GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010

Eric Dubois - Hélène Soris - Laurence Bouvet - André Chenet - Aglaé Vadet...

.
GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...
Cette rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR...
libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle
à l'écriture. etc

Ce mois de septembre 2010

  Libre parole à… Laurent Fels

Quand la culture, l’intelligence se double d’un art poétique; quand la signification des mots, des origines se double d’une sensibilité de poète, l’oeuvre écrite prend une dimension à nulle autre pareille. C’est le cas de l’oeuvre de Laurent Fels.
(Michel Ostertag)


L’intelligence faite poésie

J’ai fait des études de Lettres modernes et de Lettres classiques au Centre universitaire de Luxembourg et à l’Université de Metz. La littérature est peut-être l’un des rares moyens permettant de se tenir à l’écart d’une société décadente qui est animée par un goût insatiable de réussite matérielle et de reconnaissance éphémère, tout en restant ancré dans ce que j’appellerais un humanisme vivant où l’Homme – avec toutes ses facultés intellectuelles et morales – est au centre. Je pense que les études littéraires – classiques ou modernes – et philosophiques élargissent l’horizon de celui qui les pratique avec la rigueur nécessaire et le discernement critique qui est de mise dans toute entreprise de l’esprit, quelle que soit sa nature.

C’est ainsi que je me suis engagé dans les sites Internet à la recherche de l’autre.
Car si nous partons de l’idée que la littérature est tout d’abord un échange – et donc un partage –, il est évident qu’il faut réserver une place importante à l’Autre. La littérature passe par l’Autre, même si elle peut se passer de l’autre. L’écriture poétique reste, pour moi, une activité solitaire (et il ne faut pas y voir une contradiction !). On écrit toujours avec ce que l’on est, ce que l’on a vécu et ce que l’on a vu. Forcément, l’Autre (c’est-à-dire ce qui est inconnu ou étranger) constitue un point central dans toute démarche littéraire. Depuis beaucoup d’années, je suis de près l’évolution des milieux poétiques et j’essaie d’apporter ma contribution – si modeste soit-elle – à la diffusion d’œuvres qui le méritent.  J’ai toujours reproché à certains «grands» écrivains d’aujourd’hui (et j’utilise l’adjectif avec mille précautions !) d’être trop égocentriques, voire égoïstes dans la mesure où ils ont tendance à rejeter d’emblée toute œuvre n’émanant pas de leur plume. Auraient-ils peur d’une concurrence émergeante…? Pour citer une amie – José Ensch – qui m’était chère, mais qui est malheureusement décédée voici quelques années, je dirais que, si les égoïstes savaient ce qu’on reçoit en donnant, ils seraient altruistes par intérêt.

En 2004, le romancier parisien Joseph Ouaknine et moi-même avons fondé la revue trimestrielle Les Cahiers de Poésie ainsi que Les Éditions Poiêtês qui publient essentiellement des écrivains contemporains. Par ailleurs, j’ai eu le grand plaisir de rejoindre le comité des Éditions Estuaires ainsi que le Syndicat des Écrivains luxembourgeois. Le but de ces institutions est de défendre les intérêts des écrivains et surtout des poètes contemporains.

On me demande souvent : “Pourquoi écrivez-vous des poèmes ?”
La question est difficile et nous oblige à remonter à l’origine du processus créateur. Doit-on dire avec Saint-John Perse : «À la question toujours posée : 'Pourquoi écrivez-vous ?' la réponse du Poète sera toujours la plus brève : 'Pour mieux vivre' » ? Personnellement, je pense que l’écriture n’aide pas à mieux vivre. Au contraire. C’est autour de la névrose que se cristallise le symbole qui, dans une phase ultérieure – c’est-à-dire après être passé par le kaléidoscope de l’inconscient – constitue le premier fragment d’une œuvre en devenir. Il faut avoir vécu beaucoup de moments de solitude et de désespoir pour que le premier vers d’un poème, voire le premier mot d’un vers puissent s’écrire. Et encore. Avec le temps, on mûrit et on devient plus sélectif. On élimine la tare superfétatoire. On se rapproche de plus en plus d’une poétique du dépouillement. C’est précisément lorsque le cœur éclate en silences que l’œuvre prend forme dans les tréfonds subliminaux et jaillit – à des instants très rares dans une vie humaine – comme un geyser à la frontière d’un désert de glaciers. Ce moment n’existe peut-être qu’une seule fois dans la vie d’un écrivain et c’est à ce moment-là qu’il produit un chef-d’œuvre.

Je dois dire, également, que je suis très proche des philosophies d’Extrême-Orient et surtout du Taoïsme. Je citerais peut-être un fragment du Tao-tö king de Lao-tseu qui n’est pas du tout incompatible avec l’écriture, mais qui rejoint cet « art du peu » et cette « poétique du silence » que je préconise tant : « Face à la parole clamée, garder le silence est de pure sagesse ». Michel Ostertag a d’ailleurs repris ce passage dans son recueil Jalons.

Bien sûr en art poétique on parle facilement d’inspiration ! D’abord, qu’est-ce que l’inspiration ?
Si nous en restons au sens étymologique du terme, ce serait une sensation qui nous serait insufflée par une force extérieure. Paul Valéry parle du premier vers qui est donné au poète. Il me semble toutefois que les choses sont beaucoup plus complexes et la critique journalistique l’a bien compris, mais elle se trouve parfois désarmée par la difficulté et les enjeux du processus créateur. Le point de départ d’un poème est généralement lié à ce que j’ai appelé ailleurs un « choc poétique ». En d’autres termes, au cours de sa vie, l’écrivain – et cela vaut pour les artistes en général – entend, voit et vit beaucoup de choses de natures tout à fait différentes. Et ces choses-là vont se transformer, peu à peu, après avoir mûri longtemps dans l’inconscient qui les fait rejaillir sous une forme ou sous une autre. (Cette réflexion me fait d’ailleurs penser à Rilke.) Aussi une œuvre poétique est-elle presque toujours le fruit d’une auto-psychanalyse de l’écrivain. On écrit toujours – et je me permets de le répéter – avec ce que l’on est, avec ce qui nous touche et qui nous fait frémir. Chaque pas que nous faisons en poésie nous rapproche dangereusement d’un précipice sombre et incertain. Et cette incertitude – ou ce questionnement – se reflète dans l’œuvre.



***


Laurent FELS
Né à Esch-sur-Alzette (Luxembourg). est enseignant-chercheur au Grand-Duché de Luxembourg et écrivain d'expression française
Études universitaires de Lettres françaises, de latin et de grec ancien.
Il s'intéresse à la langue et à la littérature sanskrites.
Critique littéraire, essayiste, poète et préfacier.
Directeur de la revue trimestrielle Les Cahiers de Poésie
Président-fondateur des Éditions Poiêtês spécialisées en matière de poésie.
Membre du comité de rédaction des Éditions Estuaires (Luxembourg).
Membre du Syndicat des Écrivains luxembourgeois (LSV).
Membre de l'Association des Amis de la Fondation Saint-John Perse (Aix-en-Provence).
Membre de l'Association des Amis de Marcel Pagnol (Marseille).
Membre de l'Association des Alchimistes du Verbe (St Herblain).
Membre de la Société de Littérature générale et comparée (Luxembourg).

Son œuvre a été couronnée par le Grand Prix de Littérature de l'Académie nationale de Metz en 2007.


Axes de recherches:
- Saint-John Perse
- Marcel Pagnol
- La poésie des XIXe, XXe et XXIe siècles
- La littérature de l'Antiquité gréco-latine


Parutions Poésie:

  • Voyage au bout de l'étoile, Paris, Éditions Le Manuscrit, coll. « Poésie », 2004 [épuisé].
  • Paroles Oubliées, Paris, Éditions Le Manuscrit, coll. « Poésie », 2005 [épuisé].
  • Dire l'Indicible / Das Unsagbare in Worte fassen, traduction en allemand par Chantal Scheiwen, Paris, Éditions Le Manuscrit, coll. « Poésie », 2005 [épuisé].
  • Le Cycle du Verbe / Wortzyklus, traduction en allemand par Chantal Scheiwen, illustrations de Pascale Cornen, d'Éric Dubois et de Joseph Ouaknine, Montreuil-sous-Bois, Éditions Joseph Ouaknine, 2005.
  • Îles enchantées, Luxembourg, Éditions Poiêtês, coll. « Poésie », 2005 [épuisé]
  • Comme un sourire / Wie ein Lächeln, traduction en arabe par Jalel EL Gharbi, traduction en allemand par Rüdiger FISCHER, illustrations de Janine Laval, Montreuil-sous-Bois, Éditions Joseph Ouaknine, 2006.
  • Intermittences / Intermitente / Intervalle, avec une préface de Daniel Aranjo, traduction en roumain par Constantin Frosin, traduction en allemand par Rüdiger Fischer, illustrations de Brigitte Ghilain, Montreuil-sous-Bois, Éditions Joseph Ouaknine, 2007.
  • La dernière tombe restera ouverte, fragments poétiques, avec une préface de René Welter, Colomiers, Éditions Encres Vives, coll. « Encres blanches » (n°301), 2007.
  • Ourganos, avec une préface de Paul Mathieu, calligraphies de Luc Templier, Luxembourg, Éditions Poiêtês, 2008.
  • Nielles, suivi de Cadastres du babel de Paul Mathieu, Luxembourg, Éditions Estuaires, coll. « 99 », 2008 [épuisé].
  • Arcendrile, suivi de Nielles, avec une préface de Bernard Noël, Cordes-sur-Ciel, Éditions Rafael de Surtis, coll. « Pour une Terre interdite », 2009.
  • À contre-jour, avec une préface d'Emile Hemmen, Cordes-sur-Ciel, Éditions Rafael de Surtis, coll. « Pour une Terre interdite », 2010.
     et plus sur ses participations sur WikipédiA

    - Chronique de Laurent Fels : Revue mensuelle Francopolis
    - Elisa Huttin et Anize Koltz
- Evelyne André Guidici - Eric Dubois - Corinne Sauffier -




         pour Gueule de mots septembre 2010
recherche Michel Ostertag


Site créé le 1er mars 2002-Rubriques novembre 2004

textes sous copyright