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Le Spectre
Infanticide Bribes
 Editions du Cygne

La poésie est diverse et multiple, par moment mélancolique, joyeuse parfois, compréhensible très souvent, hermétique quelquefois


Le recueil de poésie (mais est-ce vraiment un recueil de poésie, on peut se poser la question) que je voudrais vous présenter est un ouvrage hors norme, bizarre, venu de je ne sais quelle planète… L’auteur ? Il a pour nom « Le Spectre », le titre du recueil : Infanticides avec un sous-titre « bribes » Les éditions du Cygne en sont l’éditeur.

La quatrième de couverture donne comme explication « Vieillir, grandir, devenir adulte, c’est toujours un peu abandonner l’enfance. Dans ses bribes, l’auteur apparente le processus de maturation à un accouchement synonyme d’infanticide. Et tout cela est encore bien plus douloureux lorsque la conscience est présente à chaque étape. »
L’auteur a structuré sa pensée en quatre parties : Les gamètes. Les parturientes. Les amniotiques. Les ombilics.
Le texte se présente sous forme de paragraphes plus ou moins longs, sortes de pavés compacts. Les phrases assez courtes parlent de choses non reliées les unes aux autres ; on se déplace d’une ville à une autre, voire de continent... Les mots, les formules s’entrechoquent dans une relation surprenante. Chaque pavé est comme un monde à lui tout seul et vouloir relier un pavé à un autre tient du challenge. Au sein d’un même bloc, les images peuvent se succéder sans aucun lien, la surprise est au détour du mot, on s’attend à un mot et c’est un autre qui vient :
« A mordre dans le marbre la stèle d’un soupir. Et tu vis de ces images comme une épître. Un rasoir en montage. Un découpage en succession. Et l’œuf devient une caresse. Une flagellation doucereuse en miroir. L’antre aux antipodes et la  marée aux berceuses. »
Les mots ici n’ont pas l’exacte signification qu’ils peuvent avoir dans le domaine réel :
« Mais ton étoile est septentrionale. Au loin et à la gageure. Jusqu’à tous les calorifères qui se reflètent aux indivis. Le tout bien au centre de la guillotine jusqu’à en omettre le parjure. Et la bribe à la lusophone. Toutes les lunettes au vent et à l’écriture. »
La lecture n’est pas aisée, la compréhension, pas davantage comme ce passage aux dernières pages: « Voilà un Sahel à brûle-pourpoint. Voilà une Koutoubia à son image. Et une République qui hurle ses moignons. »
L’auteur termine de cette façon : « Parsèmeras-tu encore l’enfance ? Vivras-tu encore à l’aune. Tout le souffle aux aguets. Toute l’absence aux veines. Une atteinte au mouvement. Un piano par-delà. A tous les solfèges. Au milieu du mièvre. »
Comme on peut le voir, la compréhension immédiate n’est pas offerte !
Dessous ce magma où les mots sont projetés en images déstructurées, où le questionnement pour une toute simple compréhension de ce qui est lu nous tient en éveil, peuvent apparaître des moments de poésie, non par des mots poétiques, non, ce n’est pas cela, c’est plutôt par une ou de images construites au sein d’un même bloc qui offrent au lecteur un moment de poésie, une évocation poétique… Cette façon de faire provoque le lecteur, le force à réagir, à donner du sens à cette débauche hétérogène de mots mis ici comme par erreur. L’inattendu est à chaque phrase !
« Malgré l’odeur de la soie plissée. Et le liquide la saupoudre jusqu’à la duplique, jusqu’à la subdivision, jusqu’à cette enfance qu’il lui faudra maturer. »
ou encore :
« Tu crispes ta hanche à tes derniers atours. Le désert à ton siècle et la tempe aux préposés. Le menton filandreux et l’olfactif de la divine. »
Le sens nous échappe, on croit le saisir et il ne cesse de fuir. Le questionnement est récurrent :Dirions-nous que le ciel se cisèle ?Dès les nervures ? Parsèmeras-tu encore  l’enfance ?Etait-ce seulement un Edit ? De Nantes ou d’ailleurs ? Ce qui permet à l’auteur de relancer un discours qui lui est propre. 
Ce livre est si étrange qu’il est difficile à quitter ; sans cesse on le reprend, on l’ouvre au hasard des pages, on lit ou relit un passage, on est de nouveau interloqué, on ne sait quoi penser… On voudrait comprendre, avoir la clé qui permettrait de mieux saisir la pensée de l’auteur…
L’abondance du vocabulaire, la diversité des images, la force des expressions frappent dès l’abord. Une maîtrise parfaite d’une technique bien rodée, créée par l’auteur, subjugue le lecteur, le déconcerte, le rend accroc, comme dépendant à cette littérature-là.
Si vous voulez sortir des chemins battus et rebattus d’une certaine poésie ; subir le choc de mots inattendus ; perdre son chemin dans un foisonnement incessant d’images surprenantes, alors, lisez ce livre, il ne vous quittera plus pour un long temps.

(Dans toutes les bonnes librairies au prix de 10 €.)



Michel Ostertag
pour Francopolis
janvier 2007 

 

 

Créé le 1 mars 2002

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