Karim
Bonjour François,
J'aimerais que sous la forme d'un dialogue, nous parlions de ton
recueil, Une teinte en retrait, qui vient de paraître chez
Obsidiana Press. C'est pour la revue en ligne Francopolis dont je viens
tout juste de devenir membre. Est-ce que tu veux bien? Toute cette
correspondance par mails, tout ce que je suis en train de dire,
figurera dans l'article.
Amicalement,
Karim
François
Bonjour Karim,
Je te remercie pour ta proposition de dialogue autour de, Une teinte en
retrait, proposition que j'accepte tout en sachant que ce recueil a
désormais sa vie propre dans les mains des lecteurs. Comme je
l'indique dans la quatrième de couverture, c'est de l'intime
denrée partagée. Cette singulière idée de
dialogue mise en ligne me séduit. Ainsi, entamons
l'échange !
Bien à toi,
François
K.
« De l’intime denrée partagée », dis-tu, pour
qualifier ton recueil ; serait-ce là aussi une définition
possible de la poésie ? Et la poésie selon toi, doit-elle
toujours être partage ?
F.
La poésie est une offrande, elle est là pour conjurer les
sorts, elle est vers cette chère humanité sensible voir
souffrante. Si elle n'est pas toujours partage elle est
néanmoins révélation de l'intime ou du mystique ou
de l'ordre du secret du monde. Elle est grille de compréhension
du monde, du vivant et du spirituel. Elle est à la fois vision
et rêve, transe et raison au delà de la raison
étriquée commune. C'est un acte d'amour, de foi,
d'engagement; en cela, oui, elle est vouée au partage et
même plus loin à la communion d'une pensée
d'identification, de paix, de ralliement à un idéal...
Mais chaque lecteur en retire son lot, sa part de rêve et de
consolation.
K.
Dans les premières pages de ton recueil, tu écris :
« c’est dans l’écriture vivifiante que se
régénère l’être ». Me viennent alors
ces questions : poésie et métaphysique sont-elles
liées ? Qu’est-ce qu’une écriture vivifiante ? Et
comment doit-on écrire pour avoir une écriture vivifiante
?
F.
Reverdy dit que le poète écrit pour se réaliser,
quand je parle d'écriture vivifiante, je pense que le
poète y met son expérience de vie, ses bonheurs et
même ses souffrances transcendées par le verbe, la
poésie est un défi ontologique, c'est comme se
décider à aller de l'avant en marchant comme l'acte de
l'enfant qui fait ses premiers pas, il y a une part d'inconnu et un
enjeu clair de vivre. En espagnol, se mettre à marcher se dit
"echarse a andar" littéralement se jeter à marcher, il y
a des repères mais aussi une part d'inconnu de l'acte et du but
à atteindre. Pour moi il est clair que la métaphysique et
la poésie sont étroitement liées, nous
interrogeons le monde et nous-même particulièrement en
poésie par laquelle on espère même des miracles. Ce
que tu me poses comme question : "comment doit-on écrire pour
avoir une écriture vivifiante ?" ne permet pas une
réponse monolithique, en chacun de nous nous avons des moyens
d'expression, un vocabulaire qui sont en quelque sorte des leviers pour
s'en sortir, se relever, retrouver vigueur et allant.
L'expérience vécue, la lecture des œuvres
littéraires ont parfois un impact important sur le choix
d'aiguillage dans la vie. La poésie sauvera le monde ou pour le
moins change déjà le lecteur dans sa vision, son rapport
au monde, dans sa destinée même. Par conséquent, le
souhait d'une qualité de vie, d'une certaine discipline curieuse
et créative ainsi qu'une approche de l'autre et "les ailes du
courage" pour citer George Sand peuvent permettre de trouver en soi les
ressources afin de célébrer la vie. D'où les deux
tendances antagonistes "Viva la vida !" contre "Viva la muerte !". En
dehors de ces extrêmes qui peuvent paraître
évidents, la richesse lexicale, l'appel aux images et aux
métaphores, aux rêves, au rythme entrainant non pas de la
marche mais de la danse... sont des éléments clés.
Voici un aperçu de réponse.
K.
François, tes poèmes sont beaux. Dans chacun d’eux je
retrouve ta ferveur à vivre en compagnie de la poésie ;
ta ferveur à vivre, tout simplement. Avec en trame de fond la
trentaine de recueils que tu as publiés, je retrouve dans ce
nouvel opus ton attrait pour la lumière, ton lyrisme
méditerranéen, ton chant d’oiseau subtil,
libérateur, ta quête d’universel, tes souffrances
existentielles et leurs dépassements, tes fulgurances, ta
sensibilité à fleur de peau et ta profondeur d’âme.
Il y a un peu plus de dix ans, quand nous nous sommes rencontrés
pour la première fois au Full Gnawa, café
littéraire de Montpellier, tu t’es présenté comme
« poète ». Et je me suis dit à moi-même
: « puis-je me nommer ainsi ? ». Bien sûr que je me
sentais poète, mais en même temps n’était-ce pas
prétentieux que de l’affirmer publiquement ? Puis les
années ont passé et j’ai su me positionner sur cette
question. Je peux t’en dire quelques mots si tu le souhaites ; mais
avant, dis-moi si tu te considères toujours comme «
poète » ?
F.
Oui, cher Karim, je me considère toujours comme poète.
Même si la vocation date de l’enfance, je fais la remarque
désormais que mon écriture poétique est presque
exclusivement liée à ma ville de Montpellier… Et pour te
répondre sur la prétention de se déclarer
poète, elle n’est pas plus folle que de se dire peintre ou
artiste. Cette affirmation d’être poète m’a
été confortée par la position de Gherasim Luca qui
se revendiquait poète en dépit de tous ceux qui niaient
cette réponse. De plus, pour moi, ayant une relation quotidienne
à la poésie, soit par la lecture soit par
l’écriture soit encore par l’écoute, c’est une
évidence. Je voudrais conclure avec le premier vers d’une de mes
poètes favoris, Eeva-Liisa Manner : « De ma vie je fais un
poème, du poème une vie ».
K.
Je me doutais de ta réponse, cher François. Sache que moi
aussi je me considère comme « poète » et que
je le clame comme il se doit. Et cela, sans prétention aucune.
Aujourd’hui en France, on prend ceux qui se reconnaissent comme «
poètes » pour des prétentieux ou des naïfs.
Mais quel mal y a-t-il à se connaître soi-même ? En
gage de votre authentique talent, les gens vous demandent si vous avez
publié beaucoup de livres et veulent savoir si vous connaissez
le succès médiatique. Quelle misère spirituelle !
Quand aux poètes eux-mêmes, ils réagissent mal
à cette attitude en vous faisant remarquer que c’est au lecteur
de décider si l’on est poète ou pas ; ou bien ils vous
accordent ce titre si un des leurs, – fameux ! un poète reconnu
? –, a bien voulu vous reconnaitre comme tel. Et les voilà
contents d’être modestes, alors qu’ils sont poltrons de leur vie.
Parfois ils vous disent, – et qui ne l’a pas dit au moins une fois ? –,
gênés, presque honteux : « Oh ! Disons que j’essaie
d’écrire de la poésie… ». Des choses comme
ça… Que de prudence ! Que de prudence ! C’est dire que notre
civilisation étouffe les potentialités, ne reconnait pas
la place de l’artiste dans la cité et dans le cosmos. Les
poètes semblent exercer leur art dans l’errance ; ils ne savent
plus qui ils sont, – quand l’ont-ils su ? Les poètes sont
des poètes, à ce que je sache, des voyageurs du visible
et de l’invisible en quête de mondes meilleurs, des chercheurs et
des créateurs de beauté, des êtres
véritablement connectés au réel, des
quêteurs de sens, etc.
***
***
Un poème
extrait du recueil :
Le matin qui ouvre grand la gueule du jour
Le soleil implacable de tous les absolus
La rue qui tremble et vacille
L’air sec et chaud qui entre par les fenêtres
Te voici été des forges
Te voici fondant le plomb en or
Et dans le silence total
Après les absences
Les tourments
La poésie se décline
La poésie s’affirme
Sur l’écran des imaginaires
Sur le clavier des impromptus
Ainsi va somnolent le poète
Qui d’un instant de tranquillité
Cherche un moment de grâce
Un moment irrésolu et indomptable
Qui marque de son sceau
La page qui n’est plus vierge
Et qui porte à jamais
Le regard d’un homme
Au plus profond des abysses de l’âme
30/06/2013
***
François Szabo est un
poète vivant à Montpellier ayant fait le pari de vivre sa
poésie dans une existence littéraire quotidienne dans son
rapport au monde. Sa démarche est d'entretenir une harmonie
entre mélodie de l'existence et de la parole poétique.
Organisant des cycles de lectures poétiques polyglottes et ne
renonçant pas à être même poète public
dans la rue, c'est en militant de la poésie qu'il se trouve une
place dans la cité. De nombreux recueils sont disponibles,
principalement chez Obsidiana Press.
Viisiter Son blog : françois szabo blog