Ou les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage.

 

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Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...

Cette rubrique reprend un second souffle en 2014 pour laisser LIBRE PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture, ou tout simplement de gueuler en paroles... etc.

 

Mai-Juin 2022

 

Libre parole à

Dominique Zinenberg :

 

Petit traité sur la paresse

 

 

1.      On ne saurait confondre la paresse et l’envie de dormir. Dormir est un besoin qui nous prend, paresser une décision que l’on prend.

 

2.      Sauf à être dénaturé (et il paraît que nous le sommes de plus en plus) un sommeil réparateur après la sensation de fatigue, de lassitude voire d’éreintement due à un labeur corporel ou intellectuel ne s’apparente nullement à la paresse. Il est donc insensé et déraisonnable de porter le soupçon de paresse à un besoin naturel qui nous relie étroitement à l’animalité mais nous permet le cas échéant de nous régénérer et d’accéder après coup aux plus grands défis humains.

 

3.      Paresser est un acte volontaire, une position philosophique, un art de vivre, une rupture dans l’ordre des choses.

 

4.      Paresser provoque.  

 

5.      Paresser tend à l’irrévérence, voire à la subversion. On se soustrait alors au qu’en dira-t-on. On se confronte au possible scandale. C’est une revendication explicite, un défi, une insolence.

 

6.      Paresser n’est pas chose facile. Rien, dans la société, ne permet d’y accéder aisément. D’innombrables obstacles se dressent pour barrer la route aux audacieux qui s’y risquent.

 

7.      On passe volontiers pour un asocial, un misanthrope, un égoïste en paressant.

 

8.      Paresser, toute honte bue, tout tabou levé, relève du génie. Beaucoup y aspirent, peu y parviennent.

 

9.      Paresser est donc un art.

 

10.   Ceux qui de tout temps ont dit que « La Paresse est la mère de tous les vices » n’ont pas voulu voir que cet état est le fruit d’une conquête, est le résultat d’un exploit, et ne saurait durer sans une extrême vigilance, une rigueur et un doigté remarquables !

 

11.   Paresser, en vérité, est un état éphémère qui procure de vives joies, marquantes et secrètes, comme une échancrure de rêve dans l’épaisseur des jours, une parenthèse intime qui est surprise et contentement.

 

12.   À une lettre près, voilà que « paresser » rejoint « caresser », l’un étant l’image de l’autre, dirait-on ! Car paresser est une caresse que l’on accorde à la vie, une attention à soi, narcissique et peut-être toujours un peu masturbatoire, n’en déplaise aux censeurs de tous poils !

 

13.   Et bien sûr paresser est un luxe. Proche de l’ascèse, certes, car il faut pouvoir ne rien faire, simplement respirer (méditer) et ne rien vouloir ni désirer, et l’on sait depuis Pascal qu’un roi sans divertissement est un homme plein de misère, mais c’est un luxe, indéniablement car cet état est un temps et un espace pour soi seul. Une île.

 

14.   Paradoxes de la paresse : vice et vertu, fragilité et intensité, luxe et ascèse, solitude et acte politique, voilà ce qui la caractérise !

 

15.   Par ailleurs, il est nécessaire de distinguer le verbe « paresser » du substantif « paresse ». Le verbe suggère la volupté de ne rien faire à un moment donné alors que le substantif contient en lui l’idée d’un trait de caractère, d’un comportement habituel, d’un état d’esprit.

 

16.   Il est considéré comme grave de vivre en paresseux, mais en définitive délicieux de savoir paresser de temps en temps.

 

17.   La paresse est montrée du doigt ; paresser est, au pire toléré, au mieux loué !

 

18.   Si l’on a le goût de la paresse, il faut devenir grand stratège et apprendre à travailler rapidement, efficacement pour garder le temps le plus long possible à ce doux plaisir tant décrié !

 

19.   Mais de quoi est au juste faite la paresse ? Consiste-t-elle à ne rien faire ? Au farniente ? Au « I would prefer not to » de Bartleby ? Auquel cas, la paresse ne peut être définie que négativement comme un ne rien faire, un non faire, un non exister momentané, un laps de temps allégé de toute contrainte horaire où rien n’a lieu, où l’être se dissout dans l’absence et un certain néant.

 

20.   Si la paresse permet la connaissance intuitive du rien, n’est-ce pas déjà quelque chose de suprêmement exaltant ?

 

21.   N’entretient-elle pas, par ailleurs, un lien intime avec l’oisiveté ? N’auraient-elles pas une solide parenté l’une par rapport à l’autre ?

 

22.   L’oisiveté comme la paresse accordent la part belle à l’hédonisme. On songe au « Fay ce que vouldras » inscrite à la porte de l’abbaye de Thélème imaginée par Rabelais. Toutefois, malgré l’apparente proximité avec la pensée de Nietzsche « Si Dieu est mort, tout est permis », elle s’en distingue de façon radicale car elle présuppose que ceux qui ont le privilège d’entrer en un tel lieu, non seulement ne sont pas athées, mais surtout sont dotés d’une élévation spirituelle et éthique telle que le « fais ce que vouldras » ne pourra jamais signifier « tout est permis ».

 

23.   Paresse pour les uns, activité heureuse et épanouissante pour les autres : tout est affaire d’optique et de vision du monde.

 

24.   Et si, en plus, la paresse est vécue comme une expérience d’accomplissement, de plénitude, d’état extatique, proche d’un état végétatif heureux, celui-là même que décrit Rousseau dans la cinquième Promenade des Rêveries du Promeneur solitaire, alors décidément, il ne faut plus hésiter, ne serait-ce qu’une seconde et, toute affaire cessante, paresser à loisir pour enfin connaître la béatitude ici-bas !

 

 

©Dominique Zinenberg, Vernon le 25 mai 2018

 

Dominique Zinenberg

Francopolis – Mai-Juin 2022

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