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Coup de coeur : Archives 2010-2011

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent, toujours intéressant et en mouvement.
Nous redonnons vie ici  à vos textes qui nous ont séduit que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité

MARS 2013

Aymeric Brun
Edmond Fayet
Nwesla Biyong
Louise Dostie
Ana Blandiana
Mahieddine Nabet
Virgilio de Lemos



EDMOND FAYET

&

NWESLA BIYONG

M

Edmond Fayet et Paul Nwesla Biyong,  choix d'Éliette Vialle

L’invisibilité.

Issue de l’eau primaire, cette vapeur montante,
Mais où donc se trouve-t-elle, invisible qu’elle est ?
Ici, par là, peut-être, en quoi est-elle savante ?
... Elle transporte un présent interdit ou muet.

Image transpercée, issue de ce reflet,
En quoi est-elle visage, objet ou animal,
Scintillement subit, énigme initiale ?
Un nuage magique sans doute ne suffirait.

Fumée de feu de bois, des spectres, fantômes, délires,
Libérés dans les airs, sachons lire ou décrire,
Son odeur suggère-t-elle une quelconque idée ?
Elle va se démembrer, ou plutôt s’échapper.

Et ce vent t’inspire-t-il ?
Où ce cri te mène-t-il ?
Quand cet être revient-il ?
Ce regard te brise-t-il ?

Dans ces creux et déliés, est-elle donc importante ?
Cette écriture où naissent de terribles secrets.
Ils vont, vont et reviennent, comme l’air qu’on respire,
Mais l’encre est transparente, pas vrai, me semble-t-il ?

Edmond Fayet

**


Avions-nous consenti à un plus cuisant sacrifice
Que de plier un bouquet odoriférant venu tôt
Rafraîchir l’imposture et l’égo
A l’éclosion des caprices phallocratiques
L’Eve moderne
Nous la voulons belle et forte n’est-ce pas
Intelligente et autoritaire n’est-ce pas
Mais aussi fragile et soumise n’est-ce pas
Pourtant tous ces regards sur elle
N’auraient pour mission cardinale que de valoriser notre image
Aucun soleil doux sur cette moitié si éloignée de nous
Le sexe faible promulguant la supériorité de la masculinité
Avions-nous fait un plus grave sacrifice
Que de ne pas croire à cette alliée naturelle
Mesquinerie et roublardise pour briser son pouvoir
Nous valorisant au bouillon de ses échecs orchestrés
L’Eve moderne marque au sang de ses orbites que
L’imposture et l’égo construisent l’enfer de cette terre.

(Février 2013 Paul Nwesla Biyong)


**

Loin d’ ici

Une seule idée m’anime
Partir
Loin d’ici

Le manque me tord
Les boyaux et le cou
Me ploie
Me tue
Ma foi
Di mi
Nue
Nuées
Loin d’ici
Souvent
M’ouvrent
L’esprit et les ciels
Alors je pille
Des saveurs célestes
Qui détrônent
Celles terrestres
De mon socle qui
Ne tremble pas
Loin d’ici
Se trouvent
L’air et l’eau
Chair et os
Des hommes
De feu
La langue acérée
Pour blesser
Couper court
Avec l’hérésie
D’ici

La
Communauté résiste au sceptre
Spectre de l’oppression
La communauté
Caravane de plumes
Nauséeuses pour l’Etat
Vomitifs pour ce gouvernement
Voix des ventres vertébraux
Etincelle d’une brillante révolution
Humaine


Mon mal-être
Déchante Agonise
Dans l’œsophage
De mes bruyants rires neufs
Veufs
Heureux
Des hiers tristes
Kystes de mes soleils
Une seule idée m’anime
Partir
Loin d’ici

Ma foi
A
Dix milles
Nuées…

Paul Nwesla Biyong

* texte tiré de son dernier Recueil : Les choses comme elles sonnent.

Edmond Fayet, publié aussi dans coup de coeur (févr. 2013)

Paul Nwesla Biyong, publié aussi dans coup de coeur (nov. 2012) et (nov.2011)  -
 et Vue de francophonie (déc.2012)





AYMERIC BRUN



Aymeric Brun, né en 1976, auteur de Variations (2009) et de Murmures (2012), Aymeric Brun est enseignant,
choix de Michel Ostertag

Murmures

Cette modestie est singulière
Où sont les rimes
Que j’aimais tant
Où se trouve la pompe
Qui ravissait mon âme
J’ai quitté tout orgueil
Je veux que mes vers
Soient sans apprêts et sans fards
Comme un fruit
Comme une peau nue

**

Le poème est chose
Si délicate
Qu’on ne saurait
Trop
Modestement
L’aborder
Il faut beaucoup
De simplicité et de candeur
Pour écrire un vers

**
 
Ô mon âme pourquoi te déguises-tu
Combien de masques
De dominos
Ô mon âme
Possèdes-tu
Je n’ai ni loups
Ni fards
Je suis
Simplement
Mobile mouvante ductile
Fluante

**

Rien n’est moins aisé
Que d’écrire
Simplement
Humblement
Il faut un art infini
Pour paraître
Balbutier
L’eau qui bruit doucement
Limpide calme sereine
Légèrement sévère
Sous sa feinte candeur
Possède
Mille artifices


**


Quelle puissance
Se communique à mon âme
Pour l’instruire de ses devoirs
Quel être inconnu parle en moi-même
Quel cri inhumain sort de ma bouche
Ensanglantée

Aymeric Brun, " Le Nouvel Observateur ", Murmures.


LOUISE DOSTIE



Louise Dostie, poète découverte sur le web, vit au Québec, et sa poésie m'habite, choix de Gertrude Millaire


Dans la poussière des trombes

S’il existait un carcan
Quelque chose d’impassible
Pour étayer le cœur
Garder les eaux en place
Tu ferais face au glaive
Imperturbable
Enraciné dans la mouvance
Jusqu’au bout
Mais voilà
Pas de plâtre pour les micro-fractures
Pas d’attelles pour les entorses de l’endocarde
Le temps que la moelle reprenne
Tu avances quand même
Avec tes pieds qui veulent
Et ta chanson qui vole
Il y a ta route à suivre
Pas à pas
Dans la poussière des trombes
Comme dans les nuits paisibles


**

Puisqu’il va faire si froid
pourquoi les arbres
enlèvent-ils leurs manteaux?

Louise Dostie, (connue aussi sous le nom de plume,  Aile Lou), à l’automne 2008, elle a eu la chance de participer au premier Carrefour international des littératures autochtones de la francophonie et d’y présenter quelques textes.
"J’y ai rencontré des gens inoubliables… des cultures riches, des poètes touchants et talentueux.
Partout dans le monde, quelqu’un écrit, quelqu’un lit, comme quelqu’un chante et quelqu’un rêve sur son chant."

- Publié dans la Librairie Francopolis
- Catrin Godin, séduite par la simplicité de cette poète et par sa poésie, lui offre un *lieu de ciel*:
la chambre d'Aile




ANA BLANDIANA

Ana Blandiana, roumaine, choix de Dana Shishmanian.

Élégie du matin

Au début, j'avais promis de me taire
Mais plus tard, au matin,
Je vous ai vus sortir avec des sacs de cendre devant les portes
Et la répandre comme on sème le blé ;
N'y tenant plus, j'ai crié : Que faites-vous ? Que faites-vous ?
C'est pour vous que j'ai neigé toute la nuit sur la ville,
C'est pour vous que j'ai blanchi chaque chose toute la nuit – ô si
Vous pouviez comprendre comme il est difficile de neiger !
Hier soir, à peine étiez-vous couchés, que j'ai bondi dans l'espace
Il y faisait sombre et froid. Il me fallait
Voler jusqu'au point unique où
Le vide fait tournoyer les soleils et les éteint,
Tandis que je devais palpiter encore un instant dans ce coin,
Afin de revenir, neigeant parmi vous.
Le moindre flocon, je l'ai surveillé, pesé, éprouvé,
Pétri, fait briller du regard,
Et maintenant, je tombe de sommeil et de fatigue et j'ai la fièvre.
Je vous regarde répandre la poussière du feu mort
Sur mon blanc travail et, souriant, je vous annonce :
Des neiges bien plus grandes viendront après moi
Et il neigera sur vous tout le blanc du monde.
Essayez dès à présent de comprendre cette loi,
Des neiges gigantesques viendront après nous,
Et vous n'aurez pas assez de cendre.
Et même les tout petits enfants apprendront à neiger.
Et le blanc recouvrira vos piètres tentatives à le nier.
Et la terre entrera dans le tourbillon des étoiles
Comme un astre brûlant de neige.

( Site Jean-Pierre Rosnay )

**

Laissons tomber les mots

Laissons tomber les mots
Tels des fruits, tels des feuilles,
Seuls ceux où la mort est déjà mûre.
Laissons-les tomber,
Flétris jusqu’à la pourriture,
Couvrant à peine de leur chair
L’os divin.
Le noyau nu et ouvert,
Comme la lune, dans les nuages fanés,
Peut-être se glissera-t-il sur la terre…

**

La solitude

La solitude est une ville
Où tous les autres sont morts,
Les rues sont propres,
Les places dépeuplées,
Tout se voit d’un coup
Dilaté dans le vide
Si limpidement gardé.
La solitude est une ville
Où il neige à foison
Et où aucun pas ne profane la lumière
Déposée en couches,
Et seulement toi, œil éveillé,
Ouvert sur ceux qui dorment,
Regardes et comprends, et tu n’en as pas assez
De tant de silence et de tant de pureté
Où personne ne combat
Et n’est abusé,
Où trop claire
Pour faire mal
Est même la larme d’un animal abandonné.
Dans la vallée,
Entre la souffrance et la mort,
La solitude est une ville enchantée.

**

Deux croix

Toi, tu fus ma croix
Grande, fine,
À même de me supplicier
Poutre sur poutre.
Moi, je fus ta croix
Innocente,
Dans le miroir réfléchie.
Le même mouvement
Pour l’étreinte
Et la crucifixion,
Pour l’époux
Et l’épouse.
Laisse
Le temps couler par deux fois,
Du soir et des aurores,
Pour l’un et pour l’autre,
Nous ressembler
Et nous recouvrir, sombre,
De fleurs –
Parmi lesquelles nous regardions vers les hauteurs
Dessinées avec deux croix jumelles :
L’une était d’ombre.

**

Prière

Principe de toutes choses,
Lieu géométrique du vide
Qui demande à être comblé
Pour durer,
Voie d’entrée
Dans un endroit existant
Seulement dans la mesure de l’articulation,
Laisse tomber
De ta sainte bouche
Les syllabes,
Laisse-les m’envahir,
M'ensemencer,
Fais-moi engendrer des plantes-réponses
Dont poussent
Vers le silence suprême
Les arbres de sons
D’où l’automne secoue les sens.

(Extraits de Autrefois les arbres avaient des yeux, anthologie, traduction du roumain  par Luiza Palanciuc, éd. Cahiers Bleus / Librairie Bleue, Troyes, 2005)

Voir aussi :
- D'une langue à l'autre :
Extraits de son roman Sertarul cu aplauze / Le Tiroir aux applaudissements, traduction Dana Shishmanian
- Une vie, un poète présentée par Dana Shishmanian

 


VIRGILIO DE LEMOS


Virgilio de Lemos, du nord du Mozambique, choix André Chenet.


TES SEINS POUSSENT


Ce que je dis
tu peux l’oublier
mais ce qui est musique
son chant de guerre
ou de douceur
est l’âme d’un souffle de folie
l’âme d’un instant d’amour

L’infini que je réclame
est à notre portée
tes seins sont l’Infini
élongations voulues
par mon désir
et mon regard

Le train siffle encore
et toutes les lumières
s’allument
à chaque frisson.
La catastrophe serait
un rêve désert
sans incendie sans magie
un rêve qui se déplace
comme un automate
isolé

La distance
qui nous sépare
et l’absurdité du mystère
qui nous rapproche
sont une seule
et même chose

Habillé du sexe des mots
de désespoir
la conspiration féroce
de tes menaces jamais murmurées

Mes orchidées sauvages
brisent leurs têtes
de révolte
contre l’oubli

Virgilio de Lemos

Né en 1929 sur l’île d’Ibo, au nord du Mozambique, Virgilio de Lemos a fait partie du groupe d’écrivains qui, avec Noémia de Sousa, José Craveirinha, Fonseca Amaral, ou Rui Knopfli, a jeté les bases de la littérature moderne du Mozambique ; il a notamment joué un rôle majeur dans l’émancipation au cours des années 1950-60 d’une poésie conçue à l’époque comme une arme contre l’ordre colonial.
Emprisonné durant 14 mois en 1961-62, il prend après sa libération le chemin de l’exil et s’installe à Paris où il poursuit une double activité d’écrivain et de journaliste engagé. Il écrit sa poésie en français et en portugais.

Recueils publiés aux Éditions La Différence
Objet à trouver, 1988 - 
L’Obscène Pensée d’Alice, 1989
L’Aveugle et l’absurde, 1990.


Mots de nos lecteurs


Je suis un ami de Virgilio de Lemos. Actuellement en convalescence, celui-ci m' a chargé de vous remercier et de vous exprimer sa reconnaissance pour la publication de son poème, "Tes seins poussent", sur votre site, ainsi que pour la bio-bibliographie l'accompagnant. La joie qu'il a ressentie en se voyant ainsi sortir de l'oubli est vraiment profonde et assez indescriptible ! 
Je m'associe de tout coeur à ses remerciements. Avec Christian Deudon, nous sommes en effet quelques-uns à essayer de mieux faire connaître ce poète qui, pour nous, est d'importance mais malheureusement trop méconnu en France. Ses textes de langue portugaise connaissent heureusement une beaucoup plus grande répercussion, tant au Portugal (le premier volume d'une anthologie de ses poèmes - 600 pages ! - "Jogos de prazer", est parue en 2009, le second volume devant paraître cette année) qu' au Mozambique (une anthologie récemment publiée également : "A dimensao do desejo") où il est considéré comme un "grand".
Merci encore à vous d'avoir contribué à le faire mieux connaître. En ce qui nous concerne, la recherche d'un éditeur pour ses inédits écrits en français se poursuit.
 
Cordialement.
 
Patrice Angibaud 



MAHIEDDINE NABET


Mahieddine Nabet, algérien, devenu apatride (dixit Dj.Benmerad), Mahieddine Nabet n’a publié qu’un seul recueil « clandestin », intitulé « La Grande Humanité », diffusé de main en main. Un texte de cœur et de colère qui ne cesse de résonner dans toutes les têtes de ceux qui l’ont lu. Pour ma part, je l’ai traduit vers l’arabe dans les années quatre-vingt mais que je ne publie que depuis 2010 en épisodes sur le Net. Je vous livre les premières strophes tirés de la sa version /papier originale, choix Kader Rabia.

La poésie est autre
Ici simple parole d’homme
Qui ne craint pas de reprendre
Telle quelle
Telle parole d’un autre homme
Qu’elle fait surgir
Sur laquelle elle s’appuie
Qu’elle fait complice
Chemin faisant

( Des Trois horloges* à la Maison du peuple** )

**

Barbelés
Barbelés

Cercles
Triangles

de fer

Pourquoi
des fenêtres
des prisons

**

Blabla
Blabla
quand les soldats
tuent les enfants
Contre eux
L’épée de l’ami
Vaut mille hommes

**

                                               
                            Nous sommes ici

           des milliers que la folie guette
        Nous sommes des milliers dans le
                                              noir

OUVREZ  DONC LES PORTES DU SOLEIL.

* Place connue à Bab el Oued.
** Allusion à l’Assemblée Populaire Nationale




Coup de coeur
 Éliette Vialle, Gertrude Millaire,
 Michel Ostertag, Dana Shishmanian,
Kader Rabia et André Chenet

Francopolis, mars 2013

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