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Pieds des Mots : Actu 2010

Omar M'habra par Ali Iken -  Khadija Mouhsine - Mohamed Loakira ... et plus

LES PIEDS DES MOTS
         Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu, un personnage, une rencontre...


septembre 2010

DIRE LE POÈME

par

Mohamed Loakira 


 Le poème ne se déclame, ni ne se récite. Il se dit.
C’est une confession qui s’emploie à intéresser une écoute, tant attentive qu’éparse. Le mot y est isolé, pris d’abord pour sa sonorité, sa musicalité, son rythme. Il compose avec l’oubli, avant de devenir détonateur enclenchant un flot d’émotion.

Le corps demeure l’élan et la destinée du poème.

Le dire du poème est un jeu éphémère.
Son immédiateté se manifeste par la portée et la coloration du grain de la voix régulée par le souffle, les hachements de la respiration, la gestuelle, l’esthétique du silence et l’accueil de l’espace.

Néanmoins, cet acte n’engage, en premier lieu, que le récitant, quand bien même la justesse de sa voix toucherait des territoires multisensoriels, jusque là négligés. Le récitant s’adresse à une écoute, loin d’être entière et continuellement attentive, elle est traversée, çà et là, par des fuites inattendues, vagabondage de l’instant ou par le refus épidermique de se laisser pénétrer par « le tiers secrètement inclus ».
C’est un acte d’effacement ou de démesure.

Car le poète est ailleurs.

Serait-ce alors un acte violent se substituant à l’étrangeté de l’absent, géniteur du poème, se voulant intermédiaire et faisant sien le récit du corps de l’autre, à partir d’une voix détachée de son origine, mettant en évidence un « je » accompli, mais usurpateur en présence de témoins, alors que le « il » est quelque part inachevé, impersonnel ?

Ce malentendu, inhérent aux artifices de transformer l’écrit en oral, aux performances du corps disant s’adressant à un corps imaginaire, à la disponibilité et à la perception de l’auditeur, aux paramètres forgeant la nature de l’instant, laisse sourdre, paradoxalement, la représentation d’une signification qui s’annonce en tant d’accueils et d’interprétations.

A l’arrivée, le mot surchargé existe autrement et régénère d’autres sens, subtils, inédits mais jamais définitifs.
De ce fait, la dimension devient, au moins, triangulaire.

Elle prend un angle dans la page ou dans la mémoire, un autre dans l’échelle sonore de la voix et un troisième dans l’oreille (ou l’œil) qui enfin reçoit après autorisation du système nerveux.

La diction s’exécute, se laisse entendre en usant du continu et du discontinu, reliés par le silence. Elle peut attirer l’acuité du regard vers un autre angle spatial, là où le corps disant est taillé, présence physique d’où s’égrènent des sons, des suggestions, des invites sournoises ou manifestes .

Simultanément, l’ouïe, le regard réceptionnent des mots, après avoir parcouru la distance de toutes les aventures puisque, entre temps, le sens risque de s’altérer, la sonorité n’être que dissonance, le bruit n’engendrer que pertes.
Ainsi, du silence à la parole, la magie du mot faisant corps avec la voix se couvre de tant de vies, tant de sens, tant de souvenirs, de rêveries, de subjectivités, tant de vêtures de liberté…

S’appropriant le semblant d’intimité d’un être absent, elle devient, par effraction tolérée, le monde à soi.
Et on y croit.

Dans l’écriture, quand le mot s’enfante, il peut être remis en cause. Heurt, Brisure. Dissonance. Ratures pour incompatibilité ou mal agencement avec l’avoisinant. Le noyau central est bien ancré quelque part, bien entouré de mystère et d’étonnement, dans la mémoire d’un vécu. Le corps à corps se pratique en aparté. Le mot y est graphiquement fixe, bien tracé, bien agencé dans un espace lisse. Il est en semi-éveil. Gonflé de sens dormants, il attend celui ou celle qui daignera interroger ses silences, à sa guise, selon son rythme, ses humeurs et caprices, selon ses aptitudes à lire l’à-peine-voilé, entre le noir et le blanc ; celui ou celle qui aura la latitude d’avoir recours à d’autres outils, de s’arrêter, brûler les étapes, revenir sur ses pas, de poursuivre ou quitter à jamais. La liberté est pleinement consommée, n’est conditionnée par aucune contingence, hors de soi.

Alors que dire le poème est une mise en condition, un acte prémédité dépendant d’un organe, d’une présence cérémoniale et d’une disponibilité, tant s’en faut aléatoire. Il s’agit de moments singuliers, bien délimités, ne laissant, après acte, que le souvenir de la vibration d’une voix, que des mots retenus plus que d’autres, que des réminiscences réhabilitées par des accents en italique ou en gras, des images frôlant, par inadvertance, la paroi des résistances.

De même, le poème dit ne tolère qu’exceptionnellement les ratures vocales.

Le mot est là.
Quand il est dit, il engage sa totalité sonore. Il ne peut revenir sur les mêmes traces, une fois hors escale, où le conduirait le dire. Il ne peut plus être récupéré, ni (re)ciselé, ni remodelé. A moins de le redire et ça sera un autre. Pareil à la respiration, il ne peut être inspiré, une fois expiré.

Le mot a une destination physique, un cap émotionnel, non balisé ni "boussolé " d’avance, qu’il espère toucher, pénétrer, influencer… De la qualité de l’accueil dépendra le déroulement de son trajet. Mais sans retour possible. Son impact est une sorte de conscience en dehors de soi, conditionné par la prestation du récitant, la qualité de la réception et les paramètres liés au temps et à l’espace.

Donc, ce que résout l’écriture en aparté, dans la verticalité, la diction ne peut le faire qu’au grand jour, à partir de l’ouverture par où s’introduit le mot et d’où jaillit l’aisance de transmettre des émotions, durant un temps imparti, à l’adresse d’un auditoire, tant physiquement repérable qu’indéfini.

C’est un acte temporel.

Il arrive que l’écoute soit distraite ou simplement séduite par d’autres images, d’autres intonations et souvenirs, au point que la voix du récitant ne constitue, au mieux, qu’un tissu léger, transparent, ne transmettant que des sons péniblement accueillis.

Il suffit d’un déclic,
pour que les sons deviennent inaudibles, que la voix frôle à peine l’oreille et que l’écoute émigre vers d’autres rivages aussi lointains qu’inattendus ; et voilà que l’attention bifurque, emprunte un autre chemin, laissant la voix errer entre bruits et pauses.

Pourtant, c’est l’intonation de la voix du récitant qui a réveillé l’attention de l’écoute, interpellé les sens, enclenché les sourds silences. La voilà contrariée par d’autres sonorisations, brouillage et d’autres images mentales, étant donné que l’écoute suit la voix, non là où celle-ci veut la conduire, mais nulle part ailleurs ; là où il serait possible de construire un nouveau lieu d’accueil momentané.

De ce fait, le récitant n’est que prétexte pour que l’écoute découvre l’intimité de sa propre voix intérieure et forge,
à l’occasion, le silence en soi d’où éclot un entre-plusieurs du même et de l’autre.



***
M.Mohamed Loakira vient de recevoir Le Prix du Grand Atlas du Maroc 2010 pour  son roman "L'inavouable."
présenté sur Francopolis par Khalil Rais.


Dire  le poème par Mohamed Loakira 
        pour Francopolis septembre 2010
recherche Ali Iken


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Créé le 1er mars 2002- rubriques 2010