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Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité

OCTOBRE  2015

 




ROBERT VILLEMUS

Robert Villemus, poète français, choix Éliette Vialle

En hommage au poète hongrois, Attila Joszef

Carte postale de Grasse :

L'hôte ? Il est chez sa mère-grand.
Les françois s'appellent Pierre ou Paul.
A table, il faut vite hausser le col :
Car morbleu, on mange tout en maugréant.
Dans les calanques des grappes de touristes
Inondés de soleil recroquevillant leur chair,
Partout des villas marmoréennes si chères
Que n'y compte même plus les palmistes !
Les chais me font tourner la tête,
Accrochés à leur piton de vieux villages
Font la courte échelle aux commérages :
Gauloises et aioli sont trop forts !

un toit, une mansarde,
un verre de muscat,
un pain ouvert,
un chat endormi,
un livre jauni,
un amour sur les genoux,
vraiment toute une vie

robert

poème sans titre :

" qui peut croire que l'on écrive des romans, des poèmes, avec de bons sentiments, avec du bonheur a la pelle ?

des blessures et des déchirures, bien longues à cicatriser, voilà ce qui fait la matière d'œuvre de l'auteur en fait tout se passe comme si le destin prenait un malin plaisir à désigner ceux qui obtiennent les succès désirés laissant certains toujours dans l'ombre et la déception alors souvent ceux qui n'ont pas ce qu'ils désiraient traduisent par l'écriture ce qui est impossible à obtenir dans la vie réelle; de là à penser que le tourment fait naître l'inspiration et que le succès se vit sans créations profondes

il y a un pas que l'échec répété fait lui vite franchir comme dans la citation proverbiale :

" les chants les plus désespérés sont les chants les plus beaux " !...

ceci dit, pour les auteurs qui eux survivent plus ou moins longtemps, les textes sont peut-être beaux mais le dédoublement ne se fait que dans la douleur

faut-il choisir?

en vérité, les chemins sont pour eux déjà tracés, le sillon déjà creusé : on peut seulement les divertir l'espace d'une fureur ou d'une illusion..."

ce n'est pas joyeux mais au moins mieux vaut vivre dans la lucidité; tout ce que je pense contient dans ce que je dis :

je ne puis en dire un mot de plus ...

si ce n'est juste placer ce texte sous le miroir de Gérard de Nerval, parmi d'illustres aînés.


GASTON  MIRON

 Gaston Miron, choix Gertrude Millaire
Compagnon des Amériques
Québec ma terre amère ma terre amande
ma patrie d’haleine dans la touffe des vents
j’ai de toi la difficile et poignante présence
avec une large blessure d’espace au front
dans une vivante agonie de roseaux au visage
 
je parle avec les mots noueux de nos endurances
nous avons soif de toutes les eaux du monde
nous avons faim de toutes les terres du monde
dans la liberté criée de débris d’embâcle
nos feux de position s’allument vers le large
l’aïeule prière à nos doigts défaillante
la pauvreté luisant comme des fers à nos chevilles
 
mais cargue-moi en toi pays, cargue-moi
et marche au rompt le cœur de tes écorces tendres
marche à l’arête de tes dures plaies d’érosion
marche à tes pas réveillés des sommeils d’ornières
et marche à ta force épissure des bras à ton sol
 
mais chante plus haut l’amour en moi, chante
je me ferai passion de ta face
je me ferai porteur de ton espérance
veilleur, guetteur, coureur, haleur de ton avènement
un homme de ton réquisitoire
un homme de ta patience raboteuse et varlopeuse
un homme de ta commisération infinie
l’homme artériel de tes gigues
dans le poitrail effervescent de tes poudreries
dans la grande artillerie de tes couleurs d’automne
dans tes hanches de montagnes
dans l’accord comète de tes plaines
dans l’artésienne vigueur de tes villes
devant toutes les litanies
de chats-huants qui huent dans la lune
devant toutes les compromissions en peaux de vison
devant les héros de la bonne conscience
les émancipés malingres
les insectes des belles manières
devant tous les commandeurs de ton exploitation
de ta chair à pavé
de ta sueur à gagesGASTON MIRON
Compagnon des Amériques

Québec ma terre amère ma terre amande
ma patrie d’haleine dans la touffe des vents
j’ai de toi la difficile et poignante présence
avec une large blessure d’espace au front
dans une vivante agonie de roseaux au visage
 

je parle avec les mots noueux de nos endurances
nous avons soif de toutes les eaux du monde
nous avons faim de toutes les terres du monde
dans la liberté criée de débris d’embâcle
nos feux de position s’allument vers le large
l’aïeule prière à nos doigts défaillante
la pauvreté luisant comme des fers à nos chevilles


mais cargue-moi en toi pays, cargue-moi
et marche au rompt le cœur de tes écorces tendres
marche à l’arête de tes dures plaies d’érosion
marche à tes pas réveillés des sommeils d’ornières
et marche à ta force épissure des bras à ton sol


mais chante plus haut l’amour en moi, chante
je me ferai passion de ta face
je me ferai porteur de ton espérance
veilleur, guetteur, coureur, haleur de ton avènement
un homme de ton réquisitoire
un homme de ta patience raboteuse et varlopeuse
un homme de ta commisération infinie
l’homme artériel de tes gigues
dans le poitrail effervescent de tes poudreries
dans la grande artillerie de tes couleurs d’automne
dans tes hanches de montagnes
dans l’accord comète de tes plaines
dans l’artésienne vigueur de tes villes
devant toutes les litanies
de chats-huants qui huent dans la lune
devant toutes les compromissions en peaux de vison
devant les héros de la bonne conscience
les émancipés malingres
les insectes des belles manières
devant tous les commandeurs de ton exploitation
de ta chair à pavé
de ta sueur à gages

mais donne la main à toutes les rencontres, pays
toi qui apparais
par tous les chemins défoncés de ton histoire
aux hommes debout dans l’horizon de la justice
qui te saluent
salut à toi territoire de ma poésie
salut les hommes et les femmes
des pères et mères de l’aventure

Miron, Gaston, « Compagnon des Amériques »,
L’homme rapaillé, Montréal, L’Hexagone (Typo), 1998.

(oui dans le contexte des élections canadiennes (oct 2015, le Québec crie-à-tue-tête) ce cri est toujours d'actualité.
  http://www.lesvoixdelapoesie.com/poemes/compagnon-des-ameriques#sthash.dCWHEpoS.dpuf
 


ANDRÉE CHEDID

ANDRÉE CHEDID,  choix François Minod

Epreuve du visage
Qui
Se tient
Derrière le pelage du monde ?

Quel visage au front nu
Se détourne des rôles

Ses yeux inversant les images
Sa bouche éconduisant les rumeurs ?

Quel visage
Veillant par-delà sa vue
Nous restitue
Visage ?

Quel visage
Surgi du fond des nôtres
Ancré dans l’argile
S’offre à l’horizon ?

                                                                                      *

Epreuve du poète

En ce monde
Où la vie
Se disloque
Ou s’assemble

Sans répit
Le poète
Enlace le mystère

Invente le poème
Ses pouvoirs de partage
Sa lueur sous les replis

                                                                                        *

Regarder l’enfance

Jusqu’aux bords de ta vie
Tu porteras ton enfance
Ses fables et ses larmes
Ses grelots et ses peurs

Tout au long de tes jours
Te précède ton enfance
Entravant ta marche
Ou te frayant chemin

Singulier et magique
L’œil de ton enfance
Qui détient à sa source
L’univers des regards.


Andrée Chedid in Epreuves du vivant, Flammarion, 1983

  
 RENÉ  PONS

 René Pons, choix Dominique Zinenberg
Pluies enfuies

  Les pluies ont ravagé les pentes de la ville et la cathédrale reste suspendue au bord du vide. À présent, il fait beau et le vent soulève des vagues de poussière qui viennent rebondir contre les murailles. Le long des rues en pentes, aux bordures de trottoirs déchaussées par le ravinement, à tel point qu'un vieillard ne pourrait les escalader, il marche, les yeux fixés sur une tour au loin, à la recherche d'un domicile qu'il a perdu et que pourtant il sent proche. Il aimerait demander sa route à un passant, mais il n'y a pas de passants. Seulement le vent froid soulevant la poussière et poursuivant le ravinement des pluies enfuies, transformant les ruelles en tranchées, le long desquelles bientôt, et dans un silence total, les maisons s'écrouleront, signalant la ville, à l'horizon, par un tourbillon ocre aussitôt défait par les rafales.

- "Paysages inexistants", Éditions Rhubarbe



PHILIPPE  MAC LEOD


                                 Philippe  Mac Leod , choix Dana Shishmanian

Je souhaite faire partager le plaisir de la lecture des Poèmes pour habiter la terre de Philippe Mac Leod (Le Passeur éditeur, juin 2015) en sélectionnant trois textes révélateurs.

Absences


Quel est ce souffle effleurant la chair en dedans ? Où es-tu, quand tu es là et que tu ne dis rien, toi qui sombres au creux de la terre et que j’attends ?

Qui es-tu, toi qui vis sans bruit sous ma peau et glisses ton visage étendu sous le mien, pour voir si coïncident les reliefs, les chemins ?
Et dans le regard, ce rayon qui vient de tes yeux, logés tout au fond des miens, toi qui habites mon corps comme on s’assied à la même table.

Un battement pour deux, un même sang plein de détours, qui s’étend dans des membres qu’on arrache avant d’avoir su les accorder.

Mais où es-tu, toi qui déjà n’es plus là et ouvres partout les portes d’un appel cinglant, que souffle loin en dedans un vide brûlant ?

Mieux que l’épousée, chair au fond de la chair, vague dans la vague et cœur de mon cœur, cette ombre à l’intérieur de chaque geste et ces chemins qui s’ouvrent, sans but ni route, comme des signes que nul ne songerait à suivre, dans les airs un peu de nous qui fuit ou se dénoue.


Ulysse

D’un mot, d’un seul - tu voudrais griffer l’invisible, comme d’une flèche, sans faire un grand voyage, mais en traversant tout ce qu’on peut nommer, ce qui a été dit comme ce qui se dira, toucher la vie plus loin que l’heure
devenue trop basse, que rien ne saurait ranimer sinon ce mot, un seul, qui ne se dit pas ou se cache encore dans la vastitude des mers intérieures.
Dire - dire pour vivre - vivre et dire - plus loin que le rêve, tout près des îles, où battent les vagues de l’improbable.

La scierie

Dans la lumière le ruisseau se brise. Et sur la langue, ce mot qui n’existe pas – et perce sous la chair, comme aux buissons la baie acide de ton œil noir.

De ce trait vif, que vais-je écrire ? De son jaillissement, saurai-je prolonger le cri ? Larme d’eau ou lame d’acier – éperdus, les mots courent sans tête.

On fendait le bois à la force du coupant. Parmi la ronce une Vierge retient un peu de bleu. Et tu n’oses approcher, vaguement inspirée, chaque pas comme ce mot au bord des lèvres.

Du ruisseau brisé, une larme seule a parlé. Et ta bouche en tremblant roule sur ma peau – plus qu’un baiser, une parole humide et chaude, toute la sève des bois goutte à goutte expirée.



CHARLES  BAUDELAIRE
 
  Charles Baudelaire, choix Michel Ostertag

 Au fil d'une relecture de l'oeuvre de Charles Baudelaire, ce poème que j'avais oublié.

CORRESPONDANCES

La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies.
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants 

Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,

Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.



KENNETH  WHITE



Kenneth White, choix Mireille Diaz-Florian

                           DANS LES MARCHES DE L’EST

Un soleil rouge monte à travers la brume
au-dessus de la Marne aux eaux vertes
des migrateurs gris fourragent dans les champs

sur la place centrale
de cette petite ville
perdue dans les plaines
un monument de fonte noire
érigé par souscription populaire
célèbre ses héroïques défenseurs
du temps de la guerre de frontière

dans la rue Marie Stuart
un roucoulement de pigeon
dans la rue du Petit Sauvage
un chat noir vaquant à ses occupations

plat du jour
rôti de veau, trio de légumes

c’était un matin de juin
j’arrivais à Metz
en route pour Strasbourg
voyageant dans des trains déserts
a travers les Marches de l’Est

Hôtel du Commerce
Saint-Dizier, Haute Marne




***
                         ACROSS THE EASTERN MARCHES

Across sun rising through mist
Over the Marne’s green waters
Grey migrators foraging in the fields

On the central square
of this discreet little town
lost in the plains
a monument of black iron
raised by public subscription
celebrates its heroic defenders
back in the old border war

in the Rue Marie Stuart
the roocooling of pigeons
in the Rue du Petit Sauvage
a black cat prowling about his preoccupations


Plat du jour
Rôti de veau, trio de legumes

It was a morning in June
I was coming from Metz
making for Strasburg
travelling in empty trains
across a Eastern Marches

Hôtel du Commerce
Saint-Dizier, Haute Marne


XX
AU MUSEE ETHNOLOGIQUE

Derniers vestiges
de ce peuple initial
emporté par le vent Taku

Hamalco, Comix, Qualicum
Squamish, Songshee, Coquitlam
Wantuth, Semiahmoo, Musqueam
Tsauwassenn, Saanich
Sue-Nay-Mux

ces yeux bleus grands ouverts
sur le mât totémique
d’un village abandonné
frappé par la variole

et la silhouette de ce chamane fou
cherchant son esprit esseulé
dans les marécages où le huard
hurle dans le crépuscule.


IN THE ETHNOLOGICAL MUSEUM

The final vestiges
of that initial kind
gone with the Taku wind

Hamalco, Comix, Qualicum
Squamish, Songshee, Coquitlam
Wantuth, Semiahmoo, Musqueam
Tsauwassenn, Saanich
Sue-Nay-Mux

those wideopen darkblue eyes
on the house post
of an abandoned village
smitten by pox

and the figure of that crazy shaman
searching for his lonely spirit
in salty marshlands where the loon
howls into the twilight.


Kenneth White
Les archives du littoral
Traduit de l’anglais par Marie Claude White
Mercure de France



Coup de coeur
 
Éliette Vialle, François Minod
Dominique Zinenberg,
Gertrude Millaire
Michel Ostertag, Dana Shishmanian
Mireille Diaz-Florian
Francopolis septembre 2015

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