GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010

Eric Dubois - Hélène Soris - Laurence Bouvet

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GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...
Cette rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR...
libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle
à l'écriture. etc

Ce mois...  mai 2014

  Libre parole à…             Karim  Cornali     et          François Szabo

           

 Dialogue autour de « Une teinte en retrait »
de François Szabo (Obsidiana Press)
 




Karim
Bonjour François,
J'aimerais que sous la forme d'un dialogue, nous parlions de ton recueil, Une teinte en retrait, qui vient de paraître chez Obsidiana Press. C'est pour la revue en ligne Francopolis dont je viens tout juste de devenir membre. Est-ce que tu veux bien? Toute cette correspondance par mails, tout ce que je suis en train de dire, figurera dans l'article.
Amicalement, 
Karim

François
Bonjour Karim,
Je te remercie pour ta proposition de dialogue autour de, Une teinte en retrait, proposition que j'accepte tout en sachant que ce recueil a désormais sa vie propre dans les mains des lecteurs. Comme je l'indique dans la quatrième de couverture, c'est de l'intime denrée partagée. Cette singulière idée de dialogue mise en ligne me séduit. Ainsi, entamons l'échange !
Bien à toi,
François

K.
« De l’intime denrée partagée », dis-tu, pour qualifier ton recueil ; serait-ce là aussi une définition possible de la poésie ? Et la poésie selon toi, doit-elle toujours être partage ?

F.
La poésie est une offrande, elle est là pour conjurer les sorts, elle est vers cette chère humanité sensible voir souffrante. Si elle n'est pas toujours partage elle est néanmoins révélation de l'intime ou du mystique ou de l'ordre du secret du monde. Elle est grille de compréhension du monde, du vivant et du spirituel. Elle est à la fois vision et rêve, transe et raison au delà de la raison étriquée commune. C'est un acte d'amour, de foi, d'engagement; en cela, oui, elle est vouée au partage et même plus loin à la communion d'une pensée d'identification, de paix, de ralliement à un idéal... Mais chaque lecteur en retire son lot, sa part de rêve et de consolation.

K.
Dans les premières pages de ton recueil, tu écris : « c’est dans l’écriture vivifiante que se régénère l’être ». Me viennent alors ces questions : poésie et métaphysique sont-elles liées ?  Qu’est-ce qu’une écriture vivifiante ? Et comment doit-on écrire pour avoir une écriture vivifiante ?

F.
Reverdy dit que le poète écrit pour se réaliser, quand je parle d'écriture vivifiante, je pense que le poète y met son expérience de vie, ses bonheurs et même ses souffrances transcendées par le verbe, la poésie est un défi ontologique, c'est comme se décider à aller de l'avant en marchant comme l'acte de l'enfant qui fait ses premiers pas, il y a une part d'inconnu et un enjeu clair de vivre. En espagnol, se mettre à marcher se dit "echarse a andar" littéralement se jeter à marcher, il y a des repères mais aussi une part d'inconnu de l'acte et du but à atteindre. Pour moi il est clair que la métaphysique et la poésie sont étroitement liées, nous interrogeons le monde et nous-même particulièrement en poésie par laquelle on espère même des miracles. Ce que tu me poses comme question : "comment doit-on écrire pour avoir une écriture vivifiante ?" ne permet pas une réponse monolithique, en chacun de nous nous avons des moyens d'expression, un vocabulaire qui sont en quelque sorte des leviers pour s'en sortir, se relever, retrouver vigueur et allant. L'expérience vécue, la lecture des œuvres littéraires ont parfois un impact important sur le choix d'aiguillage dans la vie. La poésie sauvera le monde ou pour le moins change déjà le lecteur dans sa vision, son rapport au monde, dans sa destinée même. Par conséquent, le souhait d'une qualité de vie, d'une certaine discipline curieuse et créative ainsi qu'une approche de l'autre et "les ailes du courage" pour citer George Sand peuvent permettre de trouver en soi les ressources afin de célébrer la vie. D'où les deux tendances antagonistes "Viva la vida !" contre "Viva la muerte !". En dehors de ces extrêmes qui peuvent paraître évidents, la richesse lexicale, l'appel aux images et aux métaphores, aux rêves, au rythme entrainant non pas de la marche mais de la danse... sont des éléments clés. Voici un aperçu de réponse.

K.
François, tes poèmes sont beaux. Dans chacun d’eux je retrouve ta ferveur à vivre en compagnie de la poésie ; ta ferveur à vivre, tout simplement. Avec en trame de fond la trentaine de recueils que tu as publiés, je retrouve dans ce nouvel opus ton attrait pour la lumière, ton lyrisme méditerranéen, ton chant d’oiseau subtil, libérateur, ta quête d’universel, tes souffrances existentielles et leurs dépassements, tes fulgurances, ta sensibilité à fleur de peau et ta profondeur d’âme.
Il y a un peu plus de dix ans, quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois au Full Gnawa, café littéraire de Montpellier, tu t’es présenté comme « poète ». Et je me suis dit à moi-même : « puis-je me nommer ainsi ? ». Bien sûr que je me sentais poète, mais en même temps n’était-ce pas prétentieux que de l’affirmer publiquement ? Puis les années ont passé et j’ai su me positionner sur cette question. Je peux t’en dire quelques mots si tu le souhaites ; mais avant, dis-moi si tu te considères toujours comme « poète » ?

F.
Oui, cher Karim, je me considère toujours comme poète. Même si la vocation date de l’enfance, je fais la remarque désormais que mon écriture poétique est presque exclusivement liée à ma ville de Montpellier… Et pour te répondre sur la prétention de se déclarer poète, elle n’est pas plus folle que de se dire peintre ou artiste. Cette affirmation d’être poète m’a été confortée par la position de Gherasim Luca qui se revendiquait poète en dépit de tous ceux qui niaient cette réponse. De plus, pour moi, ayant une relation quotidienne à la poésie, soit par la lecture soit par l’écriture soit encore par l’écoute, c’est une évidence. Je voudrais conclure avec le premier vers d’une de mes poètes favoris, Eeva-Liisa Manner : « De ma vie je fais un poème, du poème une vie ».

K.
Je me doutais de ta réponse, cher François. Sache que moi aussi je me considère comme « poète » et que je le clame comme il se doit. Et cela, sans prétention aucune. Aujourd’hui en France, on prend ceux qui se reconnaissent comme « poètes » pour des prétentieux ou des naïfs. Mais quel mal y a-t-il à se connaître soi-même ? En gage de votre authentique talent, les gens vous demandent si vous avez publié beaucoup de livres et veulent savoir si vous connaissez le succès médiatique. Quelle misère spirituelle ! Quand aux poètes eux-mêmes, ils réagissent mal à cette attitude en vous faisant remarquer que c’est au lecteur de décider si l’on est poète ou pas ; ou bien ils vous accordent ce titre si un des leurs, – fameux ! un poète reconnu ? –, a bien voulu vous reconnaitre comme tel. Et les voilà contents d’être modestes, alors qu’ils sont poltrons de leur vie. Parfois ils vous disent, – et qui ne l’a pas dit au moins une fois ? –, gênés, presque honteux : « Oh ! Disons que j’essaie d’écrire de la poésie… ». Des choses comme ça… Que de prudence ! Que de prudence ! C’est dire que notre civilisation étouffe les potentialités, ne reconnait pas la place de l’artiste dans la cité et dans le cosmos. Les poètes semblent exercer leur art dans l’errance ; ils ne savent plus qui ils sont, – quand l’ont-ils su ?  Les poètes sont des poètes, à ce que je sache, des voyageurs du visible et de l’invisible en quête de mondes meilleurs, des chercheurs et des créateurs de beauté, des êtres véritablement connectés au réel, des quêteurs de sens, etc.

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Un poème extrait du recueil :

Le matin qui ouvre grand la gueule du jour
Le soleil implacable de tous les absolus
La rue qui tremble et vacille
L’air sec et chaud qui entre par les fenêtres
Te voici été des forges
Te voici fondant le plomb en or
Et dans le silence total
Après les absences
Les tourments
La poésie se décline
La poésie s’affirme
Sur l’écran des imaginaires
Sur le clavier des impromptus
Ainsi va somnolent le poète
Qui d’un instant de tranquillité
Cherche un moment de grâce
Un moment irrésolu et indomptable
Qui marque de son sceau
La page qui n’est plus vierge
Et qui porte à jamais
Le regard d’un homme
Au plus profond des abysses de l’âme
30/06/2013

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François Szabo est un poète vivant à Montpellier ayant fait le pari de vivre sa poésie dans une existence littéraire quotidienne dans son rapport au monde. Sa démarche est d'entretenir une harmonie entre mélodie de l'existence et de la parole poétique. Organisant des cycles de lectures poétiques polyglottes et ne renonçant pas à être même poète public dans la rue, c'est en militant de la poésie qu'il se trouve une place dans la cité. De nombreux recueils sont disponibles, principalement chez Obsidiana Press.

Viisiter Son blog : françois szabo blog


Karim Cornali,
connu pour sa Revue de Voyage Kahel

         pour Gueule de mots mai 2014
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