façonne en
retour. Un arbre est une promesse d’avenir et un exemple de force de vie.
Planter un arbre est un geste d’une symbolique très forte, logement dans la
terre nourricière, pas besoin de faire un dessin…
Je
peux vous raconter une anecdote au sujet d’un arbre qui a été frappé par la
foudre il y a une trentaine d’années. Il avait poussé en plein milieu d’un
champ pas très loin de chez moi et de ce fait il était plus exposé que les
autres. On voyait cet arbre mort, resté debout, squelette blanc n’ayant
plus son feuillage au printemps. C’était triste à voir mais personne ne l’a
coupé, il est vrai qu’on dit qu’on ne peut rien faire du bois d’un arbre
foudroyé. C’est alors que bien des années après, une branche s’est garnie
de feuilles puis des branches nouvelles chaque année. Aujourd’hui il est
devenu un arbre magnifique et très résistant.
Vivre
au plus près de la nature, m’apporte, outre celui venu de la poésie dont on
a déjà parlé, un apaisement nécessaire après une vie de déchirures et de
rebondissements meurtriers. Ce « retour au pays natal » (qui est si
puissant chez Aimé Césaire) est le thème de mon recueil Clarté des
sources également édité par Michel Cosem.
Mais si l’imprégnation de cette nature arrive à calmer mes chagrins, ce
n’est pas pour autant que mes poèmes lui rendent hommage. Car j’y projette
mes états d’âme. Plutôt que la décrire, elle est prétexte à rechercher ma
propre identité.
3. Cet arbre qui renaît, n’est-il pas
la métaphore de la langue ré-enchantée par le poème ? Que mettez-vous
dans un poème, et qu’attendez-vous de lui ? Concrètement, où, quand et
comment écrivez-vous ?
Oui, en effet on
peut dire ça. La langue revisitée par le poème se distinguant du langage ordinaire par sa « poéticité
» un terme qu’emploie le formaliste
russe Roman Jakobson dans ses Huit questions de poétique. Mais votre
question est vaste
car dans cet art qu’est
la poésie comme dans tous les
autres arts d’ailleurs, on distingue le côté
sensibilité de l’artiste, le message qui l’inspire,
de l’aspect proprement technique, le moyen pour
y arriver. Or le
domaine poétique a ceci de particulier qu’il n’y a pas d’école de poésie comme il y des écoles de musique, de
peinture, de sculpture, etc. Depuis l’existence d’ateliers d’écriture les choses
ont changé mais nous sommes tous plus ou moins autodidactes
dans ce domaine. C’est par
la lecture d’autres poètes
que nous affinons nos préférences et ainsi notre style. Mais c’est
aussi - et je m’en
suis bien aperçu - par le travail.
Il faut du temps, de la rigueur, de
l’exigence. Mais, ce qui est
contradictoire, les mots – matière même du poème -
ne sont pas précis et
ont très souvent plusieurs connotations. Comment être compris alors ? La communication poétique passe beaucoup par
l’intuition et le ressenti,
utilise beaucoup
d’images, de métaphores et autres stratagèmes comme les
associations d’idées chères aux surréalistes. Et ça
tombe bien car je sais
être intuitif, instinctif quand je veux,
fantaisiste parfois et toujours dilettante, détestant me prendre au sérieux! Je ne
sais pas si ça suffit pour être un artiste, moi ça me va !
Je vous confie ça car je réponds ainsi à votre question sur où
et quand j’écris : ça commence dans mon lit au réveil si me viennent des mots et des idées que je note
aussitôt sur la table
du petit déjeuner. Mon cerveau est encore embrumé et la censure ne se fait pas bien ; c’est ça qui est bon ! Après une journée souvent consacrée à
des tâches manuelles, je reprends le soir et procède à de nombreuses corrections. Mais l’idée précède l’écriture du poème.
Et vous me demandez ce que je veux
mettre dans un
poème ? Alors, là ! Si je pouvais y mettre toute la beauté
du monde, ce serait magnifique ! Je crois que
tout poète et même tout artiste
voudrait recréer, restituer cette lumière suprême qui nous tient
tous en éveil et qui nous éclaire ; Éluard disait qu’il fallait « peu de mots pour dire l’essentiel, mais tous
les mots pour le
rendre réel ». Et même encore, tous les mots ne
suffiraient pas. Alors, à
mon modeste niveau, je me contente,
de même que ce que j’attends d’un poème,
d’y mettre des images si possibles inattendues et
belles pour qu’elles surprennent agréablement, des mots aux
sonorités qui ne
se heurtent pas, dans un
phrasé qui coule
bien (« un
frisson d’eau sur de la mousse
»). Je m’efforce à des rimes internes ou pas, des euphonies
plutôt et des harmonies de couleurs dues aux sonorités
(j’aime les mots en « ure » : échancrure, déchirure, etc.). Tout ça pourquoi ?
Parce que la beauté d’un poème m’importe davantage que le message
qu’il est censé
transporter. C’est sans doute aussi parce que le message
que je mets dans
les miens est très souvent le résultat de méditations existentielles, réflexions
philosophiques et autres pensées sur la mort
(qui, à l’instar celles de Sylvain Tesson, ne sont
pas tristes). Mais de tels sujets
sont des abîmes sans fond et je préfère
les entourer du calme et de l’apaisement
d’un langage poétique où l’on peut entendre une douce musique. Évidemment, j’y arrive
très rarement, là aussi combien de poèmes qui manquent leur
cible !
Je voudrais
terminer en citant Gilles
Baudry, poète et moine en Bretagne que j’ai évoqué
en 4ème de couverture du
recueil Quelques gouttes insondables, car il m’arrive
souvent de m’élever contre ce que j’appelle le confort de la société
moderne comme étant
l’ennemi principal de la poésie.
Voilà ce qu’il nous dit : « le fait qu’on soit connecté en permanence est une menace
pour l’intériorité (…) Le développement d’une pensée
technicienne, virtuelle, utilitariste forme des êtres sans tonalité qui n’ont plus de musique en eux. Ils ne
manifestent à la beauté
qu’une indifférence opaque. » Vous comprenez que cette révolution numérique me fait craindre beaucoup pour l’avenir de la poésie.
4. On trouve dans trois de vos
recueils, « Les nuits secrètes », « Un silence
d’argile » et « Quelques gouttes insondables » des
reproductions d’œuvres picturales, dans le premier cas du peintre américain
Andrew Wyeth, dans les deux autres cas de votre sœur Marie-Christine Beau.
De quelle nature est le rapport entre ces œuvres et les poèmes au sein
desquels vous les avez placées ? Plus largement, quelle est votre
relation à la peinture et aux arts plastiques en général, et à quel(s)
courant(s) artistique(s) êtes-vous le plus sensible ?
La
croix de bois sommaire du tableau d’Andrew Wyeth, où flotte une guenille
déchirée, accompagne les poèmes Questions et Vent. J’y vois
l’obstination du vent qui reste muet face à l’énigme d’un monde hostile ;
ce tableau est d’un dénuement poignant.
Le
tableau aux carrés géométriques blancs dans un ciel flou en première page
du recueil est une figure d’oxymores comme les gouttes insondables de
l’univers. Et le second tableau de M.C. Beau qui présente un paysage flou
avec trois cailloux posés comme dans un berceau au premier plan (un noir,
un gris et un blanc – ce qui n’est pas anodin) illustre assez bien mon
propos : « la fantaisie aujourd’hui … trahissant... un immense malaise ».
Soulignons au passage que cette peintre est elle aussi une autodidacte
mais, par sa technique d’application de pigments à sec, réussit à obtenir
des fondus de ciels qui ne sont pas sans rappeler ceux des peintres
hollandais.
Mes
connaissances dans le domaine de la peinture sont limitées et je n’ai pas
de préférences marquées ; beaucoup de choses me plaisent. J’aime le courant
impressionniste pour la richesse de la lumière, le nuancé des couleurs.
Mais j’aime aussi la fraîcheur inattendue des peintres naïfs yougoslaves,
c’est pourtant un style très différent. En fait, j’aime beaucoup de choses,
là je suis très ouvert. Comme vous voyez, on peut trouver des
correspondances (au sens baudelairien) entre ces deux formes d’expression
que sont la poésie et la peinture. Leurs champs (chants ?) sont si vastes
qu’on peut toujours trouver des sensations concordantes et même en discuter
longuement car chacun y voit un reflet de sa propre sensibilité.
5. Vous avez beaucoup lu. Quels sont
les auteurs, poètes mais aussi romanciers et philosophes, qui vous ont le
plus marqué et auxquels vous estimez que votre écriture doit le plus ?
J’ai
en effet eu cette chance de suivre des études littéraires classiques à
Nantes sous la
houlette de Daniel Briolet (qui a fondé la maison
de poésie avec D. Biga) et j’ai eu le bonheur, en
plus des auteurs classiques humanistes (Descartes, Montaigne, Pascal), de
découvrir la poésie contemporaine ainsi que la philosophie dans
d’excellentes conditions grâce à un professeur hors du commun. Ma vie en a
été changée. Si je n’avais qu’un philosophe à retenir je citerais sans
hésitation Emmanuel Kant. J’ai continué la philo dans mon cursus
universitaire, puis devant me consacrer aux ouvrages de psychogénétique et
de pédagogie (Wallon, Piaget, Zazzo), me destinant au métier de
l’éducation, c’est bien plus tard que j’ai pris le temps de lire des romans.
Mais la poésie ne m’a jamais quitté.
Pour les romanciers je suis ouvert à beaucoup de
choses à condition qu’elles soient bien écrites. Je fais attention au style
et suis exigeant. J’aime la clarté des romans de Stéphan Zweig, la rigueur
de l’écriture de Julien Gracq, l’amour de la vie qui préside chez Camus.
Ces écrivains m’apportent beaucoup. Parmi les auteurs du 19ème parce que
cette période de l’histoire me passionne, j’ai tout lu de Zola. Outre son
souci de la vérité historique allant parfois jusqu’à la caricature, son
style n’est pas dénué de poésie. Vous voyez que je suis resté très
classique !
Maintenant il y a les poètes et ils sont nombreux à
m’avoir influencé. L’élan surréaliste était fort encore dans ma jeunesse et
avec mon ami nous aimions le côté subversif du mouvement Dada. Savez-vous
que T. Tzara a complètement changé son style d’écriture à la fin de sa vie
? Pour moi Apollinaire reste un incontournable ; il est mort bien trop tôt.
« J’ai encore tant de chose à faire ! » s’était-il écrié lorsque son
médecin lui avait annoncé qu’il était perdu. J’ai passé beaucoup de temps
avec Éluard, Reverdy, Jouve, Supervielle, Prévert, René Char, Michaux. Mais
aussi avec ceux de l’Oulipo, Boris Vian, Raymond Queneau. Impossible de
citer tout le monde. En ce moment je découvre avec bonheur les auteurs
Belges et Québécois. J’aimais déjà Jacques Brault et Paul-Marie Lapointe.
Mais curieusement, l’écriture de mes poèmes a été plus fortement influencée
par le style de Pablo Neruda (bien qu’il s’agisse de traductions), le
déroulé de son discours, sa syntaxe, ses images. Je me suis senti
rapidement en accord avec sa sensibilité et son engagement. Je cherche
maintenant à m’en détacher et veille à une expression poétique plus concise
tant il est vrai qu’en poésie il faut beaucoup se servir de la gomme !
Extraits
LES NUITS SECRETES (479ème Encres Vives)
CAPTIF
Le ciel uniforme et sans âge
et l'âge fixe des saisons
les mousses mouillées de l'automne
et les racines en terre d'hiver
sont les barreaux d'une prison
loi immuable et dense du temps
qui danse autour de moi
comme une nuit de pierre
L'usure identique des choses
chiffre répété des mots
borde à l'étroit mes pensées les plus
sauvages
peuple de murs silencieux mes rivages
Je me débats au milieu d'unités confuses
Je me heurte à ce pacte infini et sans ruses
sans âme sans âge sans maître sans nom

Tableau de Andrew
Wyeth
QUESTIONS
Où va ce long tunnel obscur de la nuit
où vont nos éclats de rires et d'amour?
Trajectoires
empires
mondes
traces d'histoires
allumées sous la peau du ciel
négoce des stratagèmes
aux strates d'horizons blêmes
et les ossements des fleuves
qui en se croisant cabossent
un tel silence d'étoiles
mais où va tout cela ?
Le vent sans visage
sans mémoire
ne sait que répondre
COMPLICITE
je dis pierre
dans le temps
qu'on regarde une pierre
dans sa durée
elle à sa place
moi de passage
dans ma courte existence
pierre chauffée au soleil
pour des mains qui ont froid
roche broyée par le vent
loin des yeux qui ont soif
Je dis pierre comme j'aurais dit
pierre de taille éclat de silex
pierre de ruine effondrée
comme ma peine en cet instant
CLARTE DES SOURCES (488ème Encres Vives)
TERRE DE GROIE
Ce matin n'a pas attendu le jour
du versoir de sa charrue
il a retourné sa plaie d'impatience
morsure aux gerbes des coquelicots
.
Puis le jour est venu
fraîches aubépines
sur un blanc calicot
avec son
petit vent d'air perdu
et doucement retrouvé
Maintenant le voici
pressant la clef de sa serrure
la basculant d'un pêne un peu trop dur
le jour est là qui fume de réveil
*
Ma source rêvée
ô mon ruisseau
mes chemins retrouvés
aux flancs de tes murmures
l'empreinte de mes pas
comme un clin d’œil au ciel
les feuilles rousses se sont amassées
aux pieds des arbres noirs et dénudés
la pluie souvent
vient battre les collines
ma vie au vent
ou folâtre ou décline
*
Quand je reviens à la Javigne
il me semble ici plus qu’ailleurs
qu'un temps me poursuit
C'est un temps de réconciliation
de réparation et d'attentions
un temps de successions et de déchirures
que les saisons ont peu à peu raccommodées
C’est aussi un temps de récolte et
d’abondance
un temps de juste redondance
un temps de palpation sur les roseaux du
ciel
*
Entre soleil et feuillages
un bout d'azur suffit
pour converser avec le ciel
Entre paroles et frissons
si peu de terre garantit l'essentiel
Car ce soir la nature paie "cash"
le bonheur d'exister
et laisse au temps
sa liberté
UN SILENCE D’ARGILE (502ème Encres
Vives)
Mais ma voix est friable
fragmentée de syllabes
de lettres éparpillées en désordre
et les mots retombent à mes
pieds
comme des cendres refroidies
*
Et comme il était impossible
qu'un tel amoncellement
puisse retrouver le chemin du poème
c'est en tâtant de la main
jusqu'à la nuit du cœur
ce qui semble vibrer de corde
d'espace et de lueur
que j'ai cherché un début à cet emmêlement
avec cette volonté naissante
que mon sang revigorait
*
C'est en écrivant
sur l'aubier de la mémoire
que se met à briller
l'écorce de la nuit
libre-écrit sur la teille
nœuds de sang
éclats de bouteille
éclairés par des noces ruinées
lézardées de pendules battant la breloque
J'ai arraché les pages de l'agenda du temps
suivi la dame de cœur sa flamme et son printemps

Pigments sur toile de Marie-Christine Beau
Nous renouvellerons les routes
abandonnant les vieux itinéraires
aux cartes jaunies
Je ne parle pas du voyage
qui relie une ville à une autre
mais des chemins de la parole
cette intention du cœur
qui se faufile entre les pierres
comme une racine cherchant
la vérité du monde
*
J'ai pour tout plaisir de vivre
Remonter la vallée par des villages
Connus de moi seul
Des routes et leurs tournants
Où chaque pause est un tableau ivre
Matelot sachant naviguer en eaux mortes
Je déplie la carte des écueils
Je bâtis ma maison comme on fait un poème.
SILENCE LUMIERE
POESIE
Au calme de la forêt
s' est endormi l'orgue de mes mains
et dans la nuit multiple des fleurs
l'écharpe de la voie lactée
emmitoufle mes rêves
un frisson d'immensité répond
au silence des étoiles complices
Dans cette nuit pascalienne
le poème est lumineux
POEME INEDIT
Tu as l'hiver
devant ta porte
la vie irréprochable
Les grands
oiseaux
au large t'invitent
espaçant les journées
avec encore un peu d'amour
Tu as comme
amis
la nuit et son escorte
l'enfant que tu chéris
et l'arbre dont
les racines s'épuisent
QUELQUES GOUTTES INSONDABLES (510ème
Encres Vives)
Voir des extraits dans la note
de lecture à la rubrique Lectures-chroniques.
Dominique Marbeau
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