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GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010-2011
Jean-Pierre Lesieur - Serge Maisonnier - Juliette Clochelune... et plus |
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GUEULE DE MOTS
Cette
rubrique reprend un second souffle en ce début 2014 pour laisser
LIBRE PAROLE À
UN AUTEUR...Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage... libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture...etc.
JEUDI SAINT Ce fut comme une trace, sorte de pan de rêve encore suspendu au matin, juste à l’interstice du jour naissant. Le lieu ne pouvait en rien s’y accorder, fait de mouvements pressés de piétons, avec quelques cris d’enfants au sortir d’une école, et plus loin de moi, à l’écart, l’onde souple de la circulation automobile. Ce fut ensuite sous la verrière d’une gare, un silence que rompaient les annonces de départs et d’arrivées. Sous les panneaux, les voyageurs se tenaient silencieux, le visage levé, tendu. J’ai dès l’abord vu cette attente ailleurs, dans un temps qui n’était pas celui-là. Par instants, un groupe se détachait pour se diriger vers un quai, dont le numéro venait de s’inscrire en cristaux liquides. J’ai senti cela comme une évidence qu’il fallait y penser. Je l’ai laissé fuir ensuite, lambeau de rêve incohérent, abandonné dans un battement de paupière, au réveil. Il restait cependant un arrière-plan à chaque chose vue, la certitude que derrière l’apparence ordinaire des choses, s’étaient glissées d’autres significations, qui littéralement venaient heurter les contours de cet espace-là. J’ai à nouveau
tenté d’oublier. Dans le kiosque à journaux, deux flux de
voyageurs se contrariaient pour entrer ou sortir. Leurs gestes m’ont
paru déplacés. Quelque chose d’essentiel ailleurs se
déroulait, qui rendait leur présence à cet
endroit, incongrue et nécessaire. Ils étaient partie
prenante d’une scène qui se jouait en dehors d’eux et pour eux. Dans une pièce un peu étroite, un groupe d’hommes étaient assis en cercle. Il y avait eu d’abord le bruit confus des conversations. Il s’était apaisé progressivement. Chacun, je le savais, pouvait deviner dans le regard des autres, l’importance de ce silence à venir. Des femmes se tenaient à l’écart. Elles avaient déposé sur la table, du vin et des pains encore tièdes. L’une d’elles regardait fixement l’Homme au centre. Elle attendait le signe. N’avait-elle, pas quelques années auparavant, accepté d’être là, initiatrice d’une histoire dont elle ne concevait pas nettement le dénouement, mais qu’elle savait, de tout temps, hors d’elle et en elle. Il venait de se
lever. Il a commencé à parler d’une voix un peu forte
comme à l’accoutumée. Mais ce n’était pas
nécessaire alors. Le silence de la ville s’était
amplifié jusqu’aux remparts que l’ocre du couchant teintait
encore par endroits. Tous se taisaient. Il a rompu le pain pour le
partager avec tous. Il a servi le vin, lentement. Ils écoutaient
sans comprendre les paroles qu’Il prononçait calmement. |
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