LECTURE - CHRONIQUE 

 

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LECTURES –CHRONIQUES

 

Note de lecture de Nathalie Chocron :

 

L’Origine d’un monde, de Christine Durif-Bruckert

 

 

(éditions invenit, octobre 2021, 114 p., 14 €)

 

En premier lieu, l’objet… le livre est beau. À la fois doux et mat. On ne peut s’empêcher de suivre la découpe parfaitement circulaire sur la couverture, une lucarne de maison, un œilleton dans la porte pour regarder en cachette ; sous les doigts, apparaît le rond de chair tendre de la première page en très gros plan. Peut-être que le nombril nous regarde aussi derrière sa fenêtre ?

La page suivante – double – s’enhardit en un plan plus large qui étreint la partie la plus sauvage du tableau, la troisième page pour le tableau en entier.

Travelling arrière des premières pages – couverture et vélins – comme l’annonce du mouvement du texte : plonger dans les replis puis s’éloigner et prendre tout entière dans les mirettes l’Origine du monde.

Et puis, il y a ces pages noires titrées blanc qui charpentent le livre, font un clin d’œil à la broussaille du pubis dans le tableau, ces pages noires qu’on a envie de regarder avant les autres pages.

Le texte m’a captivée, on est happé par le rythme de sa respiration – un plaisir dans la lecture à haute voix – qui semble marteler le tableau, le sonder, le questionner à bras le corps, brasser chaque portion d’image, chaque reflet, chaque nuance de couleur :

 

Éclairage ensoleillé

La lumière soufflée de l’ombre

l’ombre sauvée par la lumière

cassée par les touches subtiles des demi-teintes

de toutes petites touches allusives

prouesse technique de la provocation

désir de la matière

matières de corps et de peinture

façonnées comme une pâte

en une masse inédite

la glaise d’un autre monde dans laquelle se prennent les rêves.

Refuge des dieux et des déesses

qui conservent et embaument les songes.

La substance est si palpable qu’elle parle instinctivement

la vérité du corps

révèle sa géographie

la poursuit de symboles et de détails en paysages.

Une femme dort

éloignée hors

d’elle-même.

A la cime du corps, rejetée en arrière : l’absence

contrepoids inerte

l’âme du tableau

devenue si légère

dans les interstices du monde. (page 22)

 

Interroger le mystère, le trouble, la nudité, la crudité, l’alliage de symbolique et de perfection triviale du tableau.

Chaque image ou métaphore est ciselée : le texte poétique semble résoudre une équation intime entre le temps qu’a pris le regard, le temps qu’ont pris les lectures, le temps de la recherche sur tableau, le peintre, mais aussi celle, antérieure, sur la relation au corps, entre la fréquentation sensible et la fréquentation intellectuelle de l’Origine du monde.

Ce temps, ce temps de travail des mots, comme en miroir, celui de la matière et de la couleur, ce cheminement de Christine Durif-Bruckert « vers » et « dans » le tableau, éclaire, ou plutôt illumine le texte poétique, lui donne ce relief solide, cette texture dense, les images ouvrent autant de pistes à suivre pour apprendre/ comprendre via la seconde partie, plus analytique « A l’origine d’un monde … la chair et le couteau » et ressentir via l’opulence et l’acuité du champ lexical. 

 

La mer se déchaîne

roulis tonique des eaux démontées inlassable ressac contre l’obstacle

dans cette minuscule partie de la lande

d’où monte la rondeur d’une lumière verbale aux frontières de l’origine.

Un trait

incise aussi délicate qu’un fil d’air

dans la largeur de l’infini

Une fente dans l’ordre de la beauté

transformée par le regard en voyage sensoriel.

Le vivant est si tendre en cet endroit

prêt à flamber de la puissance de ses secrets.

Cri dans la chair, chair en cri

musique hurlante.

De fougueuses sensations remontent du fond du tableau

le long d’une même courbe.

L’éblouissement d’une évidence colorée. (page 50)

 

Deux versants d’une expérience d’écriture dont on devine qu’elle a été marquante, éprouvante, peut-être à tailler dans le vif d’une aversion initiale envers l’œuvre-monument de Courbet.

La présence à l’œuvre, l’énergie créatrice, et la ténacité de la chercheuse, ont comme alchimisé cette première réaction trouble pour l’explorer, la raffiner, la transformer en un joyau de lecture.

 

 

©Nathalie Chocron

 

AieMa:Users:Lily:Desktop:photo rails.jpgNathalie Chocron anime des ateliers d’écriture auprès de publics et dans des contextes très variés : milieu carcéral, loisirs, entreprises …

Elle coordonne des projets liés au récit de vie, à la mémoire de quartiers, monte des lectures spectacles, réalise des documentaires sonores autour de ces ateliers.

Elle écrit ou plutôt fait travail d’écriture sur des récits (en cours de publication), des poésies (publications dans Triages Littérature – Editions La Tarabuste / Le Coquelicot, revue numérique) des chansons (pour le groupe Dis-lui Non). Elle explore également l’écriture sonore (réalisations sélectionnées au Festival Longueur d’Ondes et au Festival de Douarnenez).

 

 

Christine Durif-Bruckert, est Enseignant-chercheur, chercheure en Anthropologie, Université Lyon 2 et conférencière. Elle écrit de la poésie et contribue en tant que membre du comité de rédaction à la revue Recours au Poème.

- Outre la diffusion d’un grand nombre d’articles dans des revues scientifiques nationales et internationales, Elle publie des essais dont Une fabuleuse machine, Anthropologie des savoirs ordinaires sur les fonctions physiologiques, en 1994 chez Anne-Marie Métailié (réédité aux Éditions l’Oeil Neuf en 2009), La nourriture et nous. Corps imaginaire et normes sociales édité par Armand Colin en 2007, Expériences anorexiques, Récits de soi, récits de soin en 2017 aux Éditions Armand Colin. En 2021, elle coordonne l’ouvrage collectif Transes aux éditions Classiques Garnier.

- En poésie, elle publie entre autres aux Éditions du Petit Véhicule, sur des photographies de Pascal Durif, Arbre au vent (2018), le Corps des pierres (2019), puis Mains en collaboration avec Marilyne Bertoncini et Daniel Régnier-Roux (2021). Chez Jacques André Éditeur, elle publie Langues en 2018, Les Silencieuses en 2020 et l’anthologie Le courage des Vivants qu’elle coordonne avec Alain Crozier (2020). En 2021, elle publie Courbet, l’origine d’un monde, aux Éditions Invenit, collection Ekphrasis, ainsi qu’un monologue poétique Elle avale les levers du soleil, aux Éditions PhB. 

- Parallèlement, elle poursuit des publications dans diverses revues de poésie, et anthologies. Sur cette année 2021, elle a participé aux anthologies : Dire oui, (Florence Saint Roch), Terre à ciel (janvier 2021), Je dis DésirS, Jaume Saïs, PVST (2021), Voix Vives 2021, Préface de Maïthé Vallès-Bled, Éditions Bruno Doucey. Pour la retrouver : http://christinedurif-bruckert.com ; https://www.facebook.com/christine.durif .

 

 

Note de lecture de 

Nathalie Chocron

 

Francopolis, septembre-octobre 2021

 

 

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