CHRONIQUE de Pierre Bachy
Un si long voyage (Mistry Rohinton)
Le thème du roman
est la relation de la vie quotidienne des habitants d’un immeuble, le Khodadad
Building, à Bombay, sur fond de guerres indo-pakistanaises et de corruptions
en tous genres prêtées par l’auteur à Indirah Gandhi,
à son fils le play-boy amateur de belles voitures, et à leur
entourage, ce roman prenant a pour personnage central Gustad Noble, un Indien
zoroastrien, employé de banque, locataire respecté d’un des
appartements du bâtiment, et son épouse Dilnavaz. On partage
les traditions culturelles et religieuses de cette communauté d’origine
parsie, ces zoroastriens discrets qui possèdent pourtant d’immenses
empires commerciaux, et on assiste aux cérémonies mortuaires
de la Tour des Vautours, aux pratiques de l’exposition des morts, et on apprend
à respecter, estimer, et aimer ces adorateurs du soleil.
Grand, large d’épaules, Gustad fait l’envie et l’admiration de ses
amis et de la famille chaque fois que l’on parle santé ou maladie.
Pour un homme qui chevauche les vagues de la cinquième décennie
de sa vie, il paraît incroyablement solide. Surtout après le
grave accident survenu quelques années auparavant, dont il ne garde
qu’un léger boitillement le jour où il a risqué sa vie
pour sauver celle de son fils aîné.
Sa vie connaît une série dramatique de turbulences. Son fils
aîné Sohrab le déçoit dans son choix d’études
supérieures. Les disputes s’enchaînent, jusqu’au départ
définitif de celui-ci, que Dilnavaz, en cachette de son mari, tentera
de faire revenir par la pratique de la sorcellerie. Sa fille Roshan tombe
gravement malade, son fils cadet, amoureux d’une jeune voisine, est la cause
de querelles entre ses parents et ceux de l’adolescente.
Mais surtout réapparaît dans la vie de Gustad un ancien ami
qui, à sa profonde déception, ne lui donnait plus signe de
vie depuis des années, le mystérieux major Jimmy Bilimoria,
qui travaille pour les services secrets du Premier ministre, et qui va l’entraîner
malgré lui dans une sombre affaire de détournement de fonds
spéciaux alloués à l’agent secret par Indirah Gandhi
pour, prétendument, aider la guérilla kashmirie, mais dont
la vraie destination est, à son insu, les comptes bancaires secrets
de la famille du Premier ministre.
Gustad accepte d’aider le major, par amitié. Il fait effectivement
un « long voyage » cauchemardesque en train jusqu’à Dehli
pour y rendre visite à son ami le major en prison. Mais le voyage
qui donne son titre au roman n’est certainement pas celui-ci mais un voyage
dans la tête, celui de Gustad qui voit au fil du roman toutes ses certitudes
(et dieux savent que la société indienne repose sur le partage
de certitudes, profondément gravées dans l’inconscient collectif)
se dissiper.
Mistry Rohinton sait conter, déjouer l’incrédulité de
son lecteur, se faire passer pour candide alors qu’il est redoutablement
malin. Il est un moraliste bien campé sur quelques principes, mais
n’a rien de raide ni d’engoncé. Il écrit net, utile, sans graisse
ni complaisance, injecte l’humour qu’il faut pour se faire pardonner ses
imperfections et les ficelles qu’il tire sans vergogne. C’est de la belle
ouvrage en tout cas, et une chose est sûre : voici un écrivain
qui n’a pas usurpé son succès !
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