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Archives : Terra incognita

 

Nouvelle rubrique depuis 2019 

 

Printemps 2025

 

Jean-Paul Morro 

Poèmes inédits

 

(*)

 

Une image contenant plein air, nature, forêt, plante

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.

 

 

LE MURMURE FEUTRÉ DES ÉTOILES FILANTES

je t’ai rencontré autrefois sur une île

je t’ai rencontré autrefois sur une île

tu dressais droit et raide ton profil de roi grec

face au bleu éternel et à l'horizon mythologique

toi le poète et le berger anonyme et muet

seul sur ton escarpement lointain

 

ta majestueuse autorité

rassemblait un essaim de brebis silencieuses

sur ce désert parfumé

où se jouait la rivalité des cigales

 

aucun mot n'aurait pu dire

tout ce que tes yeux ivres de solitude

hurlèrent en me fixant

puisque je venais de fouler

un espace sacré promis à l'abandon

 

toi le poète et le berger anonyme et muet

tu régnais en demi-dieu

couronné du chardon bleu de l'éternité

tandis que tes brebis contemplaient indéfiniment

ce territoire antique

peuplé d’ombres homériques

de vigne et d’oliviers

 

 

ta mission

ta mission

ta voie

trouver la clé du verrou sans avenir

 

l’air perd de son oxygène

mais nourri du feu des élus

tu avances la poitrine tendue

comme la cuisse de la lune

le front tourné vers l’arbre à silex

 

au sommet de la colline

au sommet de la colline qui n’a jamais pleuré

tu pactises avec la cannelle du puma

et l’or rouge du renard attentif à ta chute

 

l’eau acide d’un fleuve sans espoir de delta

baigne et brûle tes chevilles d’ambre usé

la terre dont la pyrite éclate en miroirs sans reflet

boit le sang de tes pieds d’ortie

 

ta foulée se fait alors cœur de plomb charnu

et ta main ouvre enfin le verrou sacré

qui entrave tes veines 

 

 

jaillissant de l’écume

jaillissant de l’écume tu escalades la falaise              

tu cherches la douce vapeur

et la rondeur de pain frais des nuages            

au plus profond des nids dépeuplés 

 

nous t’attendons

mains tendues

assoiffés de ton souffle sur nos peaux engourdies               

vive créature sans demeure

profil vibrant d’espoirs inavoués

 

tu chantes dans la joie des retrouvailles              

ensemble nous égrainons le chapelet de ta vie             

cascade de sourires sur les vagues écrêtées     

 

quand le premier

la première

t’a saisi enfin

plein et généreux

tu as entonné de ta voix d’aigue-marine

l’inoubliable chant

le chant inoubliable des poètes

 

 

ton monde est plein de fantômes

ton monde est plein de fantômes

souffles de plaintes cambrées

griffes de lumière sur des chemins froissés

 

ton monde est plein de fantômes

au nord tu suintes le clos

 tu respires à l'ouest le naufrage

 au sud tu distilles l'invivable

et t'enivres à l'est de poudre de linceul

 

ton monde est plein de fantômes

sans lumière ni oratoires dédiés

pourquoi saignes-tu encore

toutes artères désertées

victime de torsions imméritées

sans espoir d’un lointain brasillement

ni de naïves légendes à toi consacrées

 

ton monde est plein de fantômes

leurs grimaces se lisent aussi

sur les visages scarifiés

des enfants que tu n’as pas adoptés

 

 

te voilà débarqué

te voilà débarqué dans un coin du monde

à l’écart de la fureur et de l’envie   

          

un coin du monde frais comme l’eau qui ruisselle

sur la pierre plate de ta source               

un coin du monde baigné de rires au lieu de défis            

et de sourires au lieu de menaces

 

un coin du monde sans cesse renaissant

dans ta mémoire 

nourrie de vagues sur le sable blanc

de senteurs de sel

et de bois marin

 

 

et si tu revenais

et si tu revenais

dans ton pays

quel qu’en soit le prix               

une folie a-t-on dit

mais trop de légèreté trop de beauté

à rattraper   

          

tu y reviens souvent la nuit

mais si un jour

tu y revenais

en plein soleil

les poumons vides de colère

la mémoire dans le cœur

tout chagrin poli

toute amertume abolie

tu y reviendrais

avec le prénom

d’un enfant oublié               

 

 

un monde neuf

un monde neuf advient

à toute seconde de l'horloge

 

un monde neuf advient

chargé de fruits

de perles et de couronnes

 

ta patience

l’engrange au plus profond

de ta caverne bleue

 

tu le conserves

à l'abri des fleuves sous-marins

des prédateurs du regard

et des tueurs d'illusions

 

tu fais que là se love

ton trésor

sans cesse recommencé

 

 

sous chacun de tes ongles

sous chacun de tes ongles

sommeille un dieu brisé

que les juges et les analphabètes

ne pourront jamais adorer

un dieu brisé sans masque ni parfum

qui ne cesse de ramper

au bord du piège de tes mots

un dieu brisé boit

sous chacun de tes ongles

l’écume amère de l'encre

dont tu illumines

la blancheur du papier

par la grâce de tes vers

et l’ampleur de ta pitié

 

 

toute écriture est dévotion

toute écriture est dévotion

répètes-tu dans des cathédrales de vent

tu ne crois ni au pain des cloches

ni aux racines sauvages des livres interdits 

seules te fascinent la parade aux frontières

la pauvreté du cuivre et les campagnes défaites

au souffle du charbon

 

toute écriture est déchirure

regrettes-tu dans tes vers

à l’écart des ruches fécondes et des territoires sans faim 

tu crois en la typographie des cicatrices humides

et en la syntaxe des ferments fertiles

nichés sous les cryptes des prisons

 

toute écriture est revers du langage

te lamentes-tu accoudé au vide

tu égraines dans la brisure de ton sommeil

le chapelet indécis des peuples traqués 

alors deviens donc épine puis couronne

et retourne sans regret aux confins des atolls 

 

 

trois notes vertes

trois notes vertes s’écrasent sur la paume de ta main              

les emprisonner est un réflexe             

une évidence             

mais on n’étouffe pas une lumière qui vient de si haut    

          

le lait clapote dans sa casserole sur le feu             

il chante sa douleur comme toi tu écris tes poèmes               

vous vous parlez sans vous connaître            

concert de murmures 

on ne hurle pas quand on aime 

             

quand un nuage passe devant ta petite fenêtre

il glisse en soupirant comme un voilier sur le lac            

ne pas s’éterniser

partir mais ne pas s’enfuir            

on ne refuse pas ce qu’offre une vie   

 

 

et tout ça pour ça

et tout ça pour ça

venir partir mourir

rejoindre tes parents tes amis

dans l'eau de mer glacée

un jour de tempête si possible

avec tes cendres enfuies dans le vent

un peu plus de rouille dans la mer

ou de la poussière dans les champs

 

et tout ça pour ça

et puis voilà

un séjour sur une étagère

ou une balade sur l'eau

en attendant le sort

des étoiles de mer

marée basse et galets salés

 

et tout ça pour ça

respirer l'oxyde de carbone

puis repartir dans l'autre sens

flotter mais ne pas couler

ah oui  sans couler surtout

car il n'y a pas de fond

 

ils ont beau dire

il n’y en a jamais eu

 

 

tu te ressaisis à contre-courant

tu te ressaisis à contre-courant du fleuve nuit             

ton cœur devant les barreaux

la suie sur les vitres de ta fenêtre   

          

il se fait tard            

le silence tombe sur un mendiant de passage             

un roi aveugle caresse la verdure absente             

un olivier s’abat et ses racines pleurent    

          

le berger t’appelle               

tu n’es pas l’un de ses moutons

mais tu accours            

son chien aboyant de toute sa race  

ses brebis broutant de toute leur faim

           

on frappera à ta porte et le silence retombera            

il t’invitera et tu avanceras

tu seras enfin le bienvenu     

 

 

POUR SE RÉVEILLER SUR UN LIT DE POÈMES

libère les agneaux de la bergerie

libère les agneaux de la bergerie

tu feras l’affaire des loups

libère tous les mots du dictionnaire

tu feras le futur de la poésie

 

 

 

embrasse la boue du chemin

et un miroir te dira d’où tu viens

 

 

 

sache que définir le mot poésie

ne sera jamais une affaire de novice

 

 

en embrassant un cerf-volant

en embrassant un cerf-volant

tu as blessé l'arc-en-ciel

le trésor déposé à ses pieds

tu ne sauras jamais le trouver

 

 

 

à l'heure des échéances

ce sera la rançon d'un succès

que tu n'auras jamais connu

ou la rançon d'un échec

que tu n'auras jamais payée

 

 

 

tu devrais savoir que

tracer la route d’un poème

n’est pas à la portée du premier pendu

 

 

©Jean-Paul Morro

Photos par l’auteur

 

 

 

(*)

 

« Je suis né en 1947 à Oran dans une famille d’origine italo-espagnole repliée en France à la fin de la guerre d’Algérie. Bien que né du mauvais côté de l’Histoire comme cela a été écrit, je vis ce déracinement comme un long exil que les années écoulées sont loin d’avoir adouci. J’ai lu, dans le dernier numéro de Francopolis, l’interview de Patricio Sánchez Rojas dont j’ai suivi plusieurs ateliers d’écriture au musée Paul Valéry, à Sète. La poésie, la langue espagnole, l’exil autant que le Chili — ma belle-fille d’origine chilienne a suivi le même parcours que Patricio — nous ont rapprochés et je le rencontre avec plaisir à Sète, lors du festival Voix vives.

Hispaniste de formation et enseignant par vocation, après une carrière dans divers départements, je vis à présent entre le Tarn et l’Hérault où je participe depuis de nombreuses années au festival de poésie Voix vives en Méditerranée, à Sète. J’ai consacré une thèse de fin d’études au poète mexicain Jaime Torres Bodet et mes influences vont de Pablo Neruda à Garcia Lorca et de Machado à Miguel Hernandez, mais aussi de René-Guy Cadou à Yves Bonnefoy, de Paul Valet à Andrée Chedid…

J’anime depuis sept ans avec la passion du bénévolat un atelier d’écriture créative dans le petit village tarnais de Labastide-Saint-Georges cher à Gaston Puel, dans le cadre d’une association culturelle au cœur du pays que l’on dit de Cocagne. »

BIBLIOGRAPHIE :

Les poètes de Labastide-Saint-Georges, Revue du Tarn, n° 251, 2018

Mon enfance à Oran, autobiographie, Casbah Éditions, Alger, 2018

La Cour de la Soif, récit, Coollibri, autoédition, 2023

Les Chacals n’ont pas de cœur, nouvelles, Coolibri, autoédition, 2024

Plusieurs de mes poèmes sont parus ou vont paraître dans différentes revues :

Poétiquetac, décembre 2024

— Poésie/première, janvier 2025, numéro 90

Oupoli, mars 2025

 

***

 

Sans vouloir en rajouter à cette auto-présentation qui dit (presque) tout sur cet auteur à la plume mûrie par l’épreuve, je souhaite juste signaler que le recueil dont sont extraits les poèmes ci-dessus – Le murmure feutré des étoiles filantes – est à la recherche d’un éditeur. Si j’en étais un je le publierais sans hésitation. Il y a là une expérience poétique complexe et profonde qui respire le tragique de l’existence tout en le transcendant. Elle semble avant tout intimement animée par la musique (en divers styles et avec des thèmes et variations qui composent un tissu sonore en perpétuel mouvement « minimaliste », car très fin…), et repose sur un arrière-fond mythique (orphique) en tant que destin continuel des poètes et de la poésie, le grand thème du recueil, présent comme en filigrane sur chaque page. Il en résulte une écriture qui se nourrit de paradoxes et de surprises : écrire de la poésie « n’est pas à la portée du premier pendu »… Ou, autrement dit : « toute écriture est dévotion ».  

 

(D.S.)

 

 

Jean-Paul Morro

Francopolis Printemps 2025

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