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Ou les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage.

 

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 GUEULE DE MOTS –ARCHIVES

(2010-2017)

 

 

GUEULE DE MOTS



Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...

Cette rubrique reprend un second souffle en ce début 2014 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture...etc.

 

 

http://www.francopolis.net/rubriques/sakurai06.gifCE MOIS DE  SEPTEMBRE 2017

 

FRANÇOIS MINOD

L’affaire Monsenge

M. Monsenge est entré dans le bar à 15h38. Il s’est assis à la table jouxtant le portemanteau, a commandé un demi-pression à 15h43, a consulté son agenda à 15h48, a demandé au garçon où étaient les toilettes à 15h57, s’y est rendu, est retourné à sa table à 16h04, a terminé son demi à 16h07, a sorti son téléphone portable à 16h08, a passé un coup de fil et a raccroché à 16h10.

Il a ensuite demandé au garçon d’encaisser l’addition, s’est levé à 16h13, et a quitté le bar à 16h14.

C’est tout ?

Eh bien oui, je crois.

Ne croyez pas, dîtes tout. Allez ! Cherchez !

Ah oui, il s’est gratté la tête pendant dix secondes à 15h42.

Juste avant de commander le demi ?

C’est ça.

Autre chose ?

Oui, il a toussé en regardant vers la table de droite près de la fenêtre.

Autre chose encore ?

Oui, il a pété quand il s’est déplacé pour aller aux toilettes.

Quand ça ?

À 16h01.

Intéressant. Quoi d’autre ?

Vous en voulez encore ?

Oui, bien sûr, je veux savoir tous les faits et gestes de cet individu durant son passage dans ce bar.

Tout, absolument tout ?

Oui, tout, je ne veux pas être soupçonné de négligence, c’est trop important.

D’accord mais on ne va pas y passer toute la nuit, on ne peut pas tout relater.

Si, je vous l’ai dit, je ne veux rien négliger, sinon on risque de me reprocher de mentir par omission.

Ah oui, je vois. Bon, c’est bien parce que c’est vous.

Au fait, vous me couvrez toujours pour mon petit business ?

Mais oui, puisque je vous l’ai dit. Allez dites-moi. Quoi d’autre ?

C’était juste pour être sûr. Vaut mieux par les temps qui courent.

Allez, allez, dites-moi tout ce que vous savez encore et surtout n’omettez rien, hein, sinon je vous considèrerai comme menteur par omission, et alors là, votre petit business, vous pouvez lui dire adieu pour toujours.

Non, non, menteur par omission, pas question. Bon, nous disions donc… Ah oui, il a demandé des cacahuètes au garçon à 15h54.

Vous voyez quand vous voulez, quoi d’autre ?

Après ce sont des détails.

Allez, allez, dites tout ce que vous savez.

Il a croisé les bras à 15h44, les a décroisés à 15h45.

Encore, encore !

- Il s’est gratté la narine à 15h47.

Droite ou gauche ?

Quoi ?

La narine.

Je ne me souviens plus.

N’essayez pas de mentir par omission, hein ?

Droite, mettez droite.

Vous êtes sûr ?

Oh que oui ! Droite la narine, on ne peut plus droite.

Autre chose ?

Oui, oui, il a eu des mauvaises pensées à 16h05.

Comment le savez-vous ?

Ça se voyait.

Ce n’est pas factuel, c’est votre interprétation.

N’empêche…

Il n’y a pas de n’empêche. Des faits, des gestes, le reste ne nous regarde pas.

D’accord, d’accord, ne vous énervez pas.

Autre chose ?

Non.

Vous êtes sûr ?

Non, heu, oui.

Non ou oui ?

Non, je veux dire…

Non, donc terminé

Et mon affaire ?

Quelle affaire ?

Vous savez bien, mon petit business.

Vous avez un business ?

Ben oui, vous savez bien !

Non, je ne sais rien.

Mais enfin, je suis votre indicateur et mon business… c’est notre arrangement… vous fermez les yeux…

C’est ça, je ferme les yeux, je ne sais rien, allez salut.

 

F. Minod in L’homme au banc, Ed. Hesse, 2013

Septembre 2017