GUEULE DE MOTS
Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...
Cette rubrique reprend un second souffle en 2014 pour laisser LIBRE
PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son
inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa
façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir,
nous parler de sa vie parallèle à l'écriture...etc.
Mars-Avril 2022
La parole du sage :
Carl Gustav Jung contre la guerre
Extrait de Sur
les fondements de la psychologie analytique.
Les conférences de
Tavistock (Londres, 1935), éditions Albin Michel,
2011, pp. 68-69.
Il est extraordinaire de lire ce texte de Jung, le grand humaniste du
XXe siècle, qui éclaire complètement les recoins cachés et les ressorts
inconscients à l’œuvre dans le terrible mouvement qui entraîne les foules
et les peuples devenus meutes, vers la guerre.
Pour ne PAS y sombrer il faut expulser ses propres démons, et faire
confiance non à la singularité agressive du Moi mais à l’universalité
spirituelle du Soi. C’était l’œuvre de toute la vie de Jung ; il est
plus que jamais temps de s’en imprégner, car elle porte un véritable
message de salut.
D.S.
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« Les contenus
de l’inconscient collectif ne sont sujets à aucune intervention intentionnelle
extérieure et ne sont pas contrôlables par la volonté. D’ailleurs, ils se
comportent comme s’ils n’existaient pas en nous – on les voit chez le
voisin mais pas chez soi. C’est lorsque les contenus de l’inconscient
collectif s’activent qu’on réalise certaines choses chez les autres. On
commence par exemple, par découvrir que les affreux Abyssiniens attaquent
l'Italie !(*).
Vous connaissez la
célèbre histoire d'Anatole France. Deux paysans se disputaient constamment
et quelqu'un qui voulait en connaître la raison demanda à l'un d'eux :
« Mais pourquoi détestes-tu ton voisin et l'attaques-tu
ainsi ? » L'homme répondit : « Mais il est de l'autre côté
de la rivière ! » C'est comme la France et l'Allemagne.
Vous savez, nous, les
Suisses, nous avons eu la très grande chance pendant la Grande Guerre de
pouvoir lire les journaux des deux pays et étudier ce mécanisme
particulier. C'était comme un gros canon qui tirait d'une façon exactement
similaire d'un côté ou de l’autre du Rhin, et il était vraiment clair que
les gens voyaient chez leurs voisins ce qu’ils ne reconnaissaient pas chez
eux.
En règle générale,
quand l’inconscient collectif se trouve constellé au sein de groupes
sociaux plus larges, il en résulte un déchaînement public, une
contagion mentale qui peut mener à la révolution ou à la guerre, ou
à quelque chose de cet ordre. Ces mouvements sont pandémiques – la
contagion peut devenir presque écrasante, car, lorsque l'inconscient
collectif est activé, on n’est plus la même personne. On n'est pas
seulement dans le mouvement, on est partie prenante du
mouvement. Ainsi, (…) vous auriez beau vous défendre, ce serait en vain.
Car c'est quelque chose qui passe sous la peau. (…) On s'aperçoit que
l'atmosphère collective s'infiltre sous notre peau. On ne peut pas vivre en
Afrique ou dans n'importe quel autre pays sans avoir ce pays dans la peau.
Quand on vit en Asie, on devient soi-même asiatique. Il est impossible
d'éviter ce phénomène car, d'une certaine façon, nous sommes identiques au
Noir ou au Chinois, ou à tous ceux avec qui nous vivons, nous sommes tous
de simples êtres humains. Dans l’inconscient collectif, on est semblable à
un homme de n'importe quel peuple, on a les mêmes archétypes, de même que,
comme lui, on a des yeux, un cœur, un foie, etc. Peu importe la couleur de
sa peau. Cela compte, bien sûr, dans une certaine mesure, car l'autre a
vraisemblablement toute une couche historique différente de la
nôtre. »
(*)
Référence à la campagne de conquête de l’Érythrée menée par l’Italie en
1887, qui a mal fini pour l’agresseur, ce qui a occasionné comme
« justification » l’attaque par Mussolini à l’époque où Jung
donnait ces conférences.
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Mars-Avril 2022
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