Joël
Bastard : Bakofé
Poèmes
par
Xavier Bordes

Editions
Al Manar (Coll.
Poésie, 16 euros.)
Autant ne pas le cacher
d’entrée de jeu : j’aime bien les
poèmes de Joël Bastard. Et depuis longtemps. Les premiers
que j’aie lus (« La
Beule ») m’avaient été
envoyés pour publication éventuelle en revue :
j’ai été instantanément conquis, et tout le monde
avec moi. Ils ont paru. Cela lui a permis très vite de publier
plusieurs recueils chez Gallimard et ailleurs. Je lui ai écrit
pour savoir qui était ce garçon singulier, né en
1955 à Versailles, et qui s’était retrait dans les monts
du Jura, apparemment dans une ferme. J’en ai retiré, sans
l’avoir jamais rencontré, l’impression d’une personnalité
de vrai poète, attachante, proche des choses qu’il a sa
façon de recréer dans un langage de courtes proses,
nerveuses et pleines de points. J’en donnerai des exemples. Ce
récent recueil, « Bakofé »
résulte d’un séjour au Mali, à Ségou Koura
(pays Bambara), réalisé grâce à une bourse
qu’il reçut en 2005 comme lauréat des
« Missions Stendhal ». Il y passa l’hiver
« au plus proche de la pauvreté, du simple et de la
beauté des êtres et des lieux », comme il
l’explique, en nous apprenant que le mot Bakofé signifie en Bambara
« derrière le
fleuve ». Ecoutons cette voix de l’autre rive :
La voix se donne comme
une main. Sans retenue. Longtemps demeure dans la seule pauvreté
d’elle-même. Suspendue au front nocturne. Son chant conduit les
caresses à l’abreuvoir dans le visage troublé d’une lune
nouvelle.
Puis le décours. Serpe de lune en
équilibre dans le noir.
Nous nous croisons dans les ruelles. Seulement le bruit de nos
claquettes. Dans les patios délabrés quelques braises et
le murmure paisible des pauvres.
(Bakofé,
p.
21)
|
Tout le livre est fait
de
cet enchantement ramassé, parfois cruel comme la vie africaine,
mais rempli de méditation et de la chaleur spontanée des
vivants. Il y a là tout un art de camper en quelques croquis
colorés l’appréhension d’un monde, exactement comme une
série de photos que nous offrirait le langage à force
d’imagination, et dans laquelle surgissent les gestes d’un peuple, le
décor où il vit, avec une distance de langage qui
n’exclut en rien une sensation de fraternité humaine
profonde :
Il marche vers nous. Sa langue
s’étire en terre dans l’hémorragie des mangues qui se
pressent à l’horizon. Sur l’arête rosée d’un mur,
le voici, doigts coupés, paumes blanches. Il nous regarde passer
dans le tain vif-argent des ruelles. Se voit aussi dans cette
poussière chauffée à blanc, pour un instant.
Aussi, la poussière se tient debout
par cet homme qui marche
dans son ombre.
(Bakofé,
p.40)
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Ainsi parle Joël
Bastard, non pas au-dessus, mais à côté des hommes
et des choses. Pour moi sa voix demeure inoubliable.
***
Joël Bastard :
bibliographie.
Manière,
Gallimard, 2009.
La Compagnie des eaux,
Le Trident Neuf, 2009.
Bakofé, avec
Amina Benbouchta, Al Manar, 2009.
All is one,
Éditions Le Miel de l'Ours, 2009.
Papillotes sans chocolats
II, avec Jean Chollet,
Ficelle, 2008.
Casaluna,
Gallimard, 2007.
Papillotes sans chocolats,
avec Luce Guilbaud, Ficelle,
2006.
Le Sentiment du
lièvre, Gallimard, 2005.
Au dire des pas,
L'Idée bleue, Le Dé bleu, 2004.
Se dessine
déjà, Gallimard, 2002.
Les Chinchards de Douarn,
Passage d'encres, 2002.
Le Terme du roc,
Ficelle, 2000.
Beule, Gallimard,
2000.
Mémorandum de
porcelaine, Éditions Jacques
Brémond, 1992.
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Joël Bastard pour
Francopolis
novembre 2009
par
Xavier Bordes
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