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Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent, toujours intéressant et en mouvement.
Nous redonnons vie ici  à vos textes qui nous ont séduit que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité

NOVEMBRE  2013

Mireille Podchlebnik
Nwesla Biyong
Frédéric-Jacques Temple
Jalel El Gharbi
César Vallejo


MIREILLE  PODCHLEBNIK

Mireille Podchlebnik, poèmes choisis par Dana Shishmanian  

Encre de vie

Écorces de rêve
L’arbre du temps
Porte vers l’infini
Ses rameaux de nuit

L’écriture anime l’espoir
Par-delà
Cette sève naissante

Encre de vie
Sur la pierre de rêve
Les mots s’écoulent
En floraison de pluie

**

L’arbre du temps

J’ai puisé les longs sanglots
A l’ombre des souvenirs

Cherchant le vent
Cherchant le souffle
De l’enfance

Dans l’arbre enfoui
J’ai retrouvé
L’arbre meurtri

Tout habillé de cendres
Tout habillé de nuit

Echeveaux de soie
Perles de solitude

***

Écho de l’oubli

Puisqu’il faudra
Gravir
Un jour
Les marches du silence

Puisque les mots de nos amours
Se feront
L’écho de l’oubli

Laissons croître l’arbre du temps
Et se tisser
La poésie

Que ses branches emportent
Les saisons de pluie

Laissons les étoiles
Palpiter dans le vent

(Extraits du recueil quadrilingue Passeur de sens – hébreux, français, allemand, yiddish – paru aux éditions allemandes En Forêt / Im Wald, 2007, distribution par la Librairie du Mémorial de la Shoah. Autres recueils : Le chemin des alizées, Hélices, 1999, et Copeaux de rêves, Hélices, 2005, indisponibles)  


NWESLA BIYONG


Nwesla Biyong , choix d'Éliette Vialle

J'ai obstinément creusé l’azur
Comme un mineur des fonds ferait filant millénaire filon
Fossoyeur d’un curieux genre je n’ai découvert
Que demeure dépeuplée derrière des cumulus et des nimbus
Conséquences
Je prends cette catin qu’est le bonheur comme il vient
Loin d'usages vierges des vocables non musicaux
Ce système
Ordre de la matière aux richesses palpables
Où la sagesse et la mesure sont olympiades des pauvres
Concupiscence indifférence démence
À la suite d’aventures sanglantes des excès de toutes sortes
Sont carte génétique du majestueux oppresseur qui mène
Paître des âmes de moins en moins humaines…déjà inhumaines.

(Poème tiré de sa page Facebook - Projet intitulé L'alpha de l'inertie.)

- Visiter son blog : Paul Newsla Biyong
  
FRÉDÉRIC-JACQUES  TEMPLE

Frédéric-Jacques Temple, poème aux accents de la Prose du Transsibérien de Cendrars. On y voit l’influence indéniable de ce dernier sur son inspiration. Poète français, lauréat du prix Apollinaire 2013, choix Michel Ostertag
Merry-go-round

Un train aux lumières aveugles
franchit des forêts invisibles.
J'emporte
cent boîtes d'allumettes
mille cigares noirs
cinquante pipes de merisier sauvage
un calumet en pierre-à-savon
gravé par un Indien de l'Ontario
la pipe-calebasse
à cou d'oiseau-serpent
cadeau d'Archuleta-de-la-Terre-des-Trembles
le tambour sacré de Taos
dans ma poche un éclat d'obsidienne
et mon vieux Laguiole à manche d'ivoire...

Tandis que le train glisse
longue chenille spasmodique
à travers la Forêt Noire
je reviens à mon premier lointain voyage...

J'avais vingt ans
avec encore dans mes cheveux le sable du désert
en ce matin léger où le canon s'est tu
dans les vergers du Würtemberg.
Et ce fut le printemps du Paradis après l'Enfer :
les truites de la Mürg
les chevreuils du Lac Noir
et la grosse Hildegarde
qui nous versait du vin d'Uberlingen.
Nous achetions des pendules de Triberg
et des couteaux de chasse
oubliant l'enfant nu de Fribourg méditant sur un crâne
qui avait assombri notre adolescence
à jamais.

Soudain le chant des rossignols
déchira les ténèbres
l'Hymne à la Joie déferla des terrasses
sur l'eau verte et muette
à Heidelberg.
Ici vécurent les poètes
Achim d'Arnim et Clemens Brentano.
Il ne reste que la plaque.
J'habitais là rêvant que montait de l'auberge voisine
la voix mâle de Zarah Leander :
Schlafe mein Geliebter
Du darfat mir nie mehr rote Rosen Schenken
crépusculaire et vaginale
et derrière la vitre
le coiffeur recousait des visages
couverts de sang...

Un train aux lumières aveugles
franchit des plaines disparues.
Il pleut des escarbilles
et l'odeur des mélèzes envahit la nuit.

Dans ma valise il y a :
Fenimore Cooper
un vieux catalogue de la Manufacture
des Armes et Cycles de Saint-Etienne
une lettre originale du Capitaine Nemo
et la photo de ma mère
jouant du violoncelle
pour toujours...

***
- Écrivain et poète français. Très diverse dans sa forte unité, son œuvre comprend des poèmes (recueillis en 1989 dans une Anthologie personnelle), des romans, des récits de voyage et des essais.
- On lui doit également des traductions de l'anglais Thomas Hardy, David Herbert Lawrence, \fs24cf4Henry Miller, Lawrence Durrell. Il a été également un homme de radio et de télévision. Il a été l’ami de Blaise Cendrars.
Il a été honoré par L’Académie Apollinaire pour son recueil « Phares, balises et feux brefs » publié aux éditions Bruno Doucey.


 
JALEL EL GHARBI


Jalel El Gharbi, poéte tunisien, choix André Chenet
Poème de l'exil, du monde qui rétrécit et des égorgeurs

Ils sont venus de loin, de très loin, de derrière les dunes
Ils portent des poignards et marchent comme des égorgeurs
Ils ont mis un voile noir sur les visages les plus matinaux
Si je reste encore ils vont me poursuivre jusque chez moi

C’était encore l’aube d’avant
Tout dormait encore les oiseaux les belles et le vent
Si je n’étais pas aussi matinal
J’aurais saisi Kairos par les cheveux
Et je l’aurais traîné loin dans le premier estaminet
Il y a derrière le paravent de la forteresse
De vieux parchemins historiés
Et les amis qui ne dessoûlent pas
Il y a la dame qui a vu mes longues ivresses
Et qui s’est étonnée de me voir plus lucide
A chaque verre, à chaque icône, à chaque perle, à chaque goutte de sang

Faites comme si je n'existais pas
Faites comme si j'étais un métèque

J’ai le temps de demander asile à la poésie
Le temps de revoir les plus belles pages de la vie
Le temps de me dresser seul comme au plus fort de l’orage
Le temps de lire une page d’un roman sur la mer
Le temps de prier dans d’autres langues
Le temps de revoir les plus belles couvertures des  romans de mes seize ans
Le temps de revoir sa belle chevelure
Le temps de rêver d’une île lointaine

D’où viennent-ils ? De quelle caverne sortent-ils ?
Nous lisions le livre et nous n’avions pas d’autres questions
Que celle de l’image et de la syllepse et ses traductions.
Nous ne demandions rien même pas le paradis
Nous ne demandons rien sinon le droit de pêcher
D’étreindre le matin se levant entre Byrsa et Hadrumète

Tenez ! me voici tout nu ! Je n’ai rien hormis la soif
Je ne veux rien hormis les rivages de la dernière jeunesse
Je ne demande rien hormis le vent qui souffle du Nord

Comment sont-ils venus jusqu’ici ?
Du sang a coulé sur la plus haute cime
Des hommes sont morts qui aimaient le voyage, le sourire d’une femme, l’olivier qui pousse
Ils pensaient que nos frontières allaient rétrécir
Et nous voici comme des albatros
Ils pensaient que nous choisirions l’exil
Et voici qu’il nous suffit d’un peu de rouge, d’un peu de blanc
Pour être chez nous. C’est que le monde a rétréci tant nos cœurs se sont élargis.

***
Jalel El Gharbi né en 1958.
Poète, traducteur, universitaire tunisien. Milite pour une utopie qu’il nomme orcident ou occirient
Dernière publication poétique : Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête, aux Editions du Cygne 2010

Autres publications :
- Lecture de la source : Portrait de Charles Juliet en lecteur augmenté de Passion des livres
- Passion de la lecture par Charles Juliet Supplément au numéro 22-23 de la revue Comme ça et - - - Autrement, éditions JCB Septembre 2000.
- Essai sur l’œuvre de Michel Deguy “Michel Deguy : Le poète que je cherche à lire ”. Avec une postface de Michel Deguy intitulée Lettre à un poète. Editions Maisonneuve &Larose. 2002
- Le Cours baudelaire. Editions Maisonneuve & Larose 2004
- Claude Michel Cluny : des figures et des masques. Editions de la Différence. Paris 2005.
- Incursion tunisienne dans les lettres luxembourgeoises. (Collectif) Editions PHI. Luxembourg
- Jules Supervielle : reflets et miroirs d’un poète. Thèse publiée aux éditions Poïêtês Luxembourg.
- José Ensch : Glossaire d’une œuvre. Illustrations d’Iva Mrazkova. Préfacé par Madame Octavie Modert, Secrétaire d’Etat à la culture et par Monsieur Pierre Schumacher de l’Institut Grand-Ducal. Editions de l’Institut Grand-Ducal. Luxembourg Février 2009.
- Nous sommes tous des migrants (collectif) Editions Schortgen ; Luxembourg Mars 2009
Des passantes et des passants Désirer, être désiré(e)Jalel El Gharbi & Giulio-Enrico Pisani
Illustrations de Carole Melmoux Editions Op-der-Lay, Luxembourg. 2012
voixdesautres@wanadoo.fr




CESAR VALLEJO


César Vallejo, poète péruvien, l’homme de sa terre péruvienne, mais surtout l’homme universel de l’exil, choix de Gertrude Millaire
ÉPÎTRE AUX PASSANTS
 
Je renoue avec ma journée de lapin, ma nuit d'éléphant au repos.
 
Et je me dis en moi-même :
là est mon immensité brute, torrentielle,
là est mon poids si léger qu'il me cherche au sol pour me faire oiseau ;
là est mon bras
qui, lui, refuse d'être une aile,
là sont mes saintes écritures,
là mes testicules en émoi.
 
D'une île lugubre je naîtrai à la lumière continentale, tandis que le capitole s'élèvera
sur ma défaite intime et que l'assemblée en armes fermera mon défilé.
 
Mais quand je mourrai
de vie et non de temps,
quand seront enfin deux mes deux valises,
là sera mon ventre, où tenait ma lampe en morceaux,
là sera cette tête qui expiait les tourments de mes pas circulaires,
là sera chaque ver que mon cœur comptait un par un,
là sera mon corps solidaire
veillé par l'âme individuelle ; là sera
mon nombril où je tuais mes poux de toujours,
là sera ma chose, chose, ma chose épouvantable.
 
Entre tant, convulsif, âpre,
mon mors renaît,
souffrant comme je souffre du langage direct du lion,
et puisque j'ai vécu écrasé entre deux briques,
je renais moi aussi, et mes lèvres sourient.

1932-Traduction François Maspero

* *
FAUX PAS ENTRE DEUX ÉTOILES
 
Il est des gens si malheureux, qu'ils n'ont même pas
de corps ; quantitative est leur chevelure,
bas, calculé en pouces, le poids de leur intelligence ;
haut, leur comportement ;
ne me cherche pas, molaire de l'oubli,
ils semblent sortir de l'air, additionner mentalement les soupirs,
entendre de clairs claquements de fouet dans leur gosier.

Ils s'en vont de leur peau, grattant le sarcophage où ils naissent
et gravissent leur mort d'heure en heure
et tombent, au long de leur alphabet gelé, jusqu'à terre.

Pitié pour les « tellement » ! pitié pour les « si peu » ! pitié pour eux
Pitié, dans ma chambre, quand je les écoute avec mes lunettes !
Pitié, dans mon thorax, quand ils s'achètent des habits !
Pitié pour ma crasse blanche, solidaire dans leur ordure !

Aimées soient les oreilles martin,
aimées soient les personnes qui s'assoient,
aimés soient l'inconnu et sa femme,
notre semblable par les manches, le col et les yeux !

Aimé soit celui qui a des punaises,
celui qui porte un soulier percé sous la pluie,
celui qui veille le cadavre d'un pain avec deux allumettes,
celui qui se prend un doigt dans la porte,
celui qui n'a pas d'anniversaires,
celui qui a perdu son ombre dans un incendie,
l'animal, celui qui ressemble à un perroquet,
celui qui ressemble à un homme, le pauvre riche,
le vrai miséreux, le pauvre pauvre !
 
Aimé soit
celui qui a faim ou soif, mais n'a pas assez de faim
pour étancher toute sa soif
et pas assez de soif pour rassasier toute sa faim !

Aimé soit celui qui travaille à la journée, au mois, à l'heure,
celui qui sue de peine ou de honte,
celui qui se prend par la main pour aller au cinéma,
celui qui paye avec ce qui lui manque,
celui qui dort le dos tourné,
celui qui ne se souvient plus de son enfance ; aimé soit
le chauve sans chapeau,
le juste sans épines,
le voleur sans roses,
celui qui porte une montre et qui a vu Dieu,
celui qui a de l'honneur et ne meurt pas !
Aimé soit l'enfant qui tombe et pleure encore, et l'homme qui est tombé et ne pleure plus !
Pitié pour les « tellement » ! Pitié pour les « si peu » ! Pitié pour eux !

11 octobre 1937
Traduction François Maspero

César Abraham Vallejo Mendoza est né le 16 mars 1892 au Pérou à Santiago de Chuco (centre nord du Pérou), village minier situé à 3.500 mètres d'altitude.
Il est l’homme de sa terre péruvienne, mais surtout l’homme universel de l’exil. L’homme de la parole offerte et redonnée aux autres.
Un poète péruvien d’avant-garde, une sorte de Vladimir Maïakovski andin, grand  innovateur du langage littéraire, et pourfendeur des lâchetés humaines.
Il était ce poète avec « une âme avide d’infini, assoiffé de vérité ».

* tiré du site Esprits Nomades


Coup de coeur
Éliette Vialle, André Chenet
Gertrude Millaire, Michel Ostertag,
Dana Shismanian

Francopolis, novembre 2013

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