Une escale à la rubrique "Coup de
cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur
Nous redonnons vie ici aux textes qui nous ont
séduits,
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.
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Poèmes « Coup de
Cœur » des membres du Comité
Printemps 2025
Jean Pichet, choix Dominique Zinenberg
Christophe Pineau-Thierry,
choix
Éliette Vialle
Patrick Quillier, choix François Minod
Gérard Macé, choix
Mireille Diaz-Florian
Daniel Rivel, choix Dana
Shishmanian
Catherine
Bruneau, choix Éric Chassefière
choix Dominique Zinenberg :Jean
Pichet Voix Je ne sais pas au juste vers où je
marche. Je ne sais vers qui, vers quoi, ni
pourquoi. En tout cas, je ne
fais pas de bruit. Ou si peu. On dirait que quelqu’un m’appelle. Sa voix ressemble à la mienne, quand je me
tais. Est-ce le chemin qui parle tout seul,
comme les chemins où ne
passe plus personne. Ou bien ces grands arbres que l’on
abattra tôt ou tard, comme si
c’était naturel. Des fleurs secrètes – presque des larmes – à peine
ouvertes meurent ;
finissent ici,
finissent là ; partent comme un
envol de
petits soleils pâles. Vivent toujours ? Extrait
de Ici infiniment, Éd. Illador 2024 |
choix Éliette Vialle :Christophe
Pineau-Thierry dans la blancheur d’un été et le neuf du couchant quand la lumière de l’âme devient l’unique flambeau attendons le signe de l’aube et la simplicité de nos mots * avec tes yeux pour hiver et le ciel t’obligeant face aux cailloux de l’intime nos frontières finissantes sur les nuits de l’océan le décompte du temps * l’image blanche du bonheur avec une pluie qui enveloppe la naissance d’un visage lumière d’une neige qui danse les connaissances du vivant l’air vif qui enserre ses bras * les monts et nos sursis avec l’étoile oubliée cette lampe des jours passés l’oiseau comme étendard quand l’aube de tes rêves aveugle le temps * le réveil de nos pierres et les corps maritimes nager parmi les pages dans l’épaisseur de nos rôles avec le rien des routines je traverse la hâte des cœurs * le passage de nos mots dans ce repli de nuages n’est que jardin de pierres heureux sera l’homme dans l’aube du couchant avec nos cœurs pour étoiles Extraits de Sentier débutant, PhB éditions, 2024 |
choix François Minod :
Patrick Quiller Contre le vivant ogre du vivant (extrait,
inédit) « Mais fore donc, mec, fore,
fore, fore ! » Quand nous
luttons contre le vivant ogre Du vivant,
en nos cœurs vit Beowulf. Cela arrive
dans les moments où Il nous
échoit de neutraliser Les incommensurables
appétits Des
créatures jamais rassasiées D’une
anthropophagie, universelle, Nul lieu du
monde ne leur échappant : Le veau d’or
s’est définitivement Métamorphosé
en hydre innombrable ; On vient ici
à bout d’une de ses Têtes, là
plusieurs autres se redressent. Nous pensons
alors au héros des Gètes Lorsqu’il
affronte le monstre Grendel. Nous sommes
tous lourdauds et maladroits Tel qu’il
l’avait été dans sa jeunesse. Mais comme
lui, la loyauté à nos Principes
généreux et fraternels En faveur de
l’éventail bien ouvert Du vivant,
nous guide et nous rend plus forts. C’est du
cœur des ténèbres que les monstres Anthropophages
lancent leurs ravages. Tout à coup
les radiations de leurs propres Fêlures les
fait refléter leurs faits Et gestes,
leurs forfaitures plutôt, Leurs
crimes, pour tout dire leur horreur. Il s’agit
d’être ferme face à eux. Beowulf en
son temps n’a pas failli. En plein
obscurantisme il a jailli, A entraîné
l’ogre et sa mère au fond D’un lac que
les anciens avaient nommé Bassin des
Commandements de l’Éthique, Et là, la
mère et l’ogre et tous les leurs Furent
saisis et soudain s’écroulèrent, Une
invisible voix les foudroyant Tandis que
Beowulf les immergeait. Fort de sa
victoire sur la violence Beowulf nous
soutient dans notre lutte Quand nous
défendons l’ensemble des droits De
l’humanité dans sa dignité. Professeur
émérite de littérature comparée, Patrick Quillier est poète, essayiste,
traducteur, compositeur. Traducteur et
éditeur d’une anthologie de Fernando Pessoa à la bibliothèque de la Pléiade,
il a organisé plusieurs colloques sur l’auteur réunionnais Auguste
Lacaussade. Il
est l’auteur, entre autres, de Voix éclatées (de 14 à 18), Editions
Fédérop, 2018 qui a obtenu le prix Kowalski de la ville de Lyon. Son dernier
ouvrage D’une seule vague (chant des chants I) a été publié aux
Editions La rumeur libre en 2023. |
choix Mireille Diaz-Florian :Gérard
Macé J’aime à
partager avec vous ces textes extraits du recueil Silhouette parlante de Jean Macé. Gérard Macé est né à Paris en
1946. Il est poète, essayiste, critique, traducteur et photographe. Après
avoir lu : Kyoto un monde qui
ressemble au monde, j’ai choisi ce recueil publié en décembre 2024 aux
éditions Gallimard. Silhouette parlante Je n’écris plus, mais je guette le moment propice, dans une atmosphère mentale
à la merci des sautes d’humeur et des coups de
vent. Je fais des nœuds à des cordelettes, qui me servent d’aide-mémoire
et d’alphabet. Je jette un filet sur les choses, pour les protéger de l’orage et du
néant. J’amortis les choses avec le réel. Je compare, et j’allume des lampes dans le grand bal des métaphores. Je finis par noter des phrases que je sais par cœur, pour passer aux
suivantes. * En forêt les proportions sont
changées, c’est pourquoi on trouve des
nains, des géants, ainsi que des empreintes qui n’ont pas la
taille des pas humains. Et par un grand écart que permet
la poésie, je passe des chênes en
Île-de-France aux séquoias d’Amérique, de mes propres souvenirs à ceux
des Indiens dans la plaine. Des animaux qu’on enferme aux
animaux sauvages. Plus loin encore, sortie du
maquis des histoires, du buisson des contes
apparaît la renarde, qui chaparde et se métamorphose en femme. C’est au Japon
qu’on la rencontre, et c’est à cause d’elle que les greniers sont construits
sur pilotis. Quand on honore la nourriture on
rend hommage aux dieux, qui changent d’apparence et qu’on a tant de mal à
reconnaître. * De notre vie avant la naissance,
dans un lac plus ou moins tranquille où nous
étions rattachés à la rive maternelle par un cordon, comme les
plongeurs, nous n’avons pas de souvenirs mais nous les inventons. La littérature est née de la
mer, comme Aphrodite. Comme Ulysse cherchant une île
au trésor, ou repartant avec Nemo pour une
nouvelle odyssée. Comme les histoires de pirates qui nous faisaient si peur
autrefois. Comme le vaisseau fantôme, comme la nef des fous
qui croiserait le bateau ivre. Est-ce pour renouer avec ces
vieux récits qu’on remet des voiles aux cargos,
qui pèsent des milliers de tonnes et transportent nos
marchandises autour de la terre ? Des voiles élégantes et immaculées,
comme si le monde pouvait être sans taches. * Longtemps, j’ai vécu en
compagnie d’un enfant
sauvage. Sorti de l’enfance comme on sort
de la forêt, il n’avait
pas besoin de parler. La pluie sur son visage lui
suffisait, sa main au
feu valait toutes les promesses. Aujourd’hui c’est un enfant
musicien qui
m’accompagne. Un enfant qui ne joue
d’aucun instrument, mais qui
écoute en silence une porte qui grince. |
choix Dana Shishmanian :
Daniel Rivel l’hiver s’éternise dans le ventre des hommes et noie le printemps dans le sang coulant sur les ruines le béton pulvérisé neige asphyxiante névé de gravats où s’égrènent des femmes et leur somme de vie en leur valise précaire l’hiver revient par à-coups et le temps se fige dans l’épouvante des tempêtes de sirènes de bombes de fer et de feu * le ciel s’effondre telle une ombre sinistre sur l’acier froid aux murs éventrés descendent des mères en couches parmi les bourrasques de neiges et les balles sifflantes elles serrent des nuages dans leurs bras pour construire des abris pour assourdir la guerre les eaux qui se déchirent m laissent éclater un cri aussi fragile qu’une éclaircie dans l’orage aussi primordial qu’un premier perce-neige Extraits de Solitudes des mondes rétrécis, suivi de Ukraine, mars 2022. Éditions
L’Harmattan (collection Accent tonique), janvier 2025 (pp. 58-59). |
choix Éric Chassefiere :AVENTURE J’irai
chasser sur vos terres Voulez-vous ? Regardez
ma douce ignorance De
tout ce devenir La nature
s’enfouit dans l’ombre de l’automne Les
oiseaux s’égaient dans le lointain Leurs
cris se perdent dans les nuées sans fond La mer
arrache rocs et troncs Les
vagues crachent leur violence dans les vapeurs de l’écume Caressent
innocemment le pied de l’enfant Qui
les provoque par jeu Savoir
qui l’emportera Sur
vos terres, on ne sait pas Peut-on
se mesurer là-bas aux forces Vives
de la nature Dites-moi BATTEMENTS
ET CHUCHOTEMENTS La
pierre a chuchoté Elle
en est sûre Aux premières
lueurs de l’aube Un
murmure a percé le cœur de la pierre Une
pierre ni petite ni monumentale Juste
une pierre de celles dont on faisait les murs Il y a
bien longtemps Au
temps des pères et de leurs pères Ou
bien serait-ce eux les ancêtres disparus Qui
voulaient enfin libérer les mots De
leurs gorges entravées Pendant
de longues années Paroles
arrachées à leurs bouches desséchées Par la
lumière du jour Qui
montait doucement et caressait le mur En
effleurait les pierres Quelles
étaient ces paroles emmurées trop longtemps Murmurées
en silence Le
chat s’est arrêté, a dressé les oreilles Il les
a entendues Mais
il a passé son chemin Elle,
elle ne peut pas Il lui
faut accrocher son oreille au mur, pour ne perdre rien Du
bruissement des lèvres qui font vibrer la pierre Peur
ou ravissement, elle n’en sait trop rien Voudrait
se reprendre Mais
n’y peut mais La
pierre chuchote en son oreille Et le
cœur bondit Ses
battements répondent aux chuchotements Que
disent-ils Tous
ces bruits irrépressibles, chargés d’émotions étranges ? BOGUE
DE L’AMARYLLIS Elle
ferme ses mains en coque Sur la
bogue de l’Amaryllis Qui
attend, fermement dressé Caresse
la tige renflée par le bourgeon Qui se
retient de claquer Image
phallique bien sûr Quelle
sensation refoulée ? Pour
l’heure, le froid mord doigts et tige Il
faut attendre Les
plantes connaissent-elles des moments de jouissance Dans ces
sortes de paradis perdus Que
les hommes imaginent Elle
croit sentir une vibration Au
creux de sa main Pure
imagination Pourtant
elle ne renonce pas Poèmes
extraits du recueil Bords poétiques – Illuminations d’hiver à paraître
chez Rafaël de Surtis au printemps 2025. Catherine Bruneau a vécu et
travaillé à Paris avant de s’installer, récemment, à Frontignan - La Peyrade. Tout en continuant ses activités d’enseignant-chercheur en Mathématiques
appliquées aux Sciences Sociales, elle consacre une partie de son temps à la
peinture ; elle a aussi édité un roman et des recueils de poésie et de
voyages, imaginaires ou réels. Elle
contribue aux travaux de diffusion de la revue Encres Vives, en faisant notamment partie du comité de rédaction. |
Coups de cœur des membres :
Jean Pichet, choix Dominique Zinenberg
Christophe Pineau-Thierry,
choix
Éliette Vialle
Patrick Quillier, choix François Minod
Gérard Macé, choix
Mireille Diaz-Florian
Daniel Rivel, choix Dana
Shishmanian
Catherine
Bruneau, choix Éric Chassefière
Francopolis Printemps 2025
Créé le 1er mars
2002