J’ai
croisé Joëlle Pétillot sur le réseau Facebook, puis je me suis inscrite à
son blog La nuit en
couleurs, où elle publie régulièrement. J’avoue avoir été
immédiatement séduite par un trait caractéristique de son écriture :
la fréquentation assidue du magasin des mots avec en rayons aussi bien leur
musique que leur richesse évocatrice. Il y a là grande surface mais
également boutique raffinée, avec à l’entrée la vibration d’une petite
clochette pour alerter le lecteur.
On entre
et Joëlle Pétillot nous accueille en souriant sans aucunement dissimuler la
gravité qu’exige la publication d’un texte. Je la sollicitai une première
fois pour inscrire ses mots dans la revue Voix. Je trouvai conforme à la tonalité de son écriture, le
timbre de sa voix – qu’elle fait chanter quelquefois en s’accompagnant à la
guitare. S’y conjuguent une ligne mélodique tendre et légère, parfois d’un
humour facétieux, et une basse continue qui révèle douleurs enfouies,
cruelle lucidité.
C’est à
travers trois recueils, parus de 2019 à 2021, que je la présente
aujourd’hui à Francopolis. Tenir en main les livres, les ouvrir, les
feuilleter, puis les lire, parfois à haute voix, choisir des poèmes, les
recopier, a confirmé cette double impression où se juxtaposent aussi bien
la contemplation sereine d’un paysage, marin de préférence, qu’une
injonction à cerner la puissance de l’émotion. Elle revendique une écriture
qui se joue dans le silence, mais « le silence du clocher résonne d’absence et de déploration ».
Si le
poème sollicite « la
lumière/magnanime », la nuit s’avance avec la « peur du néant » dans la « maison fermée où les verrous ne
protègent pas des monstres » Écrire le poème signe une double
appartenance qui l’accorde à « ce
vouloir d’envol/qui la soude à la
terre ». La lecture nous engage alors dans un double
mouvement. Le texte se déploie dans
un espace où le souffle, un instant suspendu, permet l’avancée sur le
chemin. La poésie de Joëlle Pétillot est « l’aveu d’une vivante », avec une pulsation rythmée par le
cœur battant des mots.
©Mireille
Diaz-Florian
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Confidence
pour confidence…
Je me souviens très bien de mon premier
exercice d’écriture, - j’ai bien dit « écriture » et non
calligraphie. Bien qu’apprendre à
écrire fût déjà un plaisir d’une sensualité nouvelle : ces pleins, ces
déliés, ces rondeurs majuscules, ces ponts, ces vallées de lettres... Mais
le plaisir d’écrire (c’est-à-dire d’inventer) augmenta d’autant plus ma
joie que je ressentais les mots comme des outils d’orfèvres. Très vite, ils
m’apparurent comme une manière de parler sans la voix, d’enjoliver le réel,
de s’isoler, aussi. Solitaire, de nature profonde, cela m’allait fort bien.
L’exercice en question, un poème à ma maman pour
la fête des mères, fut longtemps gardé par l’intéressée. Heureusement il
n’en reste rien, et cela vaut mieux pour mes improbables et, si jamais
existants un jour, peu nombreux exégètes...
Mais voilà : pour résumer violemment les
choses, c’était parti.
Parce que depuis, je n’ai pas arrêté.
Le premier lieu où j’écris, c’est ma tête.
Comme ma mémoire a des caprices de diva, je me promène partout avec un
carnet dans le sac, il y en a aussi sur ma table de chevet, un autre sur le
bureau. Des hordes, des monceaux, des troupeaux de carnets. Un paysage, un
oiseau, un bus, un café, un moment, une conversation, et une phrase me
vient, les mots sont généreux : ils inspirent, provoquent l’envie de
dire, de penser, de les épingler, papillons de haute volée, sur du papier
ou un écran (moins nomade, que le carnet, mais désormais indispensable)
... Ces carnets sont mes réserves.
Rien là de bien original. J’y puise ou non suivant l’envie du moment :
car les mots, êtres indépendants, vous tirent par la manche - ou pas :
quand ils se taisent, quelle inquiétude.
Vieillir m’a toutefois donné ce privilège de ne plus la laisser
parler : elle ne se pointe plus, ou beaucoup moins. Je laisse mes mots
bouder, ils reviennent toujours.
J’aime par-dessus tout écrire au calme, soir ou
matin, peu importe. Et, volupté suprême, la nuit. J’ai toujours su que
l’insomnie me servirait à quelque chose, et maintenant plus que jamais,
l’envers des autres, le plaisir d’écrire sur leurs rêves, dans le silence
particulier troublé d’un seul ronron de maison vivante relève de la pure
joie. On est là, verticale ou quasi, présence absence au milieu d’un temps
élargi, sans autre sollicitation que cette lumière à l’intérieur, qui rend
les choses plus faciles, les phrases plus accessibles, même si le travail
de relecture demeure nécessaire, toujours. Car oui, l’écriture est pour moi
une activité verticale, quelque chose qui tient du dépassement, et
nécessite de se trouver, comme on dit, droit dans ses bottes,
symboliquement dressé. Tant de chefs-d’œuvre nés de l’enfermement en
témoignent. Et pour ceux qui, comme moi, écrivent avec la chance de la paix
autour d’eux, il n’en demeure pas moins qu’on écrit mieux « tête
droite ».
Certains lieux sont féconds. Profondément celte
dans mon âme, les côtes d’Armor, avec ce pouvoir d’enfance et les souvenirs
qu’elles recèlent, m’ont soufflé des pages sur la mer, la roche, les mâts
qui chantent au vent. Saint-Quay-Portrieux, Bréhat, parlent la même langue
que moi. Combrit, Sainte Marine, le Finistère sud, de même. Plus récemment,
Ouessant qui ne ressemble à aucun lieu si ce n’est à un être différent tous
les jours. Mais pour peu que l’on voyage, et j’ai cette chance, tout lieu,
toute rencontre, tout moment donne matière. L’écriture est verticale, et
jaillit des yeux ouverts.
C’est sans doute pour cela que j’aime aussi
passionnément la photo. Toujours un besoin de fixer ? Sans doute. Une
manière de poser des bornes dans ce qui appartiendra, l’instant suivant, au
passé. Fixer, mais non pas figer. L’image, comme le mot, a le pouvoir de
« faire naître ». Je me souviens de l’argentique, et cet outil
incontournable appelé « révélateur ». Quel mot juste. Il en va de
même quand on écrit. Toucher le lecteur, « révéler », un peu de
soi, et surtout de lui-même, signifie « Je t’ai eu(e) ».
Cela, c’est le plus beau constat du monde.
©Joëlle Pétillot
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Le bal des choses immobiles
Éditions
Alcyone 2019
Traîne
Il y a
fleuve au cœur des paumes
Et de
petits automnes roux
Circonscrits
Au dos de
la main
Des pas
inconnus
imprimés
dans la boue
L’oiseau
qui vole droit au bout de son cri
Le
presqu’obscur
D’un nuage
passeur d’éclair
Un orage
de mariée
Tire sa
traîne au bout du monde
Vient la
pluie serrée
Les
gouttes plantées dans l’air
Comme des
clous
Dague
La joie
est une dague
Un poinçon
Violent
Le coup
assomme
Immense
est la seconde qui suit
Les choses
dilatées
Tournoient
Le rire
éclate tout en haut
loin la
crête du silence
Et la peau
sur laquelle voyage la rivière
Finit par
s’enfouir.
D’une rive
à l’autre jouent les lumières
Et puis
Plus rien.
Grenier du rêve
Le sommeil
ébréché des vieilles porcelaines
L’attente
sans chagrin des ombres du grenier
La fenêtre
unique, penchée
Les
lucioles affolées d’un soleil de traverse
Tout
meuble boite
Chaque pli
est un gouffre
C’est
puissant comme une marelle
Ciel et
terre
En un seul
parquet
Fixé sur
les vieilles patères
Un temps
de craie
Pendule
d’une seule aiguille
Claudiquant
Posée là
comme un codicille
Rien ne
vieillit
Tout se
patine
L’enfance,
la vie,
Notre âme
Aussi.
Hors-ligne
À toujours
prendre l’autre chemin
Marcher en
boitant tout droit
Pleurer à
pauvres larmes
Je sais
que j’ai raison de me tromper
Je te
méconnais par cœur
***

Éclair obscur
Éditions
Henry 2020
Jamais dernières
Une petite
berceuse grêle
Un murmure
sous les cils
Un doigt
posé sur une vitre
Le givre
écrit
La vie
sillonne
Fenêtre-livre
raconte-toi
dessous le ciel
Quand
l’hiver dicte
Ses
volontés
Jamais
dernières
L’ange de boue
L’ange aux
ailes de boue
berce de
ses bras nus la houle
les voix
fêlées.
Il
dit : « je suis la peur » à ceux qui le savent déjà.
Dans les
rocailles ou la soie des rues
un jour de
nuit se tient.
Sans cri,
juste l’orage
le chant
confus des grêlons
briseurs
de feuilles.
Derrière
la vitre une figure
pointillée
de gouttes claquantes.
L’enfant
inquiète
regarde le
jardin criblé.
un jour
elle sera
grande
plus que
l’eau.
Passant d’hiver
La brume
affûte ses brouillards, polit les toits
Les rires
de glaces brefs comme des aboiements
S’étoilent
sous les écharpes
S’accrochent
au milieu des ombres
Pendent
aux griffes des arbres
Dont les
ongles vernis dessinent le moment
En
surbrillance.
Les pas
des hommes
Pourtant
S’inscrivent
toujours
Dans un
désert
***

Chroniques
des différents silences
suivi de Courts-métrages
(Editions Douro, 2021)
Coutures
Il y a
surement foule
dans un
silence de mort
la
solitude n’existe que vivant.
La trace
des douleurs dans l’écriture
rayure
droite
zébrée
visible
comme une
mauvaise couture
loin de
mes pieds tournés
vers le
dedans
Je ne veux
pas qu’on me répare.
Je préfère
que tu le
fasses,
toi.
Les ciels troués
les
étoiles dépassent de ma poche
j’ai des
rivières sous les ongles
les trous
de mon manteau servent d’abri aux fleurs perdues
mes yeux
portent des algues brunes
je ne les
fermerai
qu’au vu
des heures lentes
passées
sur les rochers.
Le temps est cette crasse figée aux
pas des hommes
les crocs d’un insoumis
rageur
La vie
cette
lente
infiniment
lente moisissure.
petite
mouche noire
je sens
tes ailes
le vent
tremblote
sous mes
genoux
l’hiver
édenté ricane
sourire
vide
sous le
printemps
Les étoiles brillent sous
mes jupes
pourtant.
Chroniques des différents
silences
***
Cadenas
tristesse de porte
injustement condamnée
---
Chaque jour
avec ta juste absence de mots
tu m’écris un jardin
----
Lettre au chagrin
Un jour je
t’oublierai
à double détour.
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Rupture :
je pose nous
je retiens un.
Courts Métrages

Photos de
l’auteure
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