Dès que je m'étends au sol, dans mon lit
ou sur les quais, dès que je me creuse une place dans le hamac
et que je ferme les yeux, l'écho de mes pensées entre en
mouvement. Cela ressemble souvent au ton d'une lettre amicale,
bienveillante. La vie est brusque et cette intimité rassure.
Souvent, je remonte de ces descentes avec un texte prêt à
s'écrire, mais je laisse flotter. J'aime ce temps de brume,
flou, imprécis, d'un monde sans lunettes, sans loupe, qui
s'ajuste et se précise en prenant son temps, en vivant dans les
actions d'une journée, en puisant dans le sommeil, la nuit, le
souffle.
Comprendre un poème ou une formule
mathématique relève de la même énigme.
Découvrir avec un radiologue une échographie procure la
même sensation que descendre au fond de soi avec, comme seul
instrument, l'intuition et l'intelligence de la poésie.
Ma toute première fois devant l'écran de
l'échographe, je me suis vue en plusieurs strates de gris. Un
vieux portrait. Aucune pathologie particulière.
J'ai dû, au cours de ma vie, subir une dizaine
d'échographies qui m'ont montré l'intérieur de mon
épaule, de mes genoux, de mes organes. Récemment, j'ai vu
la calcification autour d'un os. L'intérieur de mon corps
parsemé d'étoiles, de pépites. J'arrive là,
à ce paysage sans nom. Sans doute l'étape avant la
poussière, avec encore du temps devant.
Chaque fois, allongée ou assise, je tourne la
tête vers le moniteur et je regarde les images avec le
spécialiste. Je manifeste mon intérêt pour ces
nébuleuses, ces taches insolites parfois si rouges qu'on
croirait à des brûlures. Un cachet de cire. Entre une
image et moi, une grande émotion toujours se renouvelle. Mais
les échographies qui m'ont le plus chavirée ont
été celles de mes deux enfants.
Nous sommes très seuls dans notre corps et ce,
pratiquement toute notre vie. Mais, en 1989 et en 1996, j'ai
été deux.
Le premier contact avec mes bébés a
été d'entendre battre leur cœur. Puis, dans les deux cas,
par échographie, j'ai vu la tête, le dos, les pieds. J'ai
vu que j'étais habitée. Complètement. Que le
placenta était plus blanc que le reste. Lors d'un examen, mon
fils dormait dans mon ventre, puis il s'est éveillé,
transparent. Heureux rêveur en devenir, ai-je songé.
J'ai admiré la main et le bras de ma fille
dessinant un arc au-dessus de sa tête et, durant toute la
grossesse, j'ai pensé - avec raison - que je portais la
grâce. Ces premières images de mes enfants, je les vois
exactement comme je les décris.
Le mot échographie est chargé de sens.
D'où sa beauté. J'aime sa vitesse. Il se traduit ainsi:
écrit par l'écho. C'est presque définir
l'écriture que je pratique, que j'attends, comme si la voix
venait de très loin, du creux d'une vallée, du fond des
eaux, transportée par l'écho de rêveries
conscientes ou d'un monde oublié. Écriture que j'entends
et qui arrive par d'étranges couloirs secrets, tamisés
comme dans ces petites salles réservées aux
échographies. Même lumière feutrée que dans
les studios de radio. Voix qui surgit des livres, des objets, des
lieux, d'anciennes peurs ou à travers des tremblements neufs. En
résonance.
Avec l'échographie, on expérimente le
direct, le mouvement de sa propre vie. On sait si l'organe est en
santé, capricieux, paresseux ou malade. On sait s'il y a des
pierres. Une menace. Un danger. On apprend que sa douleur porte le nom
de capsulite. On sait si l'enfant est viable, s'il se développe
bien. Si c'est un garçon ou une fille qui bouge beaucoup. La
sonde effectue un balayage, prend des mesures, la sonde précise,
revient, ralentit, elle renforce l'émotion. Elle accompagne la
pensée, elle sait quoi voir, quoi chercher. Et, comme en
poésie, l'image apparaît.
Aller dans une zone d'écriture, c'est
écrire avec un crayon lumineux. La sonde explore la
matière et la rencontre du vivant a lieu.
Louise Warren
ref. Les prix
littéraires Radio-Canada (Québec)
**
Lire de la poésie c’est consentir à
être transformé, accepter l’obscur, veiller sur le monde
des choses, des objets, aussi bien que sur une lente respiration.
Accueillir une grâce, quitter le temps pour l’instant, rompre
avec sa langue, être en exil des habitudes que l’usage des mots a
créées en nous. Réapprendre à dire personne
dans la langue de Celan, de Pessoa, de Louise Dupré ou de Paul
Chanel Malenfant ne crée par le même contact, la
même touche. Dans la chair du mot, il y a l’histoire, l’origine,
l’émotion que le poète lui accorde, que le poème
consent à lui donner.
Si je dis
personne, je dis plus vaste que l’abîme, je m’approche plus
près de l’épreuve de solitude, plus près de
l’absence. Quand j’écris personne, je ne suis ni à parler
ni à appeler, je suis à accueillir, à faire de ce
mot en apparence vide de corps une présence prête à
me soutenir dans cette épreuve... (Extrait)
Bleu
de
Delft. Archives de solitude, essai, Trait d’union,
coll. Spirale
***
Je suis souvent debout, face à ma
bibliothèque, en quête d'une révélation ou
d'une apparition. Comme devant un paysage, je médite en laissant
mon regard parcourir les lignes horizontales des tablettes, verticales
des livres. Rangées de voix, de spectateurs, balcons
étagés : ma bibliothèque est un
théâtre... (extrait)
Attachements,
Observation d'une bibliothèque 2010,
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POÉSIE
La
poésie est un art du langage, une façon de «
sculpter » les phrases et les mots pour leur faire dire plus
qu'ils ne disent habituellement. Par la richesse des images
poétiques, l'artiste donne à voir sa propre vision du
monde.
Art
d’évoquer et suggérer les sensations, les
impressions, les émotions les plus vives par l’union intense des
sons des rythmes, des harmonies.
POÈMES
de Louise Warren
«
Couché
dans la neige, devant
la porte, son corps: noué de la tête
à la ceinture, dans son poing
fermé un bout de papier
récepteur de son silence »
(tiré du
recueil, Madeleine de janvier à septembre)
**
Un carnet
aux lignes pâles
un lac où je me retire
cette porte de lumière bleue
cette porte de neige
toute cette paix entrée en moi
qui reste jusqu'a la nuit
écrire pour donner un langage
à la lumière.
(tiré du recueil, Soleil comme un oracle)
***
Une
embarcation passe passe dans le
miroir disparaît
l'eau n'est plus la même
moi non plus
*
sensation de chaleur à regarder certains objets
un souvenir s'approche au ralenti tressaille et meurt
des crayons dans toutes les pièces une
journée
(tiré de son dernier recueil : Voir venir la patience
)
|
***
*****
Essai et Poésie : Louise Warren
Son site (Louise
Warren, poète et essayiste, née à Montréal
(Québec, Canada)
Engagée dans
l'écriture depuis 1984, elle a publié seize recueils de
poésie et de nombreux essais portant sur l’expérience de
la création et de l’œuvre d’art et elle a participé
à de nombreux événements internationaux, en
Europe, en Amérique du Sud, en Nouvelle-Zélande et au
Japon...
L'île,
l'infocentre littéraire des écrivains
québécois
Article dans La Presse
« Le
lac c'est comme si je nageais dans ma conscience. C'est toujours en
mouvement. Ceci dit, je suis aussi à l'aise à Paris que
chez moi, mais à la campagne, je suis moins distraite. Il n'y a
rien d'autre à faire qu'écrire.» réf. Nommer
les sensations, Mario Cloutier, La Presse.
Wikipedia,
une ébauche concernant une femme de lettres.
Voir,
Louise Warren, Au fil des pages
Revue Nunc,
"Nous, paroles inquiètes"
Terre de femmes,
Louise Warren, Apparitions
l'action.com,
Louise Warren, Voir venir la patience, (son dernier recueil 2014)
et plus...
**
Louise Warren sera à la
bibliothèque J.R. L'Heureux,
à Maniwaki, (Québec) le 23 avril 2014 à 19:00h