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Dialogues avec l'arbre dans
Aux arbres penchés,

d'Emeric de Monteynard

Lecture croisée de Cécile Guivarch et Nathalie Cousin

Après la tempête de décembre, je me souviens d’avoir vu deux ou trois arbres, au moins centenaires, clairement déracinés. On sentait bien qu’ils avaient dû se faire surprendre par la violence de la chose, qu’ils avaient dû s’agripper les uns aux autres, un peu n’importe comment, de telle sorte qu’ils s’étaient retrouvés ainsi de travers, effrayants, liés contre nature. Je me souviens aussi sous l’amas, d’un petit panneau métallique d’à peine deux ou trois mètres, encore intact et planté, que je n’avais jamais remarqué auparavant, ni ici ni ailleurs : « Danger ! Arbres penchés ». J’ai aussitôt eu envie de crier du dedans, de dédier un recueil, quelque chose, un hommage, à ces arbres penchés longtemps debout ou d’abord debout. (Préface par Emeric de Monteynard)

Au marché de la poésie en juin dernier, j’ai rencontré Emeric de Monteynard au stand de L’arbre à paroles. J’avais déjà eu de nombreux contacts écrits avec cet auteur dont j’apprécie l’œuvre et je ne voulais en aucun cas rater cette entrevue qui me promettait la joie de tenir entre les mains son nouveau né, Aux arbres penchés.

En ouvrant ce recueil, outre mon admiration devant le superbe travail d’illustration de Xavier, ma première surprise est le constat d’une écriture différente au regard des précédents ouvrages d’Emeric de Monteynard. Aux courts poèmes aux vers aérés, où les silences se poursuivaient en tentant de dissimuler l’émotion du poète, se succèdent de courts poèmes de quelques lignes, non versifiés. Emeric de Monteynard s’adresse dans cet ouvrage à tous les arbres, qui ne sont souvent pas nommés, toutefois un chêne pointe son nez en page 43. Il nous faut toutefois attendre le dernier poème pour se mettre à l’ombre des ormes, du sycomore, des pins du midi, des tilleuls, du marronnier, des bambous, du pommier, du séquoia, de l’olivier, du merisier ou du platane

Cet ensemble de textes nous mène sur le chemin de l’observation quotidienne de l’arbre. Dès les premières lignes, le poète nous met en garde, disant qu’il ne peut être un arbre. Par une série de questionnements, Emeric de Monteynard nous amène à réfléchir sur la condition de l’arbre. L’arbre parfois humanisé ou l’homme qui aimerait s’y fondre, devenir arbre pour apprendre à résister, à exister, à traverser le temps. « peut être aurais-je dû t’imiter » Pourtant au fil des poèmes, l’arbre touche de près l’homme, jusqu’à presque se confondre, mais gardant toujours une certaine distance. Ils ont des points communs au prime abord mais très vite, le poète se rend à l’évidence qu’ils sont différents de par leurs préoccupations, leurs besoins, leur façon d’être, leur conception de la vie et de la mort. Par exemple, Emeric de Monteynard relève à plusieurs reprises que l’arbre en fixant la lumière a pour principale ambition d’aller toujours vers le haut, de regarder devant, l’avenir. L’homme, le poète, tente de l’imiter « comme toi, je m’efforce de maintenir en moi la lumière ». Mais est-ce qu’il y parvient vraiment ? Il est à observer une grande admiration du poète pour l’arbre « Tu sais nommer ce que tu soustrais, compter les étoiles – en plein jour… et tu sais mesurer l’infini, à l’infini des chemins. » L’arbre est un modèle, représente la puissance, la supériorité sur l’homme, jusque dans le fait de ne pas avoir besoin d’écrire, de parler pour se défendre, s’exprimer et peut être d’aimer et de se faire aimer. Le bonheur de l’arbre dépend finalement de peu de choses et n’est pas matériel.

Un arbre ne s'adonne qu'à une chose, une seule, peut-être essentielle : fixer la lumière.

Parfois, le lecteur ne sait plus vraiment où se situent la frontière entre l’homme et l’arbre, cette confusion est amenée par l’emploi du « nous ». Mais cela se contredit par le fait que la plupart du temps l’emploi du « tu » ou du « il » pose une séparation entre eux. Règne un perpétuel balancement entre l’imprécision entre les deux êtres et l’impossibilité pour l’homme d’être assimilé à l’arbre. Tout cela est renforcé par l’emploi fréquent des mots en italique, le questionnement et une relation étroite entre l’homme et l’arbre capables de dialoguer entre eux. Un exemple de cette imprécision où le confusion entre « moi », « lui », « toi » :

« Je porte en moi, en lui, l’ivresse et la sève – le transport de la terre.
En toi. »

Emeric de Monteynard rend compte également de la vie, du temps qui passe, de la naissance à la mort dont l’arbre à l’inverse de l’homme ne se soucie pas de la même façon. L’arbre a pour atout d’être capable d’ « user le temps » On recense également les tracas de la vie, les angoisses, que l’homme tout comme l’arbre se doivent d’affronter. L’arbre vit sans se soucier du regard des autres, de leur manière de vivre, de la mort.

À manquer de racines, faner nous fait peur. Ou ça peut. Il voit bien que ça pèse.

Aussi devant nous, ne parle-t-il jamais de ses racines, ou dit radicelles ou « ses vieux » – ceux qui veillent, ou rhizomes ou du grec, précisant chevelus… pour faire savant, décalé, faire sourire.

L’arbre représente la vie, une vie qui s’écoule des racines jusqu’à la sève et revient aux origines : « tu as su laisser la vie entrer en toi » Il a également une fonction charnelle tout en conservant à la fois certaine pudeur et une grande générosité. L’arbre à l’inverse de l’homme ne recherche pas la lutte, ni le sang, son rôle est avant tout de donner la vie, une fois qu’il est parvenu à exister.

« A peser autant sur lui-même, il a besoin d’apprendre à résister – d’abord à l’étouffement. A exister.

Mais il étend ses bras et nous les ouvre. Et les écarte. Pour nous – Comme si donner était sa chance à lui ! Comme si la vie pouvait aller – se poser – ailleurs et puis disparaître à jamais ! »

Enfin, Emeric de Monteynard, nous délivre un message. Celui du massacre des arbres par les hommes.

« Comme vous, j’ai entendu des arbres grincer, siffler, crier, fouetter l’air… avant de tomber. […]
En quoi l’homme serait plus fort et qu’aurait-il à gagner… à trop souvent renouveler cette épreuve ? »

Emeric de Monteynard achève son recueil par une citation de Lionel Ray qui conclue superbement avec le fait que les arbres représentent la vie.

« Beaucoup d’oiseaux sont nés ce matin.
Les arbres ont réussi »

Par Cécile Guivarch


« Qui d’autre que lui, aurait ainsi lier la terre
à ses cieux – intercéder peut-être ? »


Après Le petit homme qui brûlait[1] et quatre recueils de poèmes publiés chez Éclats d’encre[2] , voici « l’opus 6 », tant attendu, d’Émeric de Monteynard : Aux arbres penchés.

Comme un arbre qui pousse, j’ai pu en suivre un peu la croissance, depuis les premiers extraits publiés dans la revue prédestinée de L’Arbre à paroles (n° 116 avril-mai-juin 2002), jusqu’à la publication de l’ensemble aux mêmes éditions de L’Arbre à paroles, sorti juste pour le Marché de la poésie à Paris, en juin 2006. Avec les dessins de Xavier[3] .

Je me souviens qu’une fois Émeric de Monteynard m’avait dit à propos de ses arbres penchés : « ce ne sont pas (que) des arbres dont je parle dedans ! », phrase qui au début m’avait intriguée et déroutée. Au fur et à mesure que j’avançais, je m’interrogeais sur ce qu’il avait voulu dire, je prenais la mesure de la complexité des rapports de l’homme et de l’arbre, dans les deux dimensions, de leur similarité et de leur altérité, qui, de tous temps, ont fasciné les poètes et les écrivains[4] .

Avec Aux arbres penchés, il s’est agi pour moi d’une véritable initation. De nombreuses lectures, de ce recueil et d’autres en parallèle, m’ont été nécessaires pour, peut-être, espérer trouver un chemin en moi, dans l’infini des chemins que m’a ouvert Émeric de Monteynard. Il ne peut être question dans le cadre de cet article de rentrer dans le détail, mais seulement de poser quelques jalons que j’appellerais pour une lecture expérimentale ou encore exploratoire. Parmi plusieurs angles possibles et après avoir longtemps tâtonné, j’ai choisi le thème des dialogues avec l’arbre par analogie avec les Dialogues avec l’ange de Gitta Mallasz[5] . J’entends le mot dialogues dans un sens large, de contacts, d’échanges et de relations, non limités à la parole.

Cécile Guivarch a constaté comme moi que le recueil paraissait à première vue différent des autres : une suite de soixante courts poèmes en prose à l’écriture le plus souvent horizontale. Toutefois sans renoncer pour autant complètement à la verticalité, d’ailleurs les premières versions des Arbres penchés étaient encore dans ce style. Les poèmes, de longueur très variable, de deux ou trois lignes peuvent atteindre une quinzaine et même une trentaine pour le plus long.

Pour un poète du silence comme Émeric de Monteynard, cette abondance inattendue - tout en gardant les qualités de concision et de densité qui ont toujours été les siennes - m’a frappée. C’est presque pour lui un long discours ! De même j’ai noté la fréquence inhabituelle des points d’exclamation (plus de trente) par rapport aux autres recueils : comme s’il était devenu impossible au poète de maîtriser davantage son émotion, et que tout à coup, il se mette à s’exclamer, à répéter certains mots, expressions, phrases, ou à les prononcer avec insistance (nombreux italiques). Ce changement pourrait s’expliquer (au moins en partie) par cette envie folle de crier… du dedans, comme il le dit dans l’introduction, et de dédier ce recueil aux arbres penchés, déracinés par la tempête de 1999.

Le titre Aux arbres penchés est suivi d’une seconde dédicace : À ceux qui riaient face au vent, expression reprise dans le premier poème[6] (p. 12) : « N’allez pas croire ce qu’on vous lit… ou que j’ai pu rire autant face au vent, être un arbre ». Qui parle ici ? L’arbre ? Le poète s’identifiant à l’arbre ou parlant à sa place ? et à qui s’adresse celui qui parle en ces paroles énigmatiques : « à vous boire, je souriais » ? D’emblée, ces questions soulèvent le problème de l’ambiguïté constante de l’énonciation. Mais quoi qu’il en soit, un premier type de dialogue est ouvert, ici du « je » au « vous ».

Les cinq poèmes, suivants, très courts, sont plutôt des réflexions sur l’arbre en général à la 3e personne du singulier (« Un arbre », « il ») où apparaissent plusieurs éléments qui font partie de la thématique du poète, mis en relation directe avec l’arbre : la lumière, la pierre, le silence (tout de même encore bien présent), le temps.

Un deuxième type de dialogue commence à s’instaurer, ici entre l’arbre et la pierre ; il est avant tout sensoriel et passe d’abord par le regard : « Mais il sait aussi donner du temps et regarder la pierre[7] . » (p. 14).

Le premier dialogue entre l’homme et l’arbre vient ensuite. Le verbe « explorer » connote l’idée d’un voyage dans un pays lointain ou inconnu que l’on découvrirait peu à peu. : « Un arbre, ça s’explore » avec lenteur et douceur, à la fois « à mi-voix… mais avec les mains » : l’homme conjugue sensorialité (ouïe / toucher) et sensualité - toutes deux essentielles chez Émeric de Monteynard – renforcée par la comparaison avec les femmes : « comme il s’est fait – des siècles, des femmes… durant. » (p. 17).

Plus loin, le poète invitera à tous les hommes à écouter : « C’est charnel un arbre : il suffit d’entendre, écouter monter sa sève – écoutez !…. » (p. 44) et à toucher :
« Osez !
Touchez-le !
Pour votre main – d’abord
Et la former à la douceur »
(p. 34)

Le dessin en regard du poème cité plus haut (p. 16-17) suggère un arbre aux formes féminines, douces et arrondies. Il devient possible d’y lire une forme de réponse de l’arbre à l’homme. Comme si, par le truchement de sa main, Xavier, l’auteur des dessins, se faisait l’interprète des arbres d’Émeric de Monteynard[8] .

Ainsi un nouveau type de dialogue se fait jour entre l’arbre et l’homme par les textes et les dessins. Plus généralement, dans Aux arbres penchés, même si les dessins n’ont pas été réalisés au départ pour accompagner spécifiquement tel ou tel poème, le choix de mise en page finalement adoptée pour les dessins et les poèmes, met en évidence des correspondances remarquables entre les deux arts et les deux artistes.

L’écriture précise et concise du poète, sa façon de dire toujours l’essentiel, son choix de parler de l’arbre sans nommer d’espèce précise (sauf exceptions pour le chêne et tout à la fin), tout ceci s’accorde à merveille avec la sobriété et la stylisation des dessins en noir et blanc de Xavier.

Toutefois, il ne faudrait pas en déduire qu’il n’y ait qu’un type d’arbre, ou qu’ils soient tous représentés de la même façon. À côté des arbres aux formes rondes, aux allures plutôt féminines (voir aussi celui de la p. 36, mis en regard du beau poème sur l’arbre apprenant aux mères qui portent un enfant l’instant et la durée), il y a à l’inverse des dessins d’un grand dépouillement, mais tout aussi expressifs, d’un arbre à la silhouette noire longiligne, aux branches dénudées, à l’image de l’homme qui lui fait face (p. 58), le touche (p. 33) ou se tient à califourchon sur une de ses branches (p. 81). À noter qu’il s’agit encore ici d’un autre dialogue : celui de l’homme et de l’arbre dans le dessin lui-même.

Dans l’un des poèmes les plus émouvants du recueil où l’homme confie à l’arbre son secret le plus intime, « Tu sais donc ma folie et l’odeur des femmes – de celles que l’on serre. Aussi comment pourrais-je redouter, de l’une ou de l’autre, d’enceindre , un jour, nos vies ? [9]» (p. 25), le dessin qui y répond est ce même arbre semblant être enceint de l’homme.

Ainsi présentés, poèmes et dessins ne peuvent plus se concevoir l’un sans l’autre, ils dialoguent et se répondent entre eux comme on vient de le montrer.

Mais continuons notre lecture… Le dialogue peut aussi prendre la forme de paroles directement adressées à l’arbre. Le poète tutoie alors l’arbre, lui parle de plus en plus intimement, recherche les points communs qu’il pourrait avoir avec lui, comme on fait avec un ami pour se connaître mieux : « Comme toi, je m’essaye… je m’efforce de maintenir en moi la lumière » (p. 19), ou bien il reconnaît au contraire à l’arbre, avec une certaine envie, des savoirs ou des pouvoirs que lui, homme, ne possède manifestement pas : « Tu sais compter les étoiles – en plein jour… et tu sais mesurer l’infini, à l’infini des chemins » (p. 21).

Le poète pose aussi beaucoup de questions à l’arbre, mais parfois, on ne sait plus, encore une fois, si c’est l’arbre ou l’homme qui parle, notamment quand il(s) di(sen)t « nous » : « Comment nous taire enfin… nous faire silencieux (…)? » (p. 23) Ici apparaîtrait peut-être plus clairement le point d’identification où l’on pourrait véritablement parler d’ « homme-arbre »[10].

Dans les dessins de Xavier, je vois un des portraits de l’homme-arbre p. 87 : la tête de profil avec l’œil, le nez, le menton, un chapeau-feuillage, des bras-branches et des mains-feuilles, un tronc, un ventre et des jambes-bas du tronc et racines.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur l’homme-arbre, si l’on accepte cette terminologie, et sur les autres rapports de l’homme et de l’arbre dans Aux arbres penchés, autant dans leurs ressemblances ou analogies que dans leurs différences (physiques, psychologiques…) etc. que je ne détaille pas ici, laissant le lecteur les découvrir par lui-même. Ils sont si riches qu’ils auraient pu faire l’objet d’un autre article[11] . Toujours en relation avec les dessins si « parlants » de Xavier, je mentionnerais les étonnants arbres-hommes qui marchent (p. 68-69).

Grâce à la notion d’homme-arbre, certains mots peuvent devenir complètement interchangeables comme dans cet autre dialogue en style indirect qui met en scène l’arbre (=homme) et les dryades[12] (=femmes)

« À quoi bon laisser des traces… quand tout
est accompli ? »

disait-il aux dryades [femmes ?].

« À quoi bon ?»

Il sait très bien, qu’elles rêvent de lui, de l’habiter, d’écrire… et d’infinis. Il le sait. »

Mais que voulez-vous, un arbre [homme ?], ça peut parfois se la raconter, et même y croire. Ça peut vouloir faire sage. Ça peut être épuisé, timide, avoir froid… » (p. 63)

Il y a bien d’autres traces de dialogues poétiques de l’arbre[13] avec ce qui l’entoure , ceux du vent et de la racine (p. 35), des oiseaux de l’étoile et de l’arbre (p. 60-61), jusqu’au « chant du vent qui danse avec lui » (p. 33)…

À lire et relire Aux arbres penchés, j’y ai senti autant des poèmes que des méditations[14] profondes sur la vie, la mort, l’amour, l’amitié, le temps, la solitude... Cette dimension spirituelle reste en effet très présente chez Émeric de Monteynard et est souvent mêlée de sensualité.

Ainsi, lorsque l’arbre est comparé à un derviche (– la robe en corolle, en corymbe) :
« …Dans ta chair, ma chair, tes liens, mes liens,
du coup s’embrouillent, s’imbriquent et se nouent
au Sacré
-à l’instant. »
(p. 51)

Je pense en particulier à une photo de Reza représentant « la danse du monde » par un derviche d’Istanbul (Turquie, École de Molâna) ; je relie ces images au poème initial des arbres penchés : « et faire ainsi danser la magie des mondes qui m’habitaient… » (p. 12)

Témoigne aussi de cette spiritualité le dernier dialogue de l’homme et de l’arbre, où ce dernier est comparé à un ange dans une ultime interrogation : « Serais-tu comme un ange, gardien de la terre, quelqu’un qui se tait, qui sait, qui porte[15} … ? » (p. 94)


Edward Burne-Jones, L’échelle de paradis[16] .

Conclusion :

Aux arbres penchés m’a permis de découvrir beaucoup d’autres poèmes et poètes sur les arbres notamment Des poètes et des arbres : promenade anthologique d’Eryck de Rubercy [17], Le Tracé des Sèves de Jeannine Dion-Guérin, Arbres de Jacques Prévert, Éloge de l’arbre de François Solesmes qui dit :

« …Celui qui aime l’Arbre, qui s’est longtemps pénétré de son dessein, de son ordonnance et s’il se peut de ses vertus, sent bien qu’il y aurait profit à l’écouter en chacune de ses variations ; qu’un éloge de l’Arbre devrait se prolonger par des louanges particulières qui rendissent pleine justice à son invention en fait de port, de fût, d’écorce, de ramure, de limbe, de pièces florales et de fruit ; en fait de sous-étage et d’ombre[18] . »

N’est-ce pas ce que fait Émeric de Monteynard saluant à la fin, comme dans une pièce de théâtre les acteurs, douze espèces d’arbres pour leurs qualités intrinsèques respectives ? « Dans l’ombre des ormes ou du sycomore, des pins du Midi ou des tilleuls d’antan… » (p. 95)

Mes propres dialogues avec l’arbre m’ont entraînée à aller toujours plus loin, dans des lectures et des interprétations de plus en plus personnelles, trop peut-être ?… Ainsi, parmi les arbres du recueil des Arbres penchés, celui qui « voue sa vie à ceux qui cherchent »… « ceux qui voient partout des sanctuaires à secrets ! » (p. 55) est celui que j’aurais aimé… épouser… si j’avais été une dryade[19] !

Ne pourrais-je m’identifier à elle, m’incarner en elle … par le rêve, l’imaginaire, la métamorphose, la poésie, que sais-je ? ou par un exercice de méditation similaire à celui qui « consiste à s’identifier à une pierre, puis à une plante, un arbre, ensuite à un animal et enfin un humain[20] » ? Alors, pourquoi ne pas être une dryade ?

La dernière semaine des vacances cet été, j’étais dans le Pays de Caux, par hasard à quelques kilomètres d’Allouville-Bellefosse, où se trouve un vénérable chêne millénaire, d’autant plus vénérable qu’il abrite une chapelle dédiée « à Notre Dame de la Paix érigée par Mr l’abbé du détroit curé d’Allouville en 1696 ».

L’arbre, remis en valeur, consolidé à l’aide de charpentes métalliques, greffé de plus jeunes rameaux, est le fleuron des arbres de la région. Le plus extraordinaire est que l’on peut entrer à l’intérieur du tronc pour voir la statue de Notre Dame et dans la chapelle supérieure un crucifix.

J’ai pensé à nouveau Aux arbres penchés et au sanctuaire à secrets. À Allouville, on peut toujours, non seulement se mettre sous, mais dans un arbre, « on y est bien. »

Au terme de cet article, je voudrais remercier :

- Cécile Guivarch pour m’avoir si gentiment proposé de « croiser nos deux notes »,
- mes parents, ma famille,
- mes amis et en particulier Jeannine Dion-Guérin,
- Eryck de Rubercy pour sa belle promenade anthologique.
- mes amis arbres dont : l’abricotier, le thuya et le pin de mon jardin, l’arbre penché d’Espalion, les marronniers d’Inde, le ptérocarya du Causase, le chicot du Canada, le séquoia géant de Californie et tous les arbres qui ornent le Jardin du Luxembourg, les châtaigniers centenaires de Montmorency, et, avec une intention particulière, le chêne millénaire d’Alouville…
-Merci surtout à Émeric de Monteynard, mon seul Orphée depuis quatre années…

Par Nathalie Cousin.

Dessins de feuilles de Xavier : cf. Aux arbres penchés, p. 62. Homme-arbre p. 87.
Photos : L’arbre millénaire d’Allouville-Bellefosse (76). (N. Cousin, août 2006.)
[1]Ed. du Laquet, 2001, 124 p.
[2]Aimer le dire, Concéder l’or et le bleu, Dans ce tremblé des dires, Toucher les doigts du sourcier.
[3] Xavier Vilató Lascaux. Voir la notice bio-bibliographique dans Aux Arbres penchés, p. 101. Voir aussi : Xavier : Paso a paso : 1975-2005, julio-septiembre 2005, Malaga, Fundación Picasso, 2005, 183 p.
[4]Robert Dumas, Traité de l’arbre : essai d’une philosophie occidentale, Actes Sud, 2002, 254 p. Voir en particulier les chapitres I (« l’arbre symbolique ») et II (« L’arbre de paroles »).
[5]Edition intégrale, trad. du hongrois par Gitta Mallasz, nouv. version revue par Dominique Raoul-Duval, Aubier, 1994, 396 p.
[6]L’expression « rire face au vent » se trouvait déjà dans Le petit homme qui brûlait : « Faut-il te l’écrire ou te le dire, mon amour, le murmurer ou le crier, les yeux dans le cœur ou l’âme à rire aux éclats face au vent (…) » (lettre dix-huit, p. 47 ). Toucher les doigts du sourcier s’ouvrait également par un rire : « J’ai froissé du rire dans tes mains ».
[7]Cf. « Donne à ton tour / Du temps à la pierre » (Si elle se tait, To)
[8]Jacques Prévert avait eu la même idée dans son recueil de poèmes précisément intitulé Arbres accompagné de gravures d’arbres de Georges Ribemont-Dessaignes (Paris, Gallimard, 1976, rééd. 2004, 69 p.). Il dit : « peut-être sans le savoir Georges Ribemont-Dessaignes dans ses dessins est quelque part leur interprète » Pour donner un autre exemple, Le tracé des sèves de Jeannine Dion-Guérin, (Soisy-sur-Seine, Éditinter, 2003, 69 p.) contient des « illustrations de l’auteur inspirées de Vincent Van Gogh ».
[9]Mot rare pris dans ce sens (rendre enceint(e)). J’en ai trouvé un exemple en poésie sur le site http://vitriol.over-blog.com/article-1548716.html (publié par Triplex Nomine) « enceindre reine en dire de ce cri : ci commence le chant dédié à son corps ».
[10]Cf. Robert Dumas, op. cit.
[11]Je renvoie à celui de Cécile Guivarch.
[12]]Nymphes des bois et des forêts, des chênes en particulier (dryades vient de drus, chêne en grec). Eurydice par exemple était une dryade. Cf. http://fr.wilipedia.org/wiki/Dryades»
[13]Ou de l’homme-arbre, ou de l’arbre parlant par la bouche du poète ? Cf. Dialogues avec l’ange de Gitta Mallasz quand l’ange va s’exprimer par la bouche d’Hanna et que celle-ci prévient : « Attention, ce n’est plus moi qui parle ! » (p. 23) ?
[14]Sur ce sujet, j’ai lu en particulier l’article de Vincent Roger, « Henry Vaughan et la poésie de la méditation » dans La prière de l’écrivain, sous la dir. d’Emmanuel Godo, actes du colloque de l’Université de Lille, Paris, Imago, p. 59-80. Vincent Roger montre comment le poète anglais applique la méthode ignacienne de la méditation en trois phases, préparation, méditation, colloque. J’ai pu y voir des éléments intéressants relatifs à ma lecture d’Aux arbres penchés.
[15]L’ange apparaît aussi p. 47, un dessin de Xavier en regard… En parallèle avec le thème de l’ange : voir notamment Gitta Mallasz, Dialogues avec l’ange, op. cit., Andrei Plesu, Actualité des anges, Buchet Chastel, 2005, 269 p.
[16]Source : Edward Burnes-Jones, Le livre des fleurs, Taschen, cop. 1994, 95 p.
[17]Paris, La Différence, 2005, 494 p.
[18]François Solesmes, Éloge de l’arbre, Encre marine, 1995, 189 p.
[19]Cf. « Je ne retiens rien des hommes, mais j’épouse les arbres, dont tu n’es pas jaloux. » « C’était aux arbres qu’allait ma préférence, aux arbres qui te ressemblent, dont mes deux bras faisaient le tour », (Mireille Sorgue, L’Amant, Albin Michel, Le livre de poche, cop. 1985, p. 110, 59).
[20]Cf. Paule Salomon, « La présence douce », dans Éric Le Nouvel, Dir., L’art de vivre au présent, Albin Michel, « Espaces libres », 2001, p. 35. Voir aussi dans le même ouvrage : « Deviens le coquelicot : présences réelles, inaccessibles et incarnées : rencontre avec Jean-Yves Leloup », p. 180-207.


Emeric de Monteynard, des poèmes dans la bibliothèque de Francopolis
Une fiche d’auteur sur le site Terre à ciel
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Des extraits sur Pleutil

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Cécile Guivarch
Nathalie Cousin
Pour Francopolis
Octobre 2006


Créé le 1 mars 2002

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