LECTURE - CHRONIQUE
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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Septembre-octobre 2022 Silvaine
Arabo : Capter l’indicible. (Rafael de Surtis,
2022, 76 p., 15 euros) Lecture par Éric Chassefière |
La poésie de Silvaine Arabo dit
l’attente patiente de l’instant de lumière, l’innocence et la beauté à
reconquérir, l’éveil à l’eden retrouvé des images radieuses de la jeunesse,
ces « beaux jardins de l’intérieur / Là où fleurissent les jets
d’eaux / Les fontaines sacrées, / Dans le dessin très pur de la mémoire ». L’aube,
cette renaissance, n’est pas ici l’aube présente, le soleil qui y point est
d’une autre nature, soleil qui illumine l’être entier, corps et esprit : « L’aube n’est rien Que n’enfante derrière le soleil Un autre soleil Quel autre temps quelle autre main Quelle ciselure de soi Sur les carreaux bleuis du temps ? » Ciselure de soi, silhouette qui se
dessine dans une lumière tombée d’ailleurs, peut-être là au fond du miroir du
temps, celui de la mémoire, de la main venue au miroir dessiner visage de
l’autre, celui qu’on fut, celui que peut-être on sera. « Sous la
dictée invisible du vent et des feuilles agitées / Tu arpentes les longs
couloirs du temps / Sans voir la fin de cette avancée… // Vers quoi ? /
Vers quels mystères inapprochables ? ». Le but reste incertain,
mais le vent est là, dont ailleurs la poète suggère que lui seul jaillit du
pinceau : « Sous le pinceau du peintre le vent / Seulement le
vent ! », comme si nous ne laissions trace que de vent, nous
confondions avec ce flux de souvenirs qui nous traverse, si ce vent était
flux même de notre mémoire, portant l’indicible de la Présence. « Ah !
Capter l’indicible / Dans l’avancée du vent / Et les soliloques des marées ! ».
Et encore ceci, parlant de l’être aimé : « Doucement j’étreins
ton souvenir / Avec des ondes de forêts / Et des clartés pâles / D’oiseaux
souterrains ». La poète semble ainsi se placer dans
un temps qui dépasse celui de la vie individuelle. Ces oiseaux souterrains,
comme dans un autre poème les tourterelles d’or peintes de sa main, « Pressées
de revêtir / L’aile voyageuse des mots », ne sont-ils éléments d’une
frise décorant son tombeau, dans un temps qui excède le sien propre ? La
mémoire serait ainsi celle du monde, au sens de cosmos, lieu à réinvestir de
l’être pur dans la lumière du souvenir. « Et brille encore dans les
chambres / La parure des anciens miroirs // Mais les grandes mégapoles qui
croulent / Ignorent ce festin du peu / Ces miettes d’argile et d’eau / De
fumure dans les soirs fatigués ». Un retour donc à la simplicité des
éléments, à la lumière comme pure profondeur. Recherche d’un dépouillement, d’une
innocence primordiale à réinvestir de son propre désir d’élévation. Cette innocence, il faut aller la
chercher très haut, très loin dans la mémoire du monde, dans cette région
peuplée de grands oiseaux « sereins et éblouis », hors du
cercle étroit de temps et d’espace qui nous borne : « Nous irons
demain dans tes vergers / Cueillir l’innocence très au sommet / Reconquérir
en somme le privilège d’être / Face au monde oublieux / Aux fleurs éphémères
/ Aux horizons impossibles », là où le « Chant » est « semence
de la hauteur ! / Révélation de la vie / Portée par le souffle. »
Les « grands oiseaux »
sont omniprésents dans ces pages, symboles de pureté et d’éternité. « La
terre a dénoué son visage de gel / Le temps des vergers est revenu / Celui
des chants ailés / Tissant fils d’or et d’argent // Un grand cygne blanc dans
le matin / Double les transparences », ces deux derniers vers étant
également placés en exergue du livre. Comme si le cygne, ouvrant ses deux
ailes, doublait la transparence de « l’eau fluide et bleue »
de celle de son vol limpide. Et c’est là, dans ce domaine des oiseaux,
« où se concentrent les hauts vols », que l’ami attend,
« libre et clair » : « Ses yeux me font un peu
peur / Son corps androgyne réinvente l’unité / Mais la houle de son désir /
Me fait tanguer me fait chavirer // Jusqu’à devenir navire / Au milieu du
givre / Et des neiges scintillantes… » Sensualité accomplie,
peut-être venant apaiser la douleur de la
blessure par manque d’amour qui « crée la mémoire / Creuse en
abyme le temps », évoquée ailleurs par la poète. La douleur, amnésie de la mémoire,
fatigue de l’absence, est un thème récurrent du recueil, une douleur dont
Silvaine Arabo écrit qu’elle « se porte comme l’enfant », et
c’est sans aucun doute de cette douleur, qui en constitue le préalable
nécessaire, que vient naitre l’instant d’accomplissement dans l’amour
réinventé. C’est bien sûr dans le silence de la contemplation, les yeux
tournés vers l’intérieur, qu’il faut rechercher la fusion avec le tout :
« Ne bouge pas, accepte le rien », et cela pour précisément
devenir le tout : « Narcisse reflété sur la tige frêle du temps
/ La rose en ses pétales concentrés te le redit // L’univers est en toi ».
Ou encore, plus modestement : « Rien et pourtant quelque
chose : / on dirait une flamme bleue sur les sables / Là où la mer
tendrement s’éteint ». Et c’est par l’oubli de soi-même et
du monde, en devenant substance même de la mémoire qui nous porte, que la
poète, faite peut-être cygne, s’ouvre au soleil de l’Être : « Et tout oublier – même soi
– Devenir La mémoire des choses, des êtres, du
silence De ces étranges vibrations colorées Qui traversent l’espace Pour le nourrir. » ©Éric Chassefière |
Note de lecture
Éric Chassefière
Francopolis, septembre-octobre 2022
Créé le 1 mars 2002