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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Printemps 2025

 

 

 

Rimbaud, voyou valeureux ou fils prodigue ?

 

Deux visions : B. Fondane et Pierre Michon.

 

Par Michel Herland

 

 

       Mes deux sous de raisons sont finis.

Rimbaud

 

Poursuivant ici une longue enquête sur les ouvrages (livres ou revues) consacrés à Rimbaud, nous faisons cette fois un retour en arrière avec deux livres publiés pour la première fois l’un en 1933 et l’autre en 1991.

 

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Rimbaud le voyou

Qui, alors qu’il était autorisé à quitter le camp de Drancy, refusa d’en sortir sans sa sœur qui était internée avec lui, se vouant ainsi à une mort presque certaine ? De fait, ils finiront assassinés dans une chambre à gaz, en octobre 1944, ayant fait partie de l’avant-dernier convoi vers Auschwitz. On rappelle ici la mémoire de l'écrivain né Benjamin Wechsler en 1989 à Jassi (Iaşi), d’abord roumain et roumanophone sous le pseudonyme B. Fundoianu puis francophone et français sous le nom Fondane que nous lui connaissons. Que nous lui connaissons ou pas, car son nom n’évoque sans doute plus grand-chose au public français, alors que Fondane fut entre les deux guerres l’auteur reconnu sinon célèbre de nombreux essais qui se distinguent par leur originalité, essais philosophiques, articles ou livres comme La Conscience malheureuse (1936) ou Faux traité d’Esthétique, Essai sur la crise de réalité (1938) et des essais consacrés à deux de nos poètes majeurs, Rimbaud et Baudelaire. Poète lui-même (Le Mal des fantômes qui rassemble son œuvre poétique en français, publié à titre posthume en 1980, a connu depuis plusieurs rééditions), il fut par ailleurs dramaturge, cinéaste.

Rimbaud le voyou et l’expérience poétique (1933) est le premier ouvrage publié par Fondane après son arrivée en France, dix ans plus tôt. Ce livre, lui aussi plusieurs fois réédité, est disponible désormais grâce aux Éditions Non Lieu avec une préface de Michel Carassou. Il mérite certainement d’être lu encore aujourd’hui, son approche de la personnalité du poète n’ayant rien perdu de son originalité. On ne trouvera pas ici en effet une analyse littéraire, Fondane ne s’intéresse pas aux procédés stylistiques du poète, il ne cherche pas non plus – comme tant d’exégètes de nos jours – à décrypter un sens caché sous des formules plus ou moins absconses. Il veut comprendre la trajectoire véritablement extraordinaire d’un jeune génie qui renonça brutalement à la poésie et dont la reconversion en aventurier assoiffé d’or en Abyssinie apparaît comme une sorte de suicide intellectuel. L’explication la plus simple, partagée par de nombreux interprètes (en particulier catholiques, comme Claudel ou Jacques Rivière), largement influencée par les écrits de la sœur d’Arthur, Isabelle, est celle du repentir. Le poète Rimbaud était un mauvais garçon ; dans Une saison en enfer il aurait renoncé tant à la poésie qu’à une vie de bâton de chaise. Cette explication présente deux faiblesses : d’abord, la lecture attentive d’Une saison peut laisser quelques doutes quant à la réalité de ce repentir ; par ailleurs il n’est pas certain que cet ouvrage marque véritablement la fin de la période d’écriture de Rimbaud. Rappelons à cet égard que s’il n’existe aucun doute quant à Une saison (publié en 1873), on se dispute encore sur les Illuminations qu’on ne sait pas dater précisément entre 1872 et 1875. Cependant l’ouvrage d’Henry de Bouillane de Lacoste, qui a soulevé ce lièvre, date de 1949. Pour Fondane il demeurait acquis qu’Une saison marquait bien la fin de la vie de Rimbaud poète. Il en fait le moment clé de la (re)conversion du poète en commerçant aventurier.

Bien que Fondane manie parfaitement la langue française, la lecture de Rimbaud le voyou est loin d’être aisée. Et pas uniquement parce que les vingt-sept chapitres sont dépourvus de titre, ce qui n’aide pas à s’y retrouver. La thèse de ce livre qui laisse l’impression d’avoir été écrit sans un véritable plan est difficile à cerner. Si le titre indique bien que l’auteur va s’intéresser au poète rebelle et provocateur que fut le jeune Rimbaud, le livre traite de bien d’autres aspects de la personnalité du poète. D’ailleurs, comme Fondane le note dans la préface qu’il avait préparée pour une seconde édition, son message n’a pas été compris par les premiers lecteurs. Comment « se peut-il que personne n’ait compris, ni voulu comprendre, que le « voyou » était pour moi le contraire du héros, du saint, du juste – des hommes qui ayant satisfait à la Loi y ont trouvé leur béatitude – et que par là, des antipodes mêmes, naissait une nouvelle sainteté, des piétineurs de la Loi, des martyrs de la raison, des non-conformistes de l’être ? ». Mais Fondane ne conclut-il pas cette même préface en soulignant que le génie est « obscur », autant qu’il est « fou » ? N’est-ce pas reconnaître que Rimbaud gardera toujours une part de mystère, autant pour ses interprètes que pour leurs lecteurs ? D’ailleurs, conscient des imperfections de ce premier essai, Fondane avait rédigé des nouvelles versions des chapitres 4 à 8 du livre déjà publié qui sont reproduites à la fin des éditions suivantes. Ces ajouts, de même que les notes de la première édition sont précieux.

La vie de Rimbaud est faite de reniements successifs. On connaît celui, sincère ou non, d’Une saison mais Fondane en repère davantage :

1. L’abandon des illusions de l’enfance : la phase du « voyant » ou du « voyou »

2. La recherche d’une profession lucrative et le départ en Afrique

3. À la soif de l’or se superpose bientôt l’idée de l’exploration (publication du Journal de route dans le Harar dans le Bulletin de la Société de géographie)

4. Le rêve du mariage et d’une vie rangée

5. Le retour à la foi de son enfance ou un ultime reniement

Le dernier point mérite une explication. Pour un Claudel, la conversion de Rimbaud sur son lit de mort ne faisait aucun doute. Rimbaud était « un mystique à l’état sauvage ». « Sa vie un malentendu, la tentative en vain, par la fuite, d’échapper à cette voix qui le sollicite et le relance, et qu’il ne veut pas reconnaître ; jusqu’à ce qu’enfin, réduit, la jambe tranchée, sur ce lit d’hôpital de Marseille, il sache ! ». La conviction claudélienne d’un retour du religieux chez Rimbaud se fonde sur le témoignage d’Isabelle qui accompagna le poète dans ses derniers jours. Le doute de Fondane à ce même sujet s’appuie pour sa part sur un passage de la lettre dans laquelle Isabelle, après avoir raconté à sa mère la confession d’Arthur (« je n’ai jamais vu de foi de cette qualité » aurait dit l’aumônier auquel il s’était confessé), rapporte des propos plus troublants de son frère, à la suite de la confession : « Crois-tu, dis, crois-tu ? » Et : « Oui, ils disent qu’ils croient, ils font semblant d’être convertis ».

Que Rimbaud ait retrouvé ou pas la religion de son enfance, il est important de rappeler les étapes de la vie du poète car elles sont au cœur de la démonstration de Fondane. Elles caractérisent selon lui l’instabilité existentielle de Rimbaud, son insincérité foncière manifestant une haine de soi comme du genre humain en général. Dans la première note du livre, in fine, intitulée « Hypothèses », Fondane esquisse une explication de cette haine de soi par l’impuissance sexuelle. S’il n’en existe aucune preuve formelle, divers écrits de Rimbaud fournissent bien en effet des indices : des poèmes comme « Vénus anadyomène » et certaines notations comme échappées de la plume du poète. Ainsi « L’horrible quantité de force que la nature m’a toujours refusée », « le fils du soleil », « moi je suis intact et ça m’est bien égal » et pour finir « je n’aime pas les femmes ». On retiendra surtout, peut-être, l’absence de toute preuve du fameux « dérèglement de tous les sens » dans le domaine sexuel. Même dans la trouble relation avec Verlaine, si une homosexualité active, en tout cas une inclination envers les garçons sont avérées chez l’auteur des Poèmes saturniens, il n’existe rien de tel en ce qui concerne Rimbaud.

Alors le génie de « l’homme aux semelles de vent » est-il une simple affaire de sublimation ? Peut-être. On ne tranchera pas là-dessus ; nul ne niera en tout cas les tourments du poète. « Il s’agit de faire l’âme monstrueuse, à l’instar des comprachicos », est-il dit dans la lettre du voyant. Alors monstrueux Rimbaud ? Non, mais tourmenté sûrement. En dépit de toutes ses imperfections le livre de Benjamin Fondane apporte à cet égard plus que des lueurs et vaut sans aucun doute d’être lu encore aujourd’hui.

 

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Rimbaud le fils

Parmi les nombreux ouvrages intitulés « Rimbaud le » suivi d’un qualificatif variable, qui ont fleuri en particulier au cours des années récentes (2), le plus connu, dont la première édition remonte à trente-cinq ans en arrière et qui est constamment réédité en poche, est sans conteste le Rimbaud le fils de Pierre Michon. Un petit bijou littéraire à l’intérieur duquel les amoureux de Rimbaud retrouveront leur héros magnifiquement servi par l’une des plus belles plumes des lettres françaises. Il s’agit d’une « biographie libre » qui s’autorise à imaginer à propos des relations de Rimbaud avec ses proches – en premier lieu sa mère, d’où le titre – des détails inconnus des biographes les plus respectueux des faits. Le livre n’en est pas moins à recommander à tous les amoureux du poète, en particulier mais pas seulement ceux qui souhaitent aller à la découverte de l’homme sans entrer dans les controverses des érudits.

Michon soulève quand même en passant l’un des points de la personnalité de Rimbaud considéré comme problématique par Fondane – avait-il du « goût » pour les femmes ? – et conclut à la vanité de ce débat : un avis qu’on peut ou non partager mais de telles questions ne sont en effet pas celles qui intéressent Michon qui n’est jamais aussi bon que lorsqu’il se laisse aller à inventer, par exemple ces définitions de la poésie qu’il prête à Izambard, le professeur de Rimbaud.

« Si, entrant dans sa classe […] vous lui aviez demandé ce qu’était à ses yeux la poésie […] il aurait répondu sur un ton d’audace et de panique que c’était une affaire de cœur grâce à quoi la langue est parée comme une mariée, ou alors depuis Baudelaire les yeux faits, vérolée, mais glorieuse et parée comme une haute putain. »

Selon Michon, Rimbaud « cessa pratiquement d’exister quand le verbe s’effondra ». Ainsi explique-t-il la fuite de Rimbaud, le départ en Afrique, la reconversion en commerçant si soudaine de la part d’un ancien vagabond, parce que le génie poétique l’avait abandonné. Il n’avait plus le feu sacré, pourrait-on dire. Il aurait certes pu continuer à écrire des « beaux poèmes », comme tant de tâcherons de la plume, mais il n’avait pas cette envie-là, « c’est-à-dire négocier en sachant bien que le négoce est truqué, le roi qui est dans le poème jette à chaque pesée son épée d’or dans la balance, il faut recommencer, accumuler dans son plateau à soi des années de paperasses sans que le fléau de la balance bouge d’un cheveu. » Les poètes parmi nos lecteurs apprécieront.

 

Notes

(1) Baudelaire ou l’expérience du gouffre sera publié à titre posthume en 1947.

(2) Rimbaud le voyant de Rolland de Renéville (1929, ouvrage critiqué par Fondane), puis Rimbaud l’homme qui parlait en silence de Joseph Giudicianni (2007) et deux BD, Rimbaud l’indésirable de Xavier Coste (2013), Rimbaud l’explorateur maudit de Philippe Thirault et Thomas Verguet (2016). Une liste limitée à la France et peut-être incomplète.

 

© Michel Herland

 

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Benjamin Fondane, Rimbaud le voyou et l’expérience poétique (1933). Réédition avec une préface de Michel Carassou, Paris, Non Lieu, 2010, 240 p., 15 €.

Pierre Michon, Rimbaud le fils (1991). Dernière réédition en Folio, 2023, 128 p., 6,90 €.

 

 

Notes de lecture de Michel Herland

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