LECTURE - CHRONIQUE
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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Janvier-février 2023 Daniel Brochard :
Dès l’aube (Imprimeur :
Offset 5 - Les Achards, 2021) Lecture par Éric Chassefière Huile (détail) de Daniel Brochard |
« Dès
l’aube », l’un des tout derniers recueils de poèmes de Daniel Brochard,
publié en novembre 2021, deux mois avant qu’il ne prenne la décision
d’arrêter l’écriture, est l’histoire d’un éveil, éveil à la poésie, à la
nuit, à son éternité. Le recueil se présente comme une suite d’une trentaine
de tableaux courts en prose, disant la quête de la connaissance des choses (« Tout
ne se résume-t-il pas à connaître les choses ? »), de la vérité des
choses derrière le voile que vient y déposer le conscient. C’est
l’inconscient, et plus hautement l’âme, alliage du corps et de l’esprit, qui
parle, avec ses complexités, ses fulgurances, ses échappées vers les
territoires de l’immensité, qui sont aussi chez Daniel Brochard ceux du ciel
intérieur. Cela n’est pas un hasard si le poète s’est passionné dans sa
jeunesse pour l’astronomie, l’ouverture vers les grands espaces étant
constitutive de sa posture de vie, ainsi qu’il le confiait dans un courrier
de décembre 2021 : « Il faut savoir regarder le
ciel pour savoir d’où l’on vient, qui l’on est, et où l’on va. C’est une
dimension importante de la poésie selon moi. Cette petite vie dérisoire peut
aller vers la contemplation des domaines voilés de l’Univers, ou sombrer dans
le chaos et l’ennui, choses que l’on nous sert volontiers pour nous endormir.
Mais nous restons debout, et s’il le faut nous dormons debout ! Ce vaste
domaine qu’est l’inconscient n’est-il pas comparable aux mystères de
l’univers ? Si fragile est notre existence, si bancales sont nos
vies ! Je fuis cette terre vers le ciel qui m’a toujours inspiré !
À dix-sept ans, j’avais un télescope. J’ai vu Orion, Cassiopée, les Pléïades…
Et puis j’ai décidé de m’occuper de cette terre, sans oublier le ciel qui
nous entoure. […] Nous avons besoin de lumière dans cette obscurité !
C’est le but de toute activité artistique. C’est la finalité de la science.
Parce que nous sommes un tout dans l’univers et ne sommes pas limités à une
cave obscure, nous avons besoin de ce sens que nous apportons au monde.
« Chargé des étoiles… », le poète sera à jamais le plus grand
explorateur. » Et
ailleurs dans nos échanges : « J'ai été
sensibilisé à l'Astronomie dès l'enfance. J'ai offert mon télescope à mon
neveu qui est entré en école d'ingénieur en Aérospatiale. Il semble que
rêver soit une activité terrestre des plus urgentes. Cela nous
évite de tomber dans le consumérisme et nourrit notre univers intérieur.
Faire rêver les hommes pour qu'ils remettent les pieds sur terre, voilà mon
projet de vie ». Ainsi, « chargé des étoiles », Daniel
Brochard a-t-il troqué son télescope pour sa plume, sa passion des étoiles
pour celle des mots qui disent les étoiles, le jour pour la nuit, ainsi qu’il
le confie un soir, regardant le monde vivre à travers sa fenêtre : « Il n’est plus l’heure. La
nuit a dépassé le jour. Un ciel d’étoiles, tel un écrin de diamants, est
tendu au bout de l’univers parmi les constellations ». Et c’est bien
d’une échappée qu’il s’agit, une évasion vers quelque chose de plus grand où
expérimenter à travers la perte de son individualité la fusion avec le
cosmos : « Se disperser dans les étoiles, c’est se perdre
infiniment ». Comme si, à l’issue du long voyage, nous renaissions
étoiles, tel ce papillon pris dans la tourmente : « Mouvements
d’ailes. Anéantissement de l’être. Expulsion de fantômes. Au plus fort de la
tempête, un papillon phosphorescent s’est éteint dans l’obscurité d’une
vague. Très loin dans le ciel, trois étoiles entourent de mains protectrices
le cocon issu de la métamorphose ». La nuit, comme les étoiles, est
partout présente dans ces textes, telle cette « forêt où il fait
toujours nuit » que longe un canal, disant peut-être la faille d’un
reflet de ciel dans une eau lente, ou dans le même poème cette rivière,
« cette éternité de nuit et de douceur », où il nous dit sombrer
sans fin. La nuit, comme conséquence du rêve, puisque nous dormons debout, et
non l’inverse : « La nuit est un train que l’on prend en
rêvant ». D’entrée,
Brochard pose les bases de sa vie d’écriture, marquée par son combat
incessant, justement avec l’arme de sa plume, contre la maladie
psychique : « La poésie commence par un acte d’écriture presque
involontaire, réalisé près d’une fenêtre vers l’âge de dix-sept ans. Tout en
moi me prédestinait à cette vie, marquée fatalement et tôt par la maladie. Il
faut avoir l’esprit fracturé, malmené, pour penser que seule l’écriture a un
sens en ce monde ». Écriture vécue comme une respiration (« J’ai
besoin de respirer pour ne pas succomber à la crucifixion »), comme une
façon de faire vivre l’enfant en soi (« J’ai su garder en moi la fraicheur
d’un enfant »), renaître peut-être de la multitude de nous-même, vies
antérieures ou intérieures, par l’opération de notre amour : « Nous
avons sûrement vécu d’autres vies, vu le nombre de roses fleuries sur les
parterres et tout cela n’est que pur hasard. J’en ai une dans le cœur,
immense comme une cathédrale. J’ai vu des colombes traverser les barreaux en
habiles fantômes. Du ciel ouvert, tombaient des météores. Rien ne vient,
sinon d’une pluie déjà entrevue ». Par les mots, le poète s’évade de son
enveloppe corporelle et accède au lieu duquel contempler sa vie dans sa
totalité, lieu qui est celui de la lumière et des oiseaux :
« Prends tes chaines à ton cou, envole-toi. Les murs ont tous un autre
côté. Il y a la mer et le soleil. Quitte les racines brûlées depuis longtemps.
L’horizon est plat comme un banc sur les jardins publics que l’ivresse
métamorphose en sommeil hypnotique. Chaque bouteille abrite un message gravé
dans les yeux des oiseaux ». L’acte d’écrire est chez Brochard un envol,
une bouteille jetée à la mer céleste de la poésie, un élan vers un monde
différent : « Pli mauve au creux du firmament. Ombre, rochers,
dune ! Poussières d’étoiles ! Rien n’est plus pareil tout au bout
du chemin ». Il
est l’homme des souffles, et en même temps de l’immobile : « Je
passe ici en coup de vent. Les pépites ont peu de valeur pour moi. Je connais
le prix de la liberté. Ne pas se perdre si loin. Ultime mot d’ordre. Plutôt
rester là que s’étendre dans le vide et tomber ». Il y a chez lui le
souci permanent de s’ancrer dans un lieu, pour éviter la chute, et en même
temps savoir penser ce lieu, et sa présence à ce lieu, depuis quelque
position lointaine, dont on comprend que c’est au poète de la faire exister
(la rêver ?) : « Savoir goûter les saveurs et les senteurs du
haut d’un ciel qui n’existe pas. Pouvoir s’élever ailleurs et pourtant être
ici. Si je dois contempler du ciel une plage où il ne reste plus que des
oiseaux, pourquoi s’effacer face à la nuit sans étoiles ? » (la
phrase chez ce poète se fait parfois miraculeuse, à la fois énigmatique et
lumineuse, elle nous éclaire, battant de sa réalité propre). En quelque
sorte, peut-être, se rêver de plus loin et plus tard, ne faire plus qu’un
avec cet autre, plus grand, qui est nous-même et nous regarde. Fusion du
proche et du lointain, de la présence et de l’absence, fulgurance de la
vision à la croisée des temps : « Il y a eu le vent, puis la pluie,
un coup d’orage au milieu d’un miroir où je n’apparaissais pas, puis une
ombre couvrant la toiture. Un éclair s’est engouffré sans jamais ressortir.
Il y avait des cygnes sans visage, les plumes liées en point d’interrogation.
Je suis passé dans du velours. L’encre séchait sur ma peau. En tombant, j’ai
cru voir un fantôme ». Magnificence de la langue, cristaux de phrases
coagulées du plus loin de l’inconscient. Et,
pour terminer cette chronique, ce poème intitulé Dernier envol qui
clôt le recueil, disant la conception que se fait Daniel Brochard de la
poésie, qui servira de fil conducteur à son ouvrage ultime, le Manifeste
pour une poésie sociale, publié il y a quelques mois : « Des prémices à l'achèvement
de l'œuvre, la machine poétique se met lentement en place. Là où régnait le
néant, s'élève désormais une stèle à la mémoire de ce passage effroyable sur
Terre. Il reste le mystère et la satisfaction d'avoir sauvé quelque chose. La poésie est un acte
révolutionnaire et pourtant on se souvient du néant, ce néant qui passe comme
un train emporte les voyageurs pour leur destination finale. Du dehors et du
dedans, l'angoissant vide menace toutes tes constructions. La poésie n'est pas un produit
commercial. Elle n'est pas vendue en supermarché, elle est un bunker
souterrain. La poésie ne sera jamais un métier.
Il n’y aura jamais de formation. Les revenus qu’elle peut engendrer ne font
que l’entretenir elle-même. Dire vrai est le seul but de la poésie. Tout
texte a sa jeunesse puis sa maturité. » ©Éric
Chassefière Voir
aussi, du même auteur : note de lecture sur Parmi
les ténèbres de Daniel Brochard
(dans cette même rubrique), Hommage
à Daniel Brochard, par ses textes (à la rubrique Gueule des mots), et recherche/présentation
du recueil L’amitié de Daniel Brochard (dans Francosemailles). |
Note de lecture de
Éric Chassefière
Francopolis, janvier-février 2023
Créé le 1 mars 2002