|
||
GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010-2011
Jean-Pierre Lesieur - Serge Maisonnier - Juliette Clochelune... et plus |
.
GUEULE DE MOTS
Cette
rubrique reprend un second souffle en ce début 2014 pour laisser
LIBRE PAROLE À
UN AUTEUR...Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage... libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture...etc.
Quand et
comment avez-vous rencontré la poésie ? Qui vous a
inspiré… etc. François J’ai
commencé à écrire à l’âge de 10 ans,
après avoir découvert par hasard le
recueil de poèmes de Paul Eluard L’Amour
la poésie dans la
bibliothèque de mon père. Je suis tombé sur le
vers devenu célèbre :
« La terre est bleue comme une orange ».
Pourquoi
ce vers a-t-il
déclenché en moi l’envie irrépressible
d’écrire de la poésie ? A 10 ans, on
ne sait pas encore le pourquoi de l’écriture. Encore moins le
comment. Il
n’empêche. Dès le lendemain, j’ai écrit mon premier
poème dans un cahier
d’écolier. Je n’ai pas arrêté depuis. Au
départ, les mots étaient un peu comme
ces lego que les enfants empilent pour s’amuser. Ils me permettaient
brusquement de m’abstraire du quotidien scolaire, et
d’échafauder en toute
liberté, loin du regard de mes parents, des constructions
verbales fantasques,
ô combien balbutiantes et maladroites bien sûr, mais qui me
donnaient
l’impression, dans la solitude de ma chambre, de sortir du monde
réel pour me
réfugier dans un monde inconnu dans lequel mon imaginaire
n’avait pas de
limites. Je me suis alors littéralement plongé dans la
poésie, à corps perdu,
avec la naïveté et la fougue d’un enfant plutôt
réservé. J’écrivais
plusieurs poèmes par jour, en proie
à une frénésie d’écriture que
j’étais bien incapable de contrôler. Je n’en
avais d’ailleurs aucune envie. Au fil des années, le patient
travail sur les
mots, sur les rythmes, sur les images, sur la musique à la fois
retorse et
jubilatoire des vers libres, ont conforté cette envie
d’écrire. Mon écriture
est devenue - du moins je l’espère ! - plus précise,
plus structurée, au
fur et à mesure que je prenais conscience de ce que
j’écrivais, et du long chemin
de réflexion que je parcourais pas à pas, sans me
presser, mais avec la volonté
farouche de toujours aller de l’avant. Au sortir de l’adolescence,
comme dans une
sorte de prolongement qui m’apparaissait évident, j’ai
commencé à pratiquer
l’écriture théâtrale, dès mon entrée
au Conservatoire d’art dramatique de
Bordeaux, parallèlement à des études de langue et
de civilisation italiennes à
la Faculté des lettres de cette ville. Après mon service
militaire, je suis
« monté » à Paris, comme disent les
provinciaux, car je voulais à tout
prix tenter l’aventure
théâtrale, pour devenir comédien professionnel. Je
l’ai été pendant une
quinzaine d’années, en connaissant des hauts et des bas.
Ensuite, après la
quarantaine, je me suis orienté vers l’enseignement. A ce jour,
j’ai écrit sept
pièces, dont trois ont été publiées
à L’Avant-scène théâtre. Deux ont
été
jouées en France et à l’étranger. J’ai
moi-même mis en scène et interprété une
de mes pièces Le Temps de solitude
au Théâtre de Plaisance à Paris. Mon
premier recueil de poèmes, La
Musique du temps a paru alors que
j’avais 29 ans. J’ai ensuite, après dix ans de silence,
publié le second
recueil, Livres du songe aux
éditions Belfond, dans une collection
dirigée conjointement par Alain Bosquet, Jean-Claude Renard et
Robert Sabatier.
Ce recueil a obtenu en 1984 le prix Louise Labé. Mais ce prix
n’a rien
déclenché de particulier. Aucune critique dans la Presse
nationale ! Pas
la moindre invitation à participer à des lectures ou
à des festivals de
poésie ! J’ai compris que les récompenses ne
servaient pas à
grand-chose, si ce n’est à satisfaire temporairement l’ego du
lauréat. A la
suite de ce demi échec, sans trop me l’expliquer, je n’ai plus
rien publié
pendant trente ans, tout en continuant à
écrire malgré tout. Ce n’est qu’en 2004 que j’ai
recommencé à publier. Dans des
revues. Par choix. Nous savons que les revues, financées ou non,
ont toujours joué un
rôle primordial dans la
diffusion de la poésie. Sans elles, beaucoup d’auteurs, plus ou
moins jeunes,
n’auraient sans doute pas vu le jour. Et le milieu des revues me
plaisait
assez, et continue à me plaire. J’ai fait des rencontres
intéressantes, que ce
soit au Salon du livre, au Salon de la revue ou au Marché de la
poésie. Certaines
sont devenues amicales. Bien sûr, comme tout auteur, j’ai
« essuyé »
( !) quelques refus, mais assez peu somme toute. Beaucoup de
revues sont
« ouvertes » à des formes
d’écritures différentes. Il faut les en
féliciter. Quelques-unes, par contre, sont plus
« fermées », c’est un
doux euphémisme, et c’est bien regrettable pour les
poètes… Après
des publications dans une quarantaine de revues en France et en
Belgique, j’ai
publié en 2014 un troisième recueil de poèmes en
prose, Paysages
nomades, aux éditions Voix d’encre dirigées
par
Alain Blanc. Sur la
lancée, un quatrième recueil Equilibre
instable de la lumière a vu le jour début 2016 aux
éditions du Cygne.
J’ai trois autres recueils inédits
dans mes tiroirs. Peut-être y resteront-ils à
jamais ? L’édition n’est pas
simple. Cela prend du temps. Il faut chercher – et trouver - des
éditeurs
sérieux, enthousiastes, et prêts à financer, le
plus souvent à fonds perdus,
des œuvres qu’ils aiment et veulent défendre malgré tout.
Car la poésie n’est pas
rentable pour un sou, tout le monde le sait ! Et très peu
de gens achètent
des recueils. .Mais, en ce qui me concerne, on ne peut pas dire que ma
production poétique encombre beaucoup les étagères
des librairies (du moins
celles, assez rares hélas, qui acceptent de diffuser des
recueils de poésie). Par
ailleurs, j’ai écrit une cinquantaine de Nouvelles qui
ont
été publiées dans des
revues en France et au Canada, ainsi que dans plusieurs recueils
collectifs.
J’aime écrire des nouvelles car ce genre littéraire, pas
très en vogue en France,
exige à la fois de l’originalité et de la concision. Par
contre, je me sens
incapable d’écrire des romans. Trop paresseux, sans doute !
Mais, plus
sûrement, par manque de talent. Pour
moi, la finalité de l’écriture n’a jamais
été dans la publication à tout prix. Je
pense même que l’on écrit et publie toujours trop. Chaque
poète devrait être
très exigeant quant au choix de ses textes proposés. Si
l’on écrit beaucoup de
poèmes, il faut aussi beaucoup en supprimer. Mais il
s’avère, je crois,
nécessaire d’oser se confronter un jour ou l’autre à la
lecture de personnes
extérieures qui accepteront ou refuseront d’entrer dans
l’univers que proposent
vos poèmes. Certes, on peut écrire pour soi seul, dans
l’espace calfeutré de
son bureau, à l’abri du monde extérieur, sans se soucier
des autres, mais il
arrive toujours un moment où l’on éprouve l’envie (pour
satisfaire son
ego ?) de proposer ses textes et d’en faire circuler un certain
nombre, ne
serait-ce que pour avoir un (hypothétique) retour de lecture,
même si les
« grands médias » ignorent ou
dédaignent la plupart du temps la
poésie, surtout si elle est éditée par de
« petits » éditeurs (à
leurs yeux, du moins !) J’ai
lu,
et continue à lire, beaucoup de poètes anciens et
modernes. Certains m’ont très
certainement influencé, ce processus est normal et
inévitable, mais il ne sert
à rien de citer des noms (les exclus de la liste feraient grise
mine, les
vivants du moins, et pourraient user de représailles à
mon égard !!!) car
ce ne sont pas obligatoirement les poètes les plus
célèbres ou les plus connus
qui m’ont touché. Même dans des poèmes qu’il
m’arrive de considérer comme
médiocres, il peut y avoir soudain deux ou trois vers qui
déclenchent en moi
l’envie d’écrire. La poésie se nourrit
d’étincelles, et elles peuvent jaillir à
tout moment, même dans des œuvres qui nous paraissent mineures. Je me
garderai bien de dire quel est, ou doit être, le rôle de la
poésie aujourd’hui.
Quelques-uns l’ont fait, le font encore, avec plus ou moins de
réussite. Difficile
d’éviter les banalités ou les redondances. Seul Yves
Bonnefoy, aujourd’hui, m’enchante
vraiment par l’acuité de sa pensée, dans des livres d’une
haute tenue intellectuelle
Mais comme je suis très loin d’avoir son intelligence, sa
culture, et sa
subtilité d’analyse, je me refuse
à
énoncer des lieux communs qui ne feraient certainement pas
progresser le débat.
Pourquoi écrit-on ? Et à quoi sert la
poésie ? Finalement, je n’en
sais trop rien. Je suppose que j’écris parce que je ressens en
moi un manque (mais
lequel, de façon plus précise ?) qui me pousse
à ajouter quelque chose qui
n’existe pas encore dans le monde qui m’entoure, non pas pour le
changer en
profondeur, mais peut-être seulement pour l’enrichir un peu et
lui accorder
quelques éclats de lumière et de beauté. Mais ces
ajouts successifs ont-ils une
utilité, en fin de compte ? Embellissent-ils notre
être, notre âme ? On
peut l’espérer, sinon à quoi bon écrire ?
Mais je pense, de façon très
prosaïque, qu’il ne faut rien attendre de la poésie. On
sait qu’elle est là,
tout autour de nous, qu’elle rôde comme une ombre sans jamais
chercher à
s’imposer. Elle se lit, se dit, se déclame, se profère,
se chante…Chacun peut
l’accueillir à bras ouverts, la repousser avec dédain, ou
l’ignorer royalement.
Qu’importe ! Contrairement à ce que pensent certains, je ne
crois pas que
la poésie sauvera le monde, (elle l’aurait déjà
fait, non ?) car elle
n’est pas faite, me semble-t-il, pour ça. Elle n’a pas de
mission à remplir. La
poésie n’est pas une religion. Sa seule finalité, pour
moi, c’est d’exister, en
dehors des modes, des courants littéraires, dans sa
diversité, sa richesse, et
sa liberté totale, sans obéir à des dictats
imposés par on ne sait trop quels
cercles autoproclamés. Mais je peux, bien sûr, me tromper
et j’admets des opinions différentes. Et
je suis bien conscient qu’en
me défaussant de la sorte, je risque de décevoir beaucoup
de personnes par mes
doutes et mes incertitudes. Il n’empêche. La seule chose que je
puisse dire,
c’est que j’écris simplement par nécessité
profonde, pour tenter de donner un
peu plus de lumières à mes propres
ténèbres, et aussi parce que j’aime
viscéralement les mots (une addiction ou un vice
peut-être ?), les
constructions mentales qu’ils permettent de bâtir à
l’infini, patiemment, jour
après jour, pour tenter de me retrouver sans doute au plus
près de moi-même, (mais
y parviendrai-je vraiment avant le bond final ?) et pour avancer
pas à pas,
d’une démarche hésitante, en équilibre instable
sur le fil énigmatique de la
vie, vers cet inconnu qui nous attend tous, c’est-à-dire vers la
mort
inéluctable.
![]() Francois TEYSSANDIER rechercher Éliette Vialle |
|
Site créé le 1er mars 2002-Rubriques novembre 2004
textes sous copyright